Le conducteur a tout juste le temps de piler, s'arrêtant à quelques millimètres de mes genoux. Son visage m'est familier. Il sort de son véhicule de police et je comprends qu'il s'agit du même officier que cet après-midi. Je me précipite vers lui :
— Aidez-moi, je vous en prie. Ils en ont après moi.
Rassurée par sa présence, l'adrénaline retombe et mes jambes me lâchent. Il me retient de justesse avant de m'aider à prendre place dans sa voiture. Il écarte mes cheveux pour dégager ma nuque puis attache la ceinture de sécurité.
— Où m'amenez-vous ? demandé-je
— Au commissariat, répond-il laconiquement.
Je soupire de soulagement. Je vais être en sécurité et avant la fin de cette soirée on aura récupéré Carla. Je ferme les yeux un court instant, appuyant mon front brûlant contre la vitre de la voiture. Le contact avec le verre frais apaise temporairement mes maux de tête mais je sais que ça ne va pas durer. Je suis sur une crise de stade cinq, si je ne prends pas rapidement deux cachets je vais passer au stade six avec crise de folie. Je risque de devenir dangereuse, pour moi et pour les autres.
Moins de cinq minutes plus tard, la voiture se range à côté d'autres véhicules de police. Mon officier perso, dont j'ignore toujours le nom, fait le tour pour m'aider à descendre.
— Voilà, nous y sommes, ça va aller ?
Je suis touchée par sa sollicitude, je pourrais presque lui pardonner de m'avoir confisqué mes médicaments. J'acquiesce et ensemble nous nous dirigeons vers le bâtiment aux fenêtres protégées par des barreaux. Je manque une fois de plus de tomber, obligeant l'officier à passer un bras autour de ma taille pour m'aider à avancer. Nous franchissons les portes du commissariat, moi toujours soutenue par mon garde du corps :
— Salut Wallace, alors tu as ramené une fêtarde ? plaisante l'officier qui referme la porte derrière nous.
Wallace grommelle quelque chose qui m'échappe. Il me fait traverser un couloir éclairé par des néons blancs qui ravivent ma migraine. Il ouvre une salle et m'installe sur une chaise en me demandant de l'attendre. J'obtempère. Je profite de ce temps, seule, sans un bruit, pour faire mes exercices de respiration. Visualiser la douleur, la centraliser sous forme de boule, mettre la boule dans une boîte, fermer la boîte à clé. Inspire par le nez. Expire par la bouche. J'ai réussi à canaliser la douleur, mais la boîte me semble à peu près aussi solide que la maison en paille du premier petit cochon. Un rien pourra la faire s'ouvrir et la douleur m'envahira de nouveau.
— Tenez, buvez.
Wallace vient de refaire son apparition posant devant moi un gobelet en plastique. J'avale d'une traite le contenu du verre, me désaltérer me fait le plus grand bien mais ce n'est pas de ça dont j'ai besoin.
— Inspecteur je...
Il m'interrompt :
— C'est lieutenant.
Je reprends :
— Lieutenant écoutez, je ne sais pas si vous vous souvenez de moi mais je...
— Vous êtes la fille aux flacons suspects.
Décidément m'interrompre est une manie chez lui. J'essaie de ne pas m'énerver sinon je n'arriverai à rien.
— Oui voilà, c'est moi. J'ai des choses à vous dire, un meurtre est en cours et vous devez m'aider mais avant j'ai besoin de mes pilules.
Je sens les côtés de ma boîte imaginaire tanguer, je ne vais pas pouvoir contenir ma douleur éternellement.
— Alors c'est pour ça que vous vous êtes jetée sous les roues de ma voiture ? Pour récupérer votre drogue.
— Hein ? Mais non pas du tout. C'est grave, ils vont les tuer et faire disparaître leurs corps.
Il soupire. Il doit me prendre pour une folle. Je serre tellement fort les bords de la table en fer de la salle d'interrogatoire que mes jointures blanchissent.
— J'ai une crise de migraine, je vous raconterai tout mais par pitié donnez-moi mes médicaments.
— Madame Stanfield, ce que vous ressentez est dû au manque, vous faites une crise et ça va passer.
Je comprends au ton de sa voix qu'il ne fera rien pour m'aider et mon dernier espoir s'envole emportant avec lui les murs fragiles de ma boîte mentale. La douleur se répand dans tout mon corps avant de se loger dans mon cerveau et d'exploser en une myriade d'images qui s'imposent à moi. Je vois ma mère sourire avant de la voir morte, des personnes que je ne connais pas chanter autour d'un immense feu, je vois Carla, les yeux révulsés appelant à l'aide. Chaque image vient avec le son et les sensations, j'ai l'impression qu'on brule chaque parcelle de mon cerveau avec un chalumeau. Je revois le visage de l'homme à l'odeur de cendres puis les deux corps entremêlés, l'un est le sien mais l'autre je ne parviens pas à l'identifier. J'enchaîne ensuite avec des corps jetés au bas des falaises, Bettina faisant le ménage dans la chambre de Carla, je me vois poignarder quelqu'un avec une espèce de coupe papier en argent surmonté d'une émeraude, ensuite c'est la délivrance, le trou noir.
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La Potion Oubliée
VampireBienvenue à Fallen Coast, le soleil, la mer, le tourisme, une boîte nuit où les disparitions s'enchaînent et bien sûr ses sublimes falaises aux pieds desquelles de nombreux jeunes "chutent" accidentellement. Après avoir été contrainte de partir il y...