interview

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PDV Adrian

J'ai passé toute la nuit à réfléchir et a élaboré une stratégie, aussi quand Kana, l'une des triplées, m'annonce que David Kent souhaite s'entretenir avec moi, je sais exactement quoi faire. Suivant mes instructions, elle l'escorte jusqu'à mon bureau où je l'attends :

— Monsieur Kent, quel plaisir de vous rencontrer de nouveau. Vous exercez toujours à ce que je vois.

Il ne relève pas la pique et me serre la main. Il a beau y mettre toute sa force, je ne me départis pas de mon sourire.

— Alors, que puis-je faire pour vous ?

Il s'installe dans le fauteuil en cuir en face du mien, sort son calepin ainsi que son stylo et commence :

— Je mène une enquête sur les disparitions à Fallen Coast et toutes les pistes mènent ici. Avez-vous un commentaire à faire ?

Je contourne le bureau pour me servir un verre, certains pourraient dire qu'il est trop tôt mais moi je pars du principe que quelque part dans le monde ça doit être la bonne heure. Je bois une gorgée de ce délicieux nectar, me félicitant d'avoir fait acheter toute une caisse de ce whisky, puis je reporte mon attention sur le journaliste. Il a parlé de disparitions au pluriel, il en sait peut-être plus que ce que je croyais. Je me racle la gorge :

— Je ne savais pas qu'il y avait eu plusieurs disparitions, d'ailleurs que qualifiez-vous de disparition ?

Il fait semblant de chercher quelque chose sur son carnet.

— Je parle de Louise Delano, Ali Rajesh, Frederich Brauer et plus récemment Carla Mackenzie.

Je reste de marbre mais je dois reconnaître que Kent est peut-être plus dangereux que ce qu'il en a l'air. Certes sa liste est très incomplète mais effectivement ces quatre personnes sont bien passées dans mon club. Je fais mine de réfléchir, je ne peux quand même pas lui dire la vérité, à savoir que Louise et Frederich reposent en paix quelque part au fond de l'océan, quand à Ali et Carla c'est une autre histoire.

— Désolé ça ne me dit rien, mis à part Carla dont je n'ai appris la disparition que très récemment.

— C'est étrange, d'après mes sources, ils sont tous venus au « Lost Paradise » avant de se perdre pour de bon.

J'aimerai lui demander d'où il tient ses informations mais cela risquerait d'éveiller ses soupçons. Voyant que je ne réponds pas, il poursuit :

— Dans ce cas, revenons-en à Carla, pouvez-vous me dire où elle est ?

Au moins on ne peut pas lui reprocher de ne pas aller droit au but. Je soupire et prend un air las :

— Monsieur Kent, je suis gérant d'une boîte de nuit, des filles j'en vois tous les soirs alors pardonnez-moi de ne pas leur implanter des puces GPS. Comme je l'ai expliqué à la police, elle a certainement dû rencontrer quelqu'un et a continué la fête de son côté.

Il griffonne quelque chose avant de planter son regard sur moi.

— Et Lucie Stanfield ?

Je sursaute. Que viens faire Lucie là-dedans ? Kent arbore un sourire satisfait et je me maudis de ma réaction. Il reprend d'un ton doucereux :

— Eh bien, c'est elle qui a lancé l'alerte pour Carla, du coup je me demandais si elle aussi vous comptiez la faire disparaître ?

Je dois me faire violence pour ne pas lui coller mon poing sur la figure. Cette interview prend un tour que je n'apprécie guère. J'ai intérêt à reprendre la main et vite. Je me ressers un verre de Whisky et m'installe sur le fauteuil à côté de celui de Kent.

— Monsieur Kent. A quoi rime cet interrogatoire ? Vous savez que proférer de fausses accusations a déjà failli vous coûter votre place.

Il tressaille mais ne fait pas pour autant marche arrière.

— Monsieur Ellis, j'ai peut-être échoué il y a dix ans, mais aujourd'hui je ne suis plus le même homme. Je suis prêt à me battre pour mes convictions et si mon patron souhaite étouffer l'affaire, je trouverai d'autres moyens pour me faire entendre. A l'ère d'internet et des réseaux sociaux cela ne devrait pas être trop difficile.

J'admire sa ténacité même si là tout de suite je préfèrerai l'écorcher vif. Je l'observe quelques instants à la recherche d'une faille. Qu'est-ce que je pourrais bien lui offrir pour avoir la paix. Du sexe ? Je suis sûr que les triplées se feraient une joie de s'en occuper. Non pas de sexe, il se méfierait trop si trois beauté comme elles venaient le brancher. De l'argent ? Je ne crois pas.

— Monsieur Kent. Quel est votre but véritable ? demandé-je en le fixant intensément.

Il semble perdu dans l'abime de mon regard mais il parvient à s'en détacher. Décidément entre lui et Lucie j'ai du mal à assurer en ce moment.

— Monsieur Ellis, vous voulez savoir ce qui m'anime ?

J'acquiesce. Finalement, je n'ai peut-être pas perdu la main.

— Je veux vous voir tomber ! Il y a dix ans quand vous vous êtes implantés ici vous avez transformé notre petit village en station balnéaire « in » pour les fêtards du monde entier, vous avez réussi à obtenir un permis de construire alors que cela faisait des années que le maire faisait barrage pour préserver la vue, à cause de vous, tout ce qui faisait le charme de cet endroit a disparu, ma mère a dû fermer son commerce à cause de la concurrence de la grande surface qui s'est implantée attirée par les touristes qui viennent en masse polluer nos plages. J'ai toujours su que vous aviez magouillé pour obtenir le permis même si je n'ai jamais pu le prouver mais aujourd'hui c'est différent. Vous êtes impliqué, d'une façon ou d'une autre, dans la disparition d'au moins quatre personnes, je vais rassembler des preuves et dans quelques temps vous et votre night-club pourrez vous installer ailleurs.

— Et vous quoi ? Vous aurez le Pulitzer c'est ça ?

Son regard brille d'arrogance. Son histoire sur sa mère qui a perdu son commerce est peut-être vraie, mais son réel objectif c'est la reconnaissance de ses pairs. Je sais reconnaître le parfum de l'orgueil et lui il empeste à dix kilomètres. Parfait, maintenant je sais quoi faire pour m'en débarrasser, je dois le décrédibiliser.

— Monsieur Kent, je vous souhaite bonne chance dans votre enquête, j'ai hâte de lire votre article.

Je lui indique la sortie, signe que l'entretien est terminé. Il quitte le bureau, réceptionné par Kala qui l'escorte jusqu'à la sortie. Je finis mon verre et attrape mon téléphone. Je compose le numéro de Franck qui décroche à la première sonnerie :

— Patron ?

— Il faut la préparer, sortie dans deux semaines.

— Je ne crois pas que...

— Franck, ce n'est pas une demande, c'est un ordre. Tu as deux semaines, pas une de plus.

Je raccroche. Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre. Je m'assieds derrière mon bureau et ouvre machinalement le dernier tiroir. Mon regard se pose sur la paire de chaussures qu'elle a oubliée l'autre jour à la terrasse du café. Je ne serai pas un vrai gentleman si je n'allais pas les lui ramener.

— Patron ?

Je lève la tête vers Kala.

— Le lieutenant Grant est ici et souhaiterait vous parler.

C'était sûr. Lucie a dû aller raconter son agression et il est là de manière officielle. Journée de merde !

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant