Chapitre 21

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« Peu importe la force avec laquelle on refoule ses émotions et ses sentiments, il y a toujours un jour où ça nous explose au visage. Le tout c'est d'être prêt à avoir la bonne réaction ce jour-là. »

— Naël Hart


Je ne sais pas pourquoi mais, ce matin, en me rendant à la messe avec mes parents, j'ai eu l'espoir d'y voir Naël. Pendant une heure, j'ai cru qu'il débarquerait dans un coin, pas loin de moi, et qu'il me signerait les quelques mots qui me permettraient de ne pas perdre le fil. Mais il n'était pas là parce qu'il n'a plus aucune raison de s'investir autant. Il a dit que c'était quelque chose qu'il ferait certainement en sous-entendant « si on était encore ensemble » et ce n'est plus le cas. A cause de moi.

En rentrant, j'aperçois son vélo en vrac dans son allée et j'essaie de me souvenir de la dernière fois qu'on a fait du vélo tous les deux. Ça me semble tellement loin que j'ai l'impression que c'était dans une autre vie. Celle où j'entendais. Celle où j'étais heureux tout en pensant que je ne l'étais pas. Celle où ma seule préoccupation était de convaincre William que je devais être le seul.

Ma mère pose une main sur mon épaule et je tourne la tête pour pouvoir la regarder. Elle me parlait certainement depuis un moment, étant donné son air béat, semblant réaliser que, non, je ne suis plus un ado en crise, mais je suis sourd comme un pot. Elle oublie parfois, certainement parce que les habitudes ont la vie dure. Je n'imagine pas la douleur de ma mère, chaque fois qu'elle s'en rappelle. Le redécouvrir doit être atroce parce que je sais qu'elle s'en veut, qu'elle se demande ce qu'elle a raté, pourquoi les choses se sont passées comme ça et si elle n'est pas à l'origine de mon malheur en m'ayant mis dehors. Chaque fois que je croise son regard, j'y vois une profonde tristesse et une honte immense. Parfois c'est supportable, mais aujourd'hui c'est trop dur. Je m'approche pour la serrer dans mes bras et quand je la sens sangloter contre moi, j'en déduis que ce qui a été dit à la messe l'a beaucoup fait réfléchir.

« Maman, c'est pas ta faute. »

Ses sanglots redoublent et mon père s'approche pour passer une main dans le dos de sa femme. Doucement, ma mère s'arrête et elle me serre fort contre elle avant de se détacher de moi.

« Ça va. Désolée. », elle signe pour me rassurer.

Marie n'est pas là, ce matin. Apparemment, ça fait un moment qu'elle ne va plus à la messe ; elle a cessé de croire, à ce qu'elle dit. Mais aujourd'hui, elle n'est pas à la maison à nous attendre : elle passe le week-end chez Chris. Depuis qu'elle n'a plus à se cacher, je la vois de moins en moins souvent et ça me met un coup au moral, ça aussi. Je crois qu'à part ma mère, tout le monde s'habitue à ma condition et la vie reprend son cours. Je ne peux pas leur en vouloir à tous, mais je me sens isolé et je n'ai personne d'autre à blâmer que Chris. Chris que ma sœur aime. Alors je me demande à nouveau si être survivant est finalement une chance ou une punition ? Moi qui avait du mal à communiquer et qui ne voyait que par moi-même, on me fout dans cette situation merdique pour me prouver que je ne suis pas le seul au monde et que, pour communiquer, tout le monde doit y mettre du sien. C'est dur. J'aurais aimé que ce soit comme dans les films de Noël : à cause d'un lutin à la con qui voudrait me donner une leçon et qu'une fois la leçon comprise, je pourrais récupérer ma vie d'avant. Là, même si j'ai compris la leçon, je continue de patauger dans la semoule.

Ma mère tire sur ma main et je reviens à moi.

« Tout va bien ?, s'inquiète-t-elle.

— Oui. Je rêvais.

— Viens, on rentre. »

Je fais oui de la tête et je la suis lentement. C'est en regardant une dernière fois sur le palier de Naël que je vois Flynn sortir de la maison. Lui aussi regarde vers moi et nos regards s'accrochent. Ça ne dure pas plus de deux secondes et il rompt le contact. Il s'en va presque en courant et dans les quelques secondes qui suivent, Naël débarque à son tour. Nos regards s'accrochent également mais, cette fois-ci, je suis celui qui détourne les yeux. J'en ai assez de tout ça.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant