Elle agite les bras, les assiettes se mettent à trembler dans l'égouttoir, puis, elle dirige ses mains vers moi. Sans comprendre le pourquoi du comment, je me sens peu à peu quitter ma chaise et m'élever de quelques centimètres au-dessus du sol avant d'être plaquée contre un mur. L'air crépite autour de nous, je sens au fond de moi quelque chose qui cherche à sortir, qui cherche à affronter cette force qui me cloue au mur. Si on était dans un spectacle de prestidigitation, je dirai que c'est truqué, que l'assistante porte un aimant dans ses vêtements, mais là, je peux vous assurer que tout est réel. Je suis bien collée au mur par la simple volonté d'une mamie de soixante-dix piges, vêtue d'une chemise de nuit rose pâle qui lui descend jusqu'aux chaussons assortis. Le plus étrange cependant ce n'est pas ça, c'est la force que je sens à l'intérieur de moi qui cherche à repousser l'énergie de ma grand-mère. Je ressens dans chaque fibre de mon corps des vibrations qui émanent de mes cellules. Cette vague remonte le long de mes membres pour venir se loger dans mon cerveau. Sans savoir comment, je parviens à repousser la magie qui me maintient clouée au mur et mes pieds touchent de nouveau la terre ferme. Le calme règne de nouveau dans la petite cuisine, ma grand-mère se retient au bord de la table, à deux doigts de s'effondrer et je me précipite vers elle. Je l'aide à s'asseoir, ses mains tremblent et tandis qu'elle reprend contenance, je lui sers une tasse de thé.
— Tu y crois maintenant ? demande-t-elle d'un ton acerbe.
Je ne sais pas quoi répondre. Je n'ai pas pu imaginer ce qui vient de se passer, et même si je cherchais à m'en convaincre, la douleur là où mon dos a rencontré le mur me rappelle que tout est bien réel. Je fais les cent pas, essayant de rationnaliser ce qui ne peut pas l'être.
— Arrête, tu me donnes le tournis.
Je fixe ma grand-mère qui reprend doucement des couleurs.
— Plus je vieillis, plus il m'est difficile d'utiliser mes pouvoirs, surtout lorsque cela fait longtemps que je ne m'en suis pas servis, explique-t-elle.
— Alors, tout ce que Paulina m'a raconté est vrai ? Mes migraines sont liées à mes visions ? Mais pourquoi ne me l'avoir jamais dit ? Pourquoi m'avoir abandonné ?
Elle soupire, la tristesse envahit son visage mais avant qu'elle ne puisse me répondre Maggie et Paulina font irruption dans la pièce.
— Miranda tout va bien ? Nous avons senti ta magie, il s'est passé quelque chose ?
Miranda reprend contenance, je comprends qu'elle ne veut pas paraître faible devant ses amies.
— Je devais prouver à ma petite-fille ce que nous étions réellement. Elle est tellement têtue que c'est le seul moyen que j'ai trouvé.
Les deux autres me fixent d'un air réprobateur avant que Paulina ne reporte son attention sur ma grand-mère.
— Quand même, à ton âge une telle démonstration ce n'est pas raisonnable.
— Je sais très bien où se trouvent mes limites, ronchonne Miranda.
— Tu devrais rentrer chez toi, on va s'occuper d'elle, me chuchote Maggie en me poussant doucement vers la porte. Utiliser autant de magie l'a beaucoup trop fatiguée.
— Euh d'accord. Je reviens plus tard ?
Elle acquiesce et j'adresse un « à tout à l'heure » au groupe avant de quitter les lieux, Satanas toujours derrière moi et ne sachant pas vraiment quoi faire de ce que je viens d'apprendre sur ma nature. A mesure que j'avance, mes pensées tourbillonnent, ma grand-mère et ses deux meilleures amies sont des sorcières et apparemment j'en suis une également. Partant de là, et si j'en crois mon aïeule, ça veut dire que les enfants de la nuit sont réels aussi. Et s'ils existent, ça signifie que Carla en est devenue une. Je repense à sa réaction au restaurant, elle a paniqué quand la femme derrière nous s'est entaillée la main. Et que dire de son attitude dans la ruelle quand elle m'a prise dans ses bras, maintenant je suis quasiment sure qu'elle reniflait mon cou, sans doute à la recherche du meilleur endroit pour y planter ses tous nouveaux crocs. Les informations se bousculent à m'en donner le tournis. Manquerait plus qu'on m'annonce que Wallace est un loup garou et je crois que je prends un billet pour l'asile le plus proche. En parlant de Wallace, je me demande s'il est au courant que sa mère est une sorcière. Sans doute pas.
— Lucie ?
Je sursaute. Perdue dans mes pensées, je n'ai pas vu Adrian qui faisait son jogging en sens inverse. Au moins je ne lui suis pas rentrée dedans. J'amorce un mouvement de recul en le reconnaissant. Carla est allée dans son club, il ne vieillit pas, ma grand-mère veut que je reste loin de lui, à tous les coups c'est un vampire CQFD. OK, un vampire super sexy qui fait son jogging en plein jour sans prendre feu mais un vampire quand même.
— Lucie ? demande-t-il de nouveau en s'approchant.
J'arrête de respirer, je cherche dans mon sac à main de quoi me défendre mais bizarrement je n'ai pas pensé à prendre un pieu en bois ou un crucifix en sortant de chez moi.
— Ne... Ne... t'approche pas ? balbutié-je en reculant.
Il s'arrête net en me dévisageant.
— Tu as peur de moi ?
Je perçois la tristesse dans sa voix, mais comment savoir si ce n'est pas un stratagème pour mieux m'avoir.
— Je préfère que tu restes à une distance raisonnable, dis-je en esquissant un pas en arrière.
Il passe la main dans ses cheveux, agacé par mon attitude mais respectant néanmoins ma demande.
— Les sorcières t'ont mis au parfum à ce que je vois et que t'ont-elles dit ? Que j'allais faire de toi mon quatre heure ? Que j'étais l'être le plus malfaisant du monde ? Mais réfléchis ma belle, si j'avais vraiment voulu me débarrasser de toi, tu ne serais plus là depuis longtemps, les occasions où nous étions seuls n'ont pas manqué.
Il marque un point. Percevant mon hésitation il avance d'un pas.
— Peut-être que tu ne voulais pas te salir les mains. Tu as envoyé Brutus après moi et...
— Non, gronde-t-il. J'avais expressément demandé à Brut... euh... Franck de te laisser tranquille ! Il a d'ailleurs été bien puni.
La brûlure! Mince, encore un truc qu'il faudra que ma grand-mère m'explique.
— Lucie, je ne te veux aucun mal.
J'ai envie de le croire, vraiment, car tout serait alors si simple, mais une part de moi s'y refuse, la partie de moi qui a besoin d'une réponse franche à une question très précise.
— Carla ? Tu l'as tué ? osé-je demander.
— Oui.
Oui ! Juste un « oui ». Pas de désolé, je ne l'ai pas fait exprès. Non, juste oui, j'ai buté ta copine.
— Mais elle savait ce que ça impliquait. C'est elle qui est venue à nous. C'était son choix. Crois-moi, c'est une vie que je ne souhaite à personne et nous ne sélectionnons pas n'importe qui, se justifie-t-il.
— Sélectionner ? Comme dans un concours ?
J'imagine rapidement un remake de The Voice où les candidats exposeraient leur raison de vouloir devenir un vampire. Un sourire étire ses lèvres et je me sens fondre. J'essaie de me reprendre, de me convaincre que, comme dans les films, il s'agit de son charme vampirique qui agit sur mon esprit, mais quand sa main frôle mon épaule je ne pense à rien d'autre que les quelques millimètres qui nous séparent.
— Viens avec moi, s'il te plaît.
Il tend sa main vers moi et dans son regard je peux lire que c'est la seule opportunité que j'aurai. Il me laisse le choix, le suivre maintenant et lui laisser une chance de tout m'expliquer ou partir sans me retourner. Si j'étais devant ma télévision je dirai à l'héroïne de partir loin, très loin, flairant l'entourloupe à des kilomètres, lui criant qu'elle va se faire bouffer mais au lieu de ça, je ne trouve rien de mieux à faire que poser ma main dans la sienne. Où qu'il veuille m'emmener je le suivrai car le sentiment qui m'envahit dès lors que je suis avec lui est bien plus fort que tout ce que je n'ai jamais pu ressentir.
Petit mot de moi: J'espère que ces trois chapitres successifs vous auront plu! Promis je serai plus vigilante pour les prochaines fois! bisouxxxxxxxxxxxxx
VOUS LISEZ
La Potion Oubliée
VampiriBienvenue à Fallen Coast, le soleil, la mer, le tourisme, une boîte nuit où les disparitions s'enchaînent et bien sûr ses sublimes falaises aux pieds desquelles de nombreux jeunes "chutent" accidentellement. Après avoir été contrainte de partir il y...