Retrouvailles

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Quand j'ouvre de nouveau les yeux, je suis dans une chambre aux murs entièrement blancs. J'essaie de bouger mais mes poignets ainsi que mes chevilles sont solidement attachés. Je reconnais l'odeur caractéristique des hôpitaux. Je tourne la tête. Je n'en crois pas mes yeux. Assise sur une chaise dont le rembourrage en mousse s'échappe par endroit, ma grand-mère somnole. Je prends le temps de l'observer. Elle arbore son sacro-saint chignon serré, le même qu'elle s'échinait à me faire quand j'allais dormir chez elle, sauf qu'aujourd'hui il y a plus de mèches argentées que de mèches brunes. Ses traits sont tirés et de nouvelles rides sont apparues sur son front et au coin de ses yeux, je remarque également que des taches brunes constellent sa peau hâlée par le soleil. Malgré son apparence stricte et soignée, ma grand-mère demeure une femme de la terre et c'est toujours le cas si j'en crois les traces noires sous ses ongles. Se sentant observée, elle ouvre brusquement les yeux et les braque sur moi. Elle pose doucement sa main sur mon front, puis semblant rassurée elle quitte la pièce sans un mot. Elle revient quelques minutes plus tard accompagnée d'un médecin. Il m'ausculte, me fait suivre des yeux une lumière, prend ma tension, me pose quelques questions pour vérifier si je suis cohérente, avant de donner l'autorisation aux infirmières de me détacher. Je me laisse faire. Je connais la procédure pour l'avoir souvent vécue avant que Rosalie ne me fabrique mes pilules. Je sais que si tout va bien, je sortirai dans quelques heures, le temps pour eux de vérifier que mes constantes sont revenues à la normale et de prendre contact avec l'hôpital Saint June où j'ai effectué mes précédents séjours.

Mes mains enfin libérées, je me masse les poignets. J'ai dû lutter car la sangle a laissé une marque rouge tout autour. En y regardant de plus près, je ne suis pas sure que cela provient des lanières car je peux voir des points de pressions. Ma grand-mère repart avec les médecins sans m'adresser un seul mot... Vive les retrouvailles.

Je me redresse un peu pour me servir un verre d'eau avec la carafe en plastique orange reposant sur une tablette à côté de moi. Des coups discrets sont frappés à la porte et le lieutenant fait son entrée. Son regard se pose sur mon visage avant de se retourner. Je n'ai pas besoin qu'il m'explique, je sais déjà. Je passe la main sur mes joues afin de confirmer mes craintes, dans ma folie je me suis griffée au sang. Je me sens honteuse qu'il ait assisté à ça. Ses yeux se posent ensuite sur mes poignets rougis ce qui le fait tiquer :

— Je suis désolé pour ça.

Je fronce les sourcils avant de comprendre que c'est lui qui a dû tenter de m'immobiliser en m'entravant. Sauf que, si j'en crois la marque violacée autour de son œil, je n'ai pas dû me laisser faire.

— C'est plutôt moi qui devrais m'excuser, dis-je en désignant son visage.

Il ne dit rien mais s'approche pour déposer sur ma tablette un flacon que je reconnais comme un des miens.

— Vos analyses n'ont rien donné, raillé-je en tendant la main vers mes cachets.

Les produits administrés par l'hôpital ne doivent plus agir car je ressens des picotements aux endroits où je me suis griffée. En tendant la main pour me resservir un verre d'eau, je me souviens des raisons qui m'ont conduite à finir ici.

— Vous avez retrouvé Carla ?

Wallace semble mal à l'aise. Je comprends qu'il a dû rester ici en attendant que je me réveille. En temps normal, je pourrais me sentir touchée mais ce n'est pas le cas. On perd du temps, Carla est peut-être morte à l'heure qu'il est. Je m'apprête à le questionner quand ma grand-mère fait son entrée. Avisant Wallace, elle s'avance vers lui les poings sur les hanches :

— Qu'est-ce que tu fais là toi ? Ça ne t'a pas suffi de la pousser à bout, il faut que tu viennes la harceler sur son lit d'hôpital ? Tu vas voir quand je le dirais à ta mère.

La menace maternelle semble faire effet car Wallace blêmit. C'est marrant de le voir perdre contenance face à une vieille dame vêtue d'une robe à carreaux bleu et blanc. Penaud, il m'adresse un signe de la tête et quitte la chambre.

— A nous, dit-elle en se tournant vers moi. On peut savoir ce que tu viens faire à Fallen Coast ?

Je rêve où elle est en train de m'engueuler. Après dix ans de séparation, la colère me gagne. J'ai fait des milliers de kilomètres pour tenter une réconciliation et je m'en prends plein la figure. Ça en est trop. D'un geste rageur j'écarte le drap en coton prête à quitter mon lit. A peine sur mes jambes, la tête me tourne. Je me suis levée trop vite. Ma grand-mère s'approche et m'aide à me rasseoir :

— Reste sage Lucie, se radoucit-elle. Tu m'as vraiment fait peur.

J'essaie de protester, je dois aller sauver Carla. Rien n'y fait. Je décide d'opter pour une autre technique. Je me rallonge sagement et fais mine de me rendormir. Au bout de quelques instants, comme si un ange gardien veillait sur moi, le portable de mon aïeul se met à sonner, l'obligeant à quitter la chambre pour ne pas me réveiller. Je prie le ciel pour que la conversation s'éternise me permettant de m'échapper. Je me redresse et quitte le lit en prenant garde à ne pas trop me presser. J'avise dans un coin de la pièce un sac en plastique contenant mes affaires. Je me débarrasse de l'affreuse blouse blanche d'hôpital ouverte dans le dos et enfile ma robe verte. Je remonte mes cheveux en une queue de cheval, je dois avoir l'air à peu près soignée si je veux éviter de me faire repérer par les infirmières. Je récupère mon sac à main, dans lequel je fourre rapidement mon flacon de pilules et quitte la chambre en prenant garde à ne pas croiser ma grand-mère. Je traverse le couloir en essayant de paraître le plus naturelle possible. Je cache, avec les anses de mon sac, le bracelet d'hôpital que je n'ai pas réussi à ôter et me dirige vers les escaliers. Après tout, si ma grand-mère est descendue il y a de fortes chances qu'elle prenne l'ascenseur pour remonter. Arrivée au rez-de-chaussée, je vérifie que la voie est libre avant de traverser le hall d'accueil d'un blanc immaculé. En passant près des agents de sécurité mon cœur s'emballe, le téléphone sonne, l'un d'entre eux me jette un œil avant de donner un coup de coude à son acolyte. Le temps qu'il réagisse, j'ai piqué un sprint vers la sortie.

Je déboule sur le parking, je tourne la tête de droite à gauche à la recherche d'une échappatoire.

— Mademoiselle !

L'un des agents arrive. Je repars en courant. Mauvaise idée, je sens que je n'ai pas récupéré assez de force. A ce moment-là, une voiture déboule manquant une nouvelle fois de me renverser. Je reconnais le conducteur et profite de sa stupéfaction pour ouvrir la portière et m'engouffrer dans le véhicule.

— Roulez ! m'écrié-je en avisant l'agent se rapprocher.

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant