Chapitre 17

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« Etre parent n'a rien de difficile. Assumer les erreurs qu'on a faites en pensant que c'était de l'éducation est le véritable challenge. »

— Madeleine Saint-Clair


Ce moment, je l'ai redouté autant que je l'ai attendu pendant des années : William m'accompagnant chez mes parents pour les rencontrer. Enfin. Une tape sur l'épaule attire mon attention. William me sourit alors qu'on s'arrête devant la porte d'entrée, avant de sonner.

« Comment tu te sens ? »

Je hausse les épaules. C'est très confus. Par exemple, je sonne, alors que c'est chez moi. Est-ce que c'est révélateur de quelque chose ? Je crois oui, ça fait un moment que je ne me sentais plus être le bienvenu ici.

« Je n'en sais rien. Stressé, peut-être ? »

Je n'ai pas le temps de m'étendre plus : la porte s'ouvre et ma mère fond sur moi pour me serrer dans ses bras. J'appréhendais les retrouvailles : est-ce que ce serait tendu, est-ce qu'elle serait sur la réserve, est-ce qu'elle camperait toujours sur les positions qui l'ont poussé à me foutre dehors ? Je réalise maintenant qu'elle ne s'est même pas posée toutes ces questions : c'est ma maman et je lui ai manqué. Alors, moi aussi, je la serre dans mes bras aussi fort que je le peux. La tape de William sur mon épaule me fait comprendre qu'on me parle ; ma mère chuchote à mon oreille gauche.

« Pardon maman, j'entends pas. »

Je me détache d'elle et je constate qu'elle pleure. Ça me retourne les trippes.

« Maman...

— Désolée, tu m'as manqué. »

J'essuie ses larmes avant de déposer un baiser sur sa joue.

« Viens... »

Le reste de sa phrase est incompréhensible et ça me fend le cœur au point de voiler mon regard sur le champ : ma mère a une voix trop douce, trop aiguë. Je ne parviens pas à l'entendre parfaitement. Je lis sur ses lèvres, je crois entendre quelque chose en essayant de me rappeler du son de sa voix, mais c'est très loin de la réalité. Je n'entends plus la voix de ma maman, je ne l'entendrais plus jamais et c'est presque insupportable.

« Qu'est-ce qu'il se passe ?, demande William.

— Je n'entends plus sa voix. »

J'ai dû parler trop fort parce que le visage de ma mère change complètement ; je peux y lire tellement de peine et de regrets que je retourne directement lui faire un câlin.

« C'est rien, ça va aller. »

Je mens, bien sûr, mais pour le moment, c'est nécessaire.

Elle nous amène dans le salon où mon père se tient là, droit comme un I. Dans mon souvenir, il n'avait pas l'air si vieux et je ne suis pas stupide : je sais que mon départ y est pour quelque chose. Avec mon père, on n'a jamais été dans la démonstration de sentiments parce que ce n'est pas mon truc, mais quand on manque de mourir à l'autre bout du monde, seul, et loin de sa famille, on arrête de se poser trop de questions. Enfin, je crois.

Je m'approche de lui pour le serrer dans mes bras et son étreinte me fait beaucoup de bien. Marie est là aussi, installée dans le canapé. Elle se lève pour me faire un câlin et je réalise à quel point le sens du toucher est important lorsqu'on n'est plus capable d'entendre combien est aimé. Là, je peux le sentir. Ça n'était jamais arrivé avant.

« Je vous présente William. C'est... »

William me coupe la parole ; je le sais parce qu'il tend une main à mon père et que j'ai reconnu les vibrations qu'émet sa voix lorsqu'il parle. C'est une voix grave, j'entends beaucoup mieux. Il s'est présenté à mes parents et je ne sais pas sous quelle forme. Est-ce qu'il a dit qu'il était mon ami ? Mon petit ami ? Une connaissance ? Vu la distance qu'il met entre nous, je suppose qu'il s'est présenté comme un ami – et c'est sans doute pour ça qu'il m'a coupé la parole.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant