Chapitre 1

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Chapitre 1

« Le problème avec Gabriel, c'est qu'il n'y a pas de demi-mesure : soit on l'aime, soit on le hait. Puis on passe beaucoup plus de temps à le haïr qu'à l'aimer. Sauf Naël, mais Naël, y a personne qui le comprend vraiment. »

— Marie Saint-Clair


Mes parents sont debout dans la cuisine, en train de se disputer à propos de la meilleure manière de me punir, pendant que je suis installé face à eux, le regard perdu dans le vide. Ils ne peuvent pas me priver de télévision parce que je n'en ai plus ; ils ne peuvent plus me retirer ma console, mon scooter et mon argent de poche non plus car c'est déjà fait. Mon ordinateur n'est plus relié à Internet depuis longtemps et il ne me sert que pour les cours. Quant à mon portable, s'ils me le suppriment, ils n'auront plus aucun moyen de me contacter et ne pas savoir où je suis est certainement pire pour ma mère que recevoir un énième coup de fil du lycée – ou du commissariat. Ils ne peuvent pas me forcer à aller à l'église tous les dimanches parce que je le fais déjà, ils ne peuvent plus m'imposer de donner des cours de catéchisme aux plus petits car, ça aussi, je le fais déjà. Aider ma voisine à faire ses courses, faire du baby-sitting à mes heures perdues, organiser les ventes de charité de la paroisse, distribuer la soupe populaire tous les vendredi, enseigner le piano à ma voisine... tout ça, je le fais déjà.

Quand mon père glisse dans la conversation qu'il ne me reste plus que le service militaire, je serre un peu les fesses.

« Mais t'es complètement cinglé ! », s'indigne ma mère.

Ma carrière de militaire prend subitement fin. Dommage, j'me voyais bien pilote d'avion de chasse, moi, à faire des loopings dans les airs pour séduire qui accepterait d'être séduit.

« Bon, tu es privé de sortie jusqu'à la fin du mois. »

Ma mère tranche, dépitée. Elle sait que, si je veux sortir, je le ferai par la fenêtre puisque c'est interdit par la porte. J'ai conscience qu'ils ne savent plus quoi faire, mais puisqu'ils ne me supportent plus, autant leur donner de véritables raisons.

« Ok, maman.

— Monte dans ta chambre. »

Je me lève et je m'exécute, non sans oublier de ramasser mon portable.

« Gabriel ? »

Le ton de mon père me force à m'arrêter ; son visage exprime une profonde déception et ça me retourne l'estomac. J'essaie vraiment d'être quelqu'un de bien, mais ce n'est jamais suffisant. Pour personne. Parce que c'est plus facile de pointer le négatif que le positif.

« Qu'est-ce qu'il y a ?

— La prochaine fois, c'est la porte. »

Cette décision, il vient de la prendre seul. Je le sais parce que le visage de ma mère est complètement mortifié par l'écho de cette phrase lourde de conséquences. Mais, dans leur démarche de couple solide, elle ne dit rien et encaisse le choc difficilement – un peu comme moi. Je devrais me taire, je sais, mais je suis trop blessé pour ça. Je n'ai pas envie que ça se voit alors j'active mon meilleur mécanisme de défense : la provocation. C'est plus fort que moi.

« Laquelle ?

— Comment ça, laquelle ?

— Bah... quelle porte ? Si c'est celle de ma chambre, j'peux toujours aller dans celle de Marie, je suppose.

— Dégage de là.

— C'est pas poli.

— Gabriel, ne commence pas !

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant