Chapitre 19

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« Grandir n'a rien de difficile. Faire des choix et les assumer, ça, c'est devenir adulte. Et, la plupart du temps, ça fait affreusement mal. »

— Naël Hart


Mes parents ont invité des amis de la paroisse à dîner et, même si j'étais d'accord de commencer à voir du monde, j'avais oublié à quel point ça pouvait être long et agaçant. Marie n'est pas là, elle est avec des "amies filles" – Chris – et je me retrouve rapidement noyé dans toutes les conversations que je ne peux pas suivre. Quand je me lève, ma mère s'inquiète, mais je la rassure : je sors prendre un peu l'air. Tout va bien, j'ai juste un coup de chaud.

« Prends une autre part de gâteau ! »

Elle agrémente sa phrase du signe gâteau et je lui souris. Pour l'instant, mes parents ont beaucoup de mal à faire des phrases parce qu'ils savent que je les comprends, que je peux lire sur leurs lèvres, mais ils connaissent énormément de mots – bien plus que moi, j'ai l'impression – et ils illustrent leur phrase. Ça m'aide à apprendre autant que les cours chiants et redondant qui me donnent l'impression de ne jamais avancer vraiment.

« Merci. », je réponds en prenant une assiette avec un bout de gâteau. Puis je sors sur la terrasse pour m'y installer.

Il fait si noir que je ne distingue rien de mon jardin. Il fait froid, aussi. Mais ce silence me fait un peu de bien. Parfois, les acouphènes m'accompagnent dans ce silence angoissant et je les déteste un peu moins.

Sur la gauche, je vois soudain la lumière s'allumer et la porte s'ouvrir et se refermer à toute vitesse. Je ne sais pas si on la claque, je suppose que oui. Je ne sais pas qui est dehors. Si quelqu'un des vraiment sorti. Je fixe la lumière un long moment, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne automatiquement. J'en déduis que personne n'est dehors, en fin de compte. Je traine mon assiette jusqu'à moi pour m'emparer du bout de gâteau que ma mère m'a donné. Aujourd'hui, on m'a demandé ce que j'aimerais faire de ma vie, maintenant. J'ai répondu que j'aimerais assez mourir – ça n'a fait rire que moi – alors j'ai dit que j'aimerais devenir pianiste et seul mon père a rigolé. Finalement, je me suis heurté moi-même avec cette dernière proposition de carrière et j'y ai pensé toute la journée. Est-ce que je serais encore capable de jouer du piano ? Certainement, oui. Est-ce que je l'entendrais ? Aucune idée. J'ai aussi beaucoup pensé à Elsa, parce que je l'ai abandonnée sans la prévenir. Je n'arrête pas de réaliser à quel point j'ai pu être égoïste et à quel point je mérite tout ce qui m'arrive.

Le petit caillou que je me prends sur la main me ramène à la réalité. Je suis sa trajectoire et lorsque je vois la tête de Naël dépasser au-dessus de la palissade, je retiens un éclat de rire. Il signe quelque chose qui ressemble à "attends" avant de disparaître de mon champ de vision. La lumière se rallume, la porte s'ouvre et se referme et j'attends.

Lorsqu'il réapparait, c'est sur le côté de ma maison ; il a fait le tour pour me rejoindre. Il fait sombre alors, s'il parle, je ne l'entends pas. Il attrape une chaise pour s'installer du côté de mon oreille valide et il lance la lampe torche sur son portable pour avoir une source de lumière. Naël, je l'entends bien. Il a une voix grave et lorsqu'il est près de moi, je comprends presque tout.

« Salut, dit-il. J'ai mis du temps à te croiser, tu n'étais jamais chez toi.

— Ma sœur aime bien me traîner partout. Tu étais au courant pour Chris ?

— Oui.

— Tu en penses quoi ?

— Je n'ai jamais aimé Chris. »

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant