Chapitre 15

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« Voir deux personnes s'aimer à ce point est déroutant, surtout lorsqu'ils se détestent tout autant. »

— Jessica Butler


Lorsque j'ouvre les yeux, la douleur qui me lance dans la jambe est presque insupportable. J'essaie de me redresser mais on me maintient directement sur mon lit et le brouhaha que j'entends autour de moi ne m'aide pas à me calmer. J'ai l'impression que tout le monde s'agite, que tout le monde panique, que tout le monde crie en même temps sans pour autant émettre de son clair. Je suis ramené au calme par une main sur mon visage, une voix lointaine qui parvient jusqu'à moi et un regard aussi inquiet que bienveillant.

William est là, juste devant moi. J'ai l'impression de devenir fou parce que j'ai carrément des hallucinations, maintenant. Ça fait des jours que je me réveille chaque fois dans un nouvel endroit, que j'ai mal, que je suis confus au point de ne plus rien entendre et d'avoir une vision complètement déformé de la réalité ; la seule chose qui ne change jamais est l'intensité de douleur qui me transcende chaque fois que je parviens à être conscient plus de quelques minutes. Puis il y a ce bourdonnement insupportable qui ne s'arrête jamais. Mon corps est fatigué, je le sens, comme mon esprit. Est-ce que je suis mort ? Parce que c'est peut-être ça l'Enfer : l'horreur d'être dans le flou, la souffrance et l'incapacité de réagir comme on le voudrait.

Le pire de tout c'est que trop s'agiter pour obtenir des réponses conduit encore et toujours à la même issue : un black-out complet.

Quand j'ouvre les yeux à nouveau et le même cirque se répète. Encore. Mais cette fois-ci, William est toujours là, le décor a changé, mais il est là. La douleur est moins vive et j'ai l'impression de planer. Je m'agite moins. Surtout quand il s'approche de moi pour me dire à l'oreille que tout va bien, que je suis sain et sauf, loin de ce pays de malheur et que je suis pris en charge par les meilleurs. Il m'explique aussi que je ne peux pas parler pour l'instant parce que j'ai été intubé par des charlatans et qu'une inflammation des cordes vocales m'empêche de produire un quelconque son.

« Mais c'est rien, ça va aller. Tu vas pouvoir reparler. »

Il caresse mon visage, embrasse mes yeux, mon front. J'ai encore envie de parler mais, en effet, aucun son ne sort. Si je n'avais pas l'impression d'avoir du coton dans la bouche, je crois même que j'aurais mal.

Il prononce une phrase et j'ai l'impression qu'il ne parle pas anglais. Ça ressemble à plein de sons différents qui ne vont absolument pas ensemble et, pourtant, j'ai cru comprendre qu'il s'adressait vraiment à moi. Comme j'affiche un air perplexe, il s'approche à nouveau de mon oreille pour parler.

« Tu te souviens de ce qu'il s'est passé ? »

Sa voix est lointaine et elle ne couvre même pas le brouhaha de ce bourdonnement qui ne s'arrête jamais. Mais je l'entends.

Je secoue la tête en guise de réponse et il s'approche à nouveau pour me demander si je suis sûr. Alors je ferme les yeux quelques secondes parce que j'ai du mal à réaliser ce qu'il se passe. Je rouvre les yeux pour regarder autour de moi. Jessica est installée dans un coin de ce qui est très certainement une chambre d'hôpital. Qu'est-ce que Jessica fout ici ? Je ne pose pas la question, mais elle me fait un petit signe de la main. Je suis carrément en train de perdre les pédales, mais ça n'inquiète que moi, apparemment.

Lorsque William s'approche à nouveau de mon oreille, j'ai presque envie de l'envoyer chier mais je crois qu'il est actuellement la seule personne me reliant à la réalité alors je le laisse faire.

« Tu étais au Guatemala. »

C'est comme un violent choc à la tête. A nouveau, j'entends des cris de panique, des hurlements. Tout le monde court, s'essouffle, pleure. J'entends encore les chuchotements de ceux qui se cachent. J'entends les tirs. J'entends l'horreur, comme si elle avait un son particulier. J'entends les supplications. J'entends encore les chuchotements de ceux qui tentent de survivre, de ceux qui résistent. J'entends les ordres. J'entends qu'on doit tous mourir et j'entends l'explosion.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant