Chapitre 24

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« Gabriel, c'est comme une météorite. C'est beau de loin, mais trop proche, ça cause des dégâts irréversibles. Enfin, c'est ce que je pensais au début. Aujourd'hui, j'ai surtout l'impression que ces dégâts sont des aménagements nécessaires à une bonne compréhension. Parce que c'est là qu'il fait des dégâts : lorsqu'il est incompris. »

— Naël Hart


Vendredi, 19 h 50. Je suis prêt, installé dans le canapé à attendre que les minutes cessent de ressembler à des heures. Ma mère a très bien compris qu'essayer de meubler pour me faire patienter était inutile, alors elle est juste installée près de moi pour regarder la télévision.

« Je peux aussi y aller en avance et patienter chez lui s'il n'est pas prêt, non ? »

Ma mère ne bouge pas, l'espace d'une seconde, j'ai peur d'être devenu muet. C'est complètement con mais si une peur était rationnelle, alors on pourrait sans doute passer au-dessus.

« Maman, je t'entends pas. »

Immédiatement, elle se tourne vers moi avec un regard désolé. Là, je peux lire sur ses lèvres ; je ne suis pas muet, elle n'avait juste pas tourné la tête pour me répondre.

« Pardon mon cœur, je disais que c'était une bonne idée. Peut-être qu'il tourne en rond lui aussi. Tu sais signer "tourner en rond" ?

— Evidemment ! », je réponds en lui montrant le signe.

Elle le signe plusieurs fois avant de répéter sa phrase, illustrée cette fois-ci.

« J'y vais alors !

— N'oublie pas le sac du frigo !, dit-elle après avoir attrapé mon menton pour être sûre que je capte ce qu'elle disait.

— Oui maman, le sac du frigo. »

En fait, j'allais l'oublier mais elle n'a pas besoin de le savoir. Je fais donc un crochet par la cuisine, je récupère également le sac dans l'entrée et, au moment où je m'apprête à sortir, la porte d'entrée s'ouvre à la volée et je me retrouve face à ma sœur. Elle a les yeux gonflés d'avoir pleuré et ça me retourne l'estomac. C'est notre premier contact depuis des jours et j'aurais aimé qu'on continue de s'ignorer plutôt que d'être témoin de ça.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Tout va bien ?

— J'ai l'air d'aller bien ? »

Elle me contourne pour monter à sa chambre. Ma mère débarque dans l'entrée et je lui fais signe que je m'en occupe. Peut-être qu'on ne s'est pas parlés depuis longtemps, mais je ne supporte pas de la voir comme ça. Puis... je la connais par cœur, moi. Peut-être que ça ne lui plaît pas, mais on se ressemble énormément elle et moi.

Je monte les marches deux à deux et, comme elle n'a pas fermé à clé, je suppose qu'elle n'est pas indisposée à discuter. Je frappe et je rentre directement. Je ne sais pas si elle me demande de dégager ou si elle fait une quelconque remarque parce qu'elle est sur son lit, la tête enfoncée dans son oreiller. Je ne l'entends pas. J'entends très mal ma sœur lorsqu'elle parle à mon oreille alors, au loin comme ça, je ne l'entends pas du tout. Je m'assois sur son lit et là elle relève vivement la tête.

« Mais t'es bouché ou quoi ?! Sors d'ici ! J'ai envie d'être toute seule ! »

On se regarde un moment sans rien dire.

Jusqu'à ce qu'elle réalise.

« Pardon Gabriel ! »

Elle fond en larmes et, du coup, je comprends rien. J'arrive à peine à lire sur ses lèvres et c'est affreux parce qu'elle a l'air de vider son sac et je me sens affreusement mal de devoir la couper.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant