Chapitre 2

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« Gabriel, c'est celui qu'on veut oublier parce qu'il nous attire des ennuis, mais c'est aussi celui dont on a besoin pour se rappeler qu'on existe. Gabriel devrait donner son prénom à une drogue parce que, par définition, c'est ce qu'il est. »

— William Powell


Mes parents me font la gueule depuis plus d'une semaine – surtout mon père – et je ne suis toujours pas convié aux repas ; en d'autres termes, je crève de faim. Je n'ai pas fait attention à l'heure en descendant chercher un morceau de pain de mie, histoire de me caler : ils sont tous les trois en train de manger. Ils rient beaucoup, ça a l'air d'être vraiment sympa et quand ils me voient arriver, ils arrêtent presque de respirer – et ma sœur repose carrément sa fourchette, l'air coupable. Ils sont en train de manger des hamburgers fait maison tout en profitant du calme de mon absence et ça me blesse. Ça me blesse de constater qu'ils sont mieux sans moi, plus sereins et plus heureux. Mais je ne fais aucun commentaire. Pas de bonjour, rien. Je continue de prétendre que je n'existe pas puisque ça à l'air de leur réussir.

« Gabi tu–

— Désolé, je n'avais pas vu l'heure, je ne serais pas venu vous interrompre sinon. »

Je prends quand même ce que je suis venu chercher avant de faire demi-tour, le cœur lourd. Cette situation, c'est moi qui l'aie provoquée, je le sais, mais ça n'en est pas moins difficile.

« C'est tout ce que tu manges ?

— Qu'est-ce que tu veux que je mange d'autres ? Y a juste ce qu'il faut pour vos repas et vous avez bloqué ma carte bancaire. »

Le dire à haute voix m'arrache la gorge tant la rancœur que j'éprouve prend de la place.

« Vous avez coupé sa carte ?

— Oh, c'est bon, Marie. Pas besoin de faire comme si ça te faisait de la peine. »

Elle se tait et fixe son assiette ; avec ma sœur, on a toujours été très fusionnels et soit on s'adore, soit on se déteste. C'est comme ça. Mais même dans notre haine, on s'aime et on ne peut pas s'empêcher d'être collés l'un à l'autre. Cette fois-ci, c'est différent parce qu'elle m'a complètement tourné le dos. Marie, elle est supposée être en colère mais s'arranger pour me filer à bouffer en douce, c'est comme ça qu'on fonctionne. Je réalise maintenant qu'elle pensait vraiment ce qu'elle m'a dit la dernière fois : je lui fais honte.

« Tu sors moins, c'est mieux comme ça. »

La réponse de mon père est toute faite, exactement comme s'il se l'était répétée plusieurs fois, juste au cas où je viendrais me plaindre.

« Tu peux prendre du jambon, Gabriel. Un morceau de fromage... Tu peux te servir dans le frigo, tu le sais, ce n'est pas ce qui a été dit, c'est–

— C'est quoi ? J'me fais des pâtes tout seul comme un con ? Ça ira, merci. À 21 heures, Naël me remonte de la nourriture dans sa chambre et je vais manger là-bas comme un pauvre connard. Mais y a au moins quelqu'un qui se soucie de moi et qui n'aimerait pas que je sois ailleurs. »

Ce pic-là, il est pour ma sœur. Je sais qu'elle le prend mal parce que ça me bouleverse presque de voir son regard désolé s'abattre sur moi.

« Gabriel, tu mélanges tout. Nous ne voulons pas que tu sois ailleurs, c'est une simple punition.

— Ah ouais, papa ? Une simple punition ? Pas nourrir ton fils et ne pas lui adresser la parole pendant une semaine, c'est une punition ? Moi j'appelle pas ça une punition, j'appelle ça un deuil. Alors c'est bien, habituez-vous à ce que je ne sois pas là parce que dès que je peux, je me casse.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant