deux mamies pour le prix d'une

866 120 1
                                    

PDV Lucie

Wallace vient de me ramener chez moi. Il a pris ma déposition au commissariat et se rend au « Lost Paradise » pour interpeler Brutus qui s'appelle en réalité Franck. J'ai passé sous silence mes hallucinations, les yeux rouges et le moment où il s'est brûlé en essayant de m'attraper, hors de question de passer pour une cinglée ! Je me laisse tomber sur une chaise, si l'espace d'un instant je suis tentée de retourner chez moi, loin de Fallen Coast, un regard sur les affiches où s'étalent le visage de Carla m'en dissuade. Je dois faire la lumière sur cette affaire, la retrouver, où qu'elle soit. Je rassemble les photocopies en un tas bien droit quand mes doigts se posent sur l'enveloppe que m'a remise le notaire. Je n'ai pas encore eu le courage de l'ouvrir par peur de ce que je vais lire. Seulement, après ma soirée d'hier, je prends conscience que j'aurais pu y rester sans jamais savoir ce qu'elle contient. Je saisis l'enveloppe et l'ouvre précautionneusement. J'en retire une feuille de papier pliée en deux. Le papier semble être très ancien si je me fie à sa couleur jaune, aux tâches qui s'y trouvent et surtout à l'odeur de renfermé qui s'en dégage. Je le déplie, et constate qu'il s'agit d'un page, arrachée certainement à un vieux livre sur lequel quelques lignes ont été écrites de manières précipitées : « Ma chérie, tu es notre plus belle réussite. Si tu lis cette lettre c'est que je n'ai pas pu empêcher ce qui devait arriver. Nous t'aimons plus que tout et quand tu seras prête tu comprendras que la solution réside en toi. Papa et Maman. »

Voilà, c'est tout. Je tourne la feuille, espérant une suite ou une explication, quelque chose quoi, mais non il n'y a rien de plus. Je me sens frustrée, frustrée de ne pas comprendre le sens caché de cet ultime message laissé par mes parents. Je serre la feuille entre mes doigts et je la sens arriver, la crise de migraine. Ne voulant pas devenir l'esclave de la douleur, je me précipite sur mon sac et avale deux comprimés avec un grand verre d'eau. Les picotements dans mon crâne essaient de lutter contre le traitement mais ils finissent par abdiquer et refluer. Je me passe la main sur le front, depuis que je suis ici les crises sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes, pire, les hallucinations font leurs apparitions sans prévenir. Je secoue ma boîte de pilule, c'est bien ce que je pensais. En dix jours j'ai déjà pris l'équivalent d'un mois de traitement. A ce rythme, je ne tiendrai pas tout l'été. J'envoie un mail à Rosalie via mon smartphone pour lui expliquer la situation mais avec le décalage horaire ça m'étonnerait qu'elle me réponde. Plutôt que de me morfondre, je saisis mes affiches et pars les distribuer.

Sans m'en rendre compte, je suis arrivée au niveau de la maison de ma grand-mère. Je regarde la façade qui aurait bien besoin d'un coup de peinture quand je la vois sortir en courant de chez elle. Elle n'a pas pris le temps de se coiffer et semble paniquée. Elle claque la porte derrière elle, se précipite dans son allée avant d'atteindre le portillon. Lorsqu'elle me remarque, elle s'immobilise puis se force à marcher doucement jusqu'à moi.

— Lucie, tu vas bien ?

Je la laisse m'observer sous toutes les coutures. A l'instar de la mère de Wallace, elle pose son index sous mon menton et me fait tourner la tête, s'attardant sur mon cou.

— J'ai appris pour hier soir, que s'est-il passé ?

Son front affiche une barre d'inquiétude et l'espace d'un instant j'ai l'impression de retrouver ma grand-mère, celle de mon enfance, celle qui se faisait du souci pour moi, qui n'aimait pas me voir jouer dehors et inventait des stratagèmes pour me garder à l'intérieur.

— J'ai eu un différend avec le videur d'une boîte de nuit. Mais attend, comment sais-tu que j'ai eu des problèmes ?

Elle élude ma question d'un geste de la main :

— Il t'a fait du mal ?

— Il a essayé, rétorqué-je en repensant à son cri lorsqu'il m'a agrippé.

Un sourire fugace apparaît sur son visage avant de disparaître derrière son air austère.

— Lucie, je te le répète, tu dois rentrer chez toi, partir d'ici.

— Pourquoi ? Pour que tu puisses récupérer la maison de mes parents ?

J'ai parlé sans hausser le ton, de manière froide et insensible. Devant son air surpris je continue :

— Je suis allée chez Huggins et Mons, j'ai récupéré la jouissance de MA maison et désolée de te l'apprendre mais tu ne pourras pas te remplir les poches en la vendant. Papa et maman auraient tellement honte de toi, tu me rejettes, tu me méprises, tu...

Sa main s'abat sur ma joue en un claquement sec. Nous nous défions du regard. J'essaie de retenir les larmes de douleur qui perlent à mes yeux et elle finit par tourner les talons et rentrer chez elle. J'attends de ne plus la voir pour poser la main sur ma joue endolorie, au moins elle, elle arrive à me toucher sans problème.

Je poursuis ma route, mais la tête dans mes pensées je ne vois pas la personne qui s'avance vers moi et la percute de plein fouet. Je me confonds en excuse. Elle me sourit, son visage m'est familier.

— Paulina ! Je suis désolée, je ne regardais pas où j'allais.

Si elle remarque la rougeur sur ma joue, elle ne fait aucun commentaire.

— Alors Lucie, tu as décidé de rester à ce que je vois.

J'acquiesce en lui tendant une affiche :

— L'une de mes copines a disparu au « Lost Paradise » et j'essaie de la retrouver.

Elle fronce les sourcils à l'évocation du club.

— Tu ne devrais pas traîner par là-bas Lucie. Cet endroit est mal famé et cet Ellis est un homme détestable.

Je m'amuse de son côté protecteur tout en ayant un pincement au cœur. Normalement cela devrait être à ma grand-mère de se faire du souci pour moi.

— Tu comptes rester longtemps ? demande-t-elle.

Je hausse les épaules.

— J'aimerai bien mais mes migraines vont m'obliger à rentrer plus vite que prévu. Je n'ai presque plus de cachets.

Elle semble soucieuse. Elle m'indique un muret en pierre bordant une propriété et m'invite à m'y asseoir.

— Parle-moi de tes migraines ma petite. Depuis quand sont-elles là ?

Je réfléchis un court instant avant de répondre :

— Depuis la disparition de mes parents il me semble.

— Et comment se manifestent-elles ?

Paulina s'intéresse réellement à moi et je me livre comme je l'aurai fait avec un membre de ma famille. Je lui raconte les picotements, les douleurs, les tremblements et enfin les hallucinations. Au fur et à mesure de mes explications, je la sens se crisper. Elle se retient d'exploser même si je ne sais pas pourquoi. Quand je lui montre les pilules de Rosalie, j'ai presque peur qu'elle s'en saisisse pour les jeter par terre.

— Sans ces cachets j'aurai sans doute fini internée, conclus-je d'un air las.

Elle me tapote gentiment l'épaule.

— Je te promets qu'on va trouver une solution ma petite. En attendant, accepterais-tu de me confier l'une de tes pilules ?

Devant ma réticence elle ajoute :

— Dans la vieille ville il y a une herboriste, peut-être qu'elle saura recréer ce mélange particulier qui semble te faire du bien.

A contrecœur j'accepte et lui tends un cachet. Elle le dépose au centre d'un mouchoir en tissus bleu pâle qu'elle glisse ensuite dans sa poche. Au moment de nous séparer elle me dit :

— Evite le « Lost Paradise » ma petite et tiens-toi loin de ce sournois d'Ellis.

Son regard sonde le mien pour s'assurer que je la prends bien au sérieux puis elle s'en va.

Je continue ma distribution lorsque mon ventre se met à gargouiller. Je rentre chez moi et me prépare une assiette de tomates cerises avec des dés de mozzarella le tout agrémenté d'un filet d'huile d'olive. Le soleil poursuit son ascension et je décide d'enfiler mon maillot de bain sous ma robe à bretelle.

Petit mot de moi: Coucou! Me revoici après une période de repos bien mérité. Vous êtes de plus en plus nombreux à suivre cette histoire et j'en suis ravie. Bonne année à tous et bonne lecture!

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant