Un traquenard

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L'heure avance, j'en suis à mon deuxième cocktail à la cerise et Carla se déhanche sur la piste sous le regard admirateurs de nombreux hommes. J'envie sa légèreté, la facilité avec laquelle elle bouge son corps et assume ses formes. En y regardant de plus près, j'ai l'impression que les fêtards sont dans un état second, ils dansent, ils bougent mais comme s'ils étaient au ralentis.

Un mouvement sur l'escalier attire mon attention, un homme se tient debout, il m'a l'air grand mais je ne peux distinguer ses traits à cause du manque de lumière. Ce que je ressens en revanche je ne peux l'ignorer, un violent mal de tête s'empare de moi. Je cherche dans mon sac mes cachets mais je n'y vois rien. Je quitte notre table en quête d'un endroit plus éclairé. Je contourne le cordon pour accéder enfin au couloir menant à ma délivrance. Ma tête me fait un mal de chien, j'ai l'impression que quelqu'un est à l'intérieur et frappe contre les parois de mon cerveau. Je suis bousculée par un groupe de filles plaisantant à propos de je ne sais quoi et je parviens à ne pas m'écrouler en me retenant au mur. Je poursuis ma route, heureuse de retrouver un peu de lumière. A mesure que je m'éloigne, la musique se fait plus étouffée soulageant mes maux de tête momentanément. Je reprends mon souffle, c'est le calme avant la tempête. Ce qui m'inquiète c'est que cela fait des années que je n'ai pas eu de crises aussi fortes. Il va me falloir au moins trois pilules pour endiguer la douleur. Je continue de marcher dans le couloir dont les murs sont aussi rouges que les robes des employées en me demandant où sont les toilettes. J'arrive devant une porte surmontée d'une pancarte : « employés uniquement ». Zut, je suis en bout de couloir, j'ai dû me tromper de chemin quand les filles m'ont percutée. C'est pas grave, j'entends des voix dans le bureau, je vais demander à quelqu'un de me guider. Je m'apprête à frapper à la porte mais la teneur de leur discussion m'en empêche :

— Bettina s'est surpassée cette fois, tu as vu ce qu'elle nous a envoyé dit une voix d'homme plutôt grave.

— Je suppose que tu parles de la métisse Mario, parce que pour les autres je ne suis pas convaincue, lui répond une voix de femme. Il y en a un, il est tellement gras qu'il faudrait se mettre à deux pour le vider.

— Souviens-toi de ce qu'a dit le maître, pas de meurtre.

— Si on ne retrouve pas les corps, y a pas de meurtre.

Ils éclatent d'un rire mauvais qui me glace le sang. Vite, je dois retrouver Carla et l'entraîner loin d'ici. Je savais bien qu'il ne fallait pas venir. Je remonte le couloir, mais à mesure que j'approche, la douleur revient. Je fais une halte à la recherche de mes cachets. J'ouvre le paquet de mouchoir et dans la précipitation je laisse échapper celui contenant mes pilules.

— Oh merde !

Je me jette sur le sol, j'en retrouve une que je m'empresse de croquer, tant pis pour l'hygiène. En temps normal, quand une crise aussi dure survient, je suis censée m'allonger, contrôler ma respiration et me détendre. Aujourd'hui, je n'ai pas le temps. Je dois sauver ma copine d'une bande de tueurs. Je reprends ma course et déboule dans la salle principale. Je cherche des yeux Carla mais ne la vois pas. Je retourne à notre table, elle n'y est pas, par contre son sac en perle est toujours là. Ma tête se met à me tourner mais j'ignore mon état de santé, concentrée sur ma mission. Je franchis le cordon, me voici sur la piste de danse que j'arpente en criant son prénom, comme si elle allait m'entendre. Un homme me prend par les hanches, pensant sans doute que je suis en quête d'un cavalier. J'arrive à m'en dépêtrer tant bien que mal avant de me retrouver face à l'escalier permettant d'atteindre l'étage. L'étage ? Et si elle était montée ?

Je m'élance dans l'escalier et atteins un nouveau cordon de sécurité gardé par un gros malabar chauve au regard antipathique, un cousin de Brutus sans doute.

— Laisser passer ?

— Ecoutez, je dois absolument passer. Mon amie doit être par là et elle a oublié son sac, inventé-je à moitié.

L'homme croise les bras en soupirant :

— Ecoutez ma jolie, pas de carte, pas d'entrée.

Ma migraine s'étant un peu calmée, je réfléchis à toute vitesse.

— Bettina m'a demandé d'apporter son sac à mon amie.

Mon aplomb semble le déstabiliser et j'en profite jouant le tout pour le tout :

— Je l'ai croisée et quand elle a su que j'étais venue avec Carla et que je la cherchais elle m'a dit de monter.

— Bettina est ici ? demande-t-il narquois.

Ok, j'ai dit un truc qu'il ne fallait pas. Il sait que je mens et il ne me laissera pas passer. J'essaie de forcer le passage. Je le pousse mais il ne bouge pas d'un millimètre. Ma migraine revient et je me mets à lui crier dessus :

— Laissez-moi passer ! Je sais que vous faites des trucs pas nets, je veux retrouver mon amie !

— Que se passe-t-il ? demande une voix au creux de mon oreille.

Je fais volteface et me retrouve devant l'homme qui a déclenché ma crise de migraine du haut de son escalier. Dire qu'il est beau serait un euphémisme, il est à tomber à la renverse. Ses cheveux sont plus noir que la nuit, son visage est incroyablement bien dessiné et que dire de ses yeux. Je suis prise dans son regard de braise, j'ai l'impression de tomber dans un abime sans fond. Tout en lui transpire le danger et même si chaque centimètre carré de ma peau me hurle de partir, je suis tétanisée.

— Désolé patron mais cette femme insiste pour assister à la soirée vip.

Il ne se donne même pas la peine de lever les yeux vers son employé, trop occupé à me dévisager.

Je ferme les yeux quand une vague de douleur me submerge, manquant de me faire tomber en avant. Je ne dois mon salut qu'au torse puissant du mystérieux patron du « Lost Paradise ». Son odeur est aussi envoutante que tout le reste, un mélange de musc avec une légère touche de... cendres ? C'est possible ça ?

— Eh bien laissons la passer, dit-il avec un sourire en coin.

Des signaux d'alerte clignotent dans mon cerveau. Si je le franchis le cordon, je vais me retrouver piégée et c'est mon cadavre qu'on va retrouver... ou pas.

— Non c'est bon, je me suis trompée. Je dois partir, balbutié-je en faisant mine de redescendre de l'escalier.

Au moment où je passe près de lui, sa main se referme sur mon poignet. La douleur dans mon crâne est fulgurante, des images de deux corps nus entremêlés m'apparaissent avant de s'évaporer aussitôt. De son côté, l'homme à l'odeur de cendres pousse un cri de douleur avant de relâcher son emprise me permettant de m'enfuir. Je me fonds parmi la masse de danseurs agglutinés sur la piste puis je traverse la salle en direction de la sortie. Brutus fait toujours le chien de garde, mais bien trop occupé à surveiller ceux qui rentrent dans la boîte, il ne prête pas attention à moi.

Une fois à l'air libre, je prends appui contre un mur histoire de me calmer quand je reconnais sa voix envoutante s'adressant à Brutus :

— Elle est partie par où ? Il ne faut pas qu'elle s'échappe.

Mon cœur fait un bond et j'ordonne à mes jambes de courir le plus vite possible malgré la douleur lancinante dans ma tête. Je cours à perdre haleine jusqu'à ce qu'en traversant une rue, je manque de me faire renverser par une voiture. 

Petit mot de moi: Voilà, vous venez de faire connaissance avec le ténébreux, le sexy, le mystérieux patron du Lost Paradise. Qu'en dites-vous?

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant