L'Appel de l'Ancien Monde - Tome 1 : La chute de l'Ange

La dernière des Darkhane

« I lost something I never had. Yet it hurts, just as bad. »

Auteur inconnu

Je rentrai sans un bruit dans ma chambre. J'étais sur le point de me jeter sur mon lit lorsque je vis une silhouette qui m'attendait, dans la pénombre je ne l'avais pas tout de suite remarqué. En un geste je dégainai mon épée et menaçai mon assaillant.

— Eh bien, siffla une voix qui ne m'était pas étrangère, je vois que tes réflexes sont tout aussi remarquables. Tu peux abaisser ton arme ce n'est que moi.

Je reconnus enfin la silhouette encapuchonnée dans un long manteau rouge. C'était Ivora. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire là ? À une heure aussi avancée de la nuit ? J'abaissai mon arme et la rangeai. Interloquée et un peu paniquée, je l'interrogeai :

— Que se passe-t-il ? Quelque chose est arrivée à Lara et Eran ?

Mon cœur s'accéléra. Oh non... Tout mais pas ça. À mon plus grand soulagement elle secoua la tête.

— Non rien de cela, rassure-toi. Ils seront bientôt de retour. Je suis venue te parler d'autre chose, dit-elle d'une voix hésitante.

Je fronçai les sourcils, n'ayant aucune idée de la raison de sa soudaine visite. Elle commença à faire les cent pas dans ma chambre. Elle contemplait chaque petit recoin, s'arrêtait devant l'armoire ouverte et posa les yeux sur son contenu. Le tout en étant aussi imperturbable qu'à l'ordinaire.

— Il y a quelques années je suivais de très près une élève particulièrement douée et prometteuse, commença-t-elle d'une voix sans émotion. Elle maniait l'épée avec élégance et précision. Elle était remarquable, fougueuse et passionnée. Je l'aimais beaucoup et pour cause... ta mère te ressemblait beaucoup, en tout point de vue. Comme toi, elle se posait beaucoup de questions, n'était jamais satisfaite d'elle-même et essayait toujours de se surpasser. C'est cet acharnement qui l'a amené à cette puissance. Le jour où elle s'est enfuie, où elle nous a trahis. (Sa voix se brisa) J'ai vu mon propre enfant salir toute la réputation de ma famille. La lignée des Darkhane a toujours été respectée. Ma fille, ta mère Sara, m'a beaucoup déçue. J'espère, mon enfant, que tu ne feras pas la même erreur qu'elle. Je l'espère sincèrement. Parce qu'en dehors de moi, tu es la dernière représentante de notre famille.

Je la toisai, elle me fixait elle aussi. Je remarquai alors les petits détails de son visage qui m'avait semblé tout à fait ordinaire et sans importance jusque-là. Ses yeux bleu foncé, ses traits délicats. Son air constamment grave. Elle me ressemblait. Incontestablement. Nous restâmes quelques instants ainsi, à nous jauger mutuellement. Ivora était ma grand-mère. Le dernier membre de ma famille. Je n'étais plus seule et en même temps je l'étais encore plus qu'avant. Ivora et moi n'étions plus dans le même camp, nous n'avions pas la même philosophie de vie... J'allais devoir combattre ma propre grand-mère.

— Si elle n'était pas partie, je ne serais pas née, finis-je par dire.

Son regard inquisiteur me cloua sur place, elle semblait lire en moi.

— Peut-être. Mais le prix de cette folie ne te semble pas un peu élevé ?

Je ne répondis pas. Ce n'était pas la peine, je ne devais pas montrer vers qui allait réellement mon allégeance. Mais intérieurement, je bouillonnais, j'avais envie de lui hurler que oui, certaines choses cela valait la peine de se battre et de mourir. Je me retenais. Je lui en voulais. Je lui en voulais de ne pas être la grand-mère qu'elle aurait dû être, de continuer à dénigrer sa fille et d'avoir accepté son assassinat sans se battre !

Ma mère était morte pour moi, Ivora, elle, avait vendu sa fille, n'avait eu aucun regret à la voir mourir. Ces deux femmes étaient deux opposés. Je la détestais, elle osait critiquer ma mère. Quelle mère ferait ça à sa fille ? Je ne posai aucune autre question. Je ne voulais pas lui faire ce plaisir, rien chez elle ne m'intéressait.