L'Appel de l'Ancien Monde - Tome 1 : La chute de l'Ange

Les étoiles du passé

« We're so distracted by how things end, we usually forget how beautiful the beginning was. »

Lamiya Waheed

Le soleil commençait à décliner à l'horizon, je rentrais tout juste de mon après-midi d'entraînement avec mon professeur, Evan. J'avais bien écouté toutes ses explications, je savais que mon apprentissage avec lui était presque fini, sans compter le fait que je prévoyais de m'enfuir avant. Il avait été content de mon travail aujourd'hui. J'avais beaucoup progressé selon lui, j'avais caché ma joie, mais intérieurement je jubilais.

Je n'avais pas revu Jason depuis son irruption dans ma chambre après le repas. Il était encore avec son professeur, je me demandais quand même ce qu'il avait de si important à lui dire.

Je m'assis sur mon lit et pris le petit carnet qui traînait sur le sol. C'était mon bien le plus précieux, il contenait les quelques souvenirs de mon enfance, des dessins, des événements que j'avais vécus et la plus belle chose à mes yeux ; une photo de mes parents. Je la pris et la contemplai, elle était légèrement usée à force de la toucher chaque jour. Je m'adonnais à ce rituel le plus souvent possible, pour avoir l'image de mes parents gravée à jamais dans ma mémoire, dans le cas où je devrais quitter les lieux en urgence et ne pas pouvoir emporter la seule image de mes défunts parents.

Ils avaient l'air heureux, ils étaient jeunes, la photo avait été prise un an seulement avant ma naissance. Les deux amoureux étaient tournés vers l'objectif. Ma mère était belle, très belle même. Elle avait les mêmes yeux bleus perçants que moi, encadrés de longs cheveux blonds, elle riait et des étoiles brillaient dans ses yeux. Mon père la serrait dans ses bras, ses yeux d'un noir intense semblaient lire au plus profond de votre âme. Il avait un regard mystérieux et serein. Ses cheveux, légèrement ondulés, étaient aussi noirs que la nuit, comme les miens. Je me confortais souvent en me disant que j'étais le parfait mélange de mes parents ; les yeux de ma mère, les cheveux de mon père, et que de cette façon, ils vivaient à travers moi.

Je reposai la relique avec précaution dans son carnet et le rangeai dans un tiroir. J'appuyai ma tête contre le mur et fermai les yeux. Penser à mes parents me rendait toujours triste et nostalgique. Je ne me souvenais peut-être pas de ma mère mais de mon père, oui, et j'en gardais un souvenir brûlant. Il était toujours doux et gentil avec moi, me poussant inlassablement à faire de mon mieux, à me surpasser mais sans jamais m'obliger ou me reprocher quoi que ce soit. Il avait foi en moi. Je me souviendrai toute ma vie de ce jour qui avait à jamais bouleversé ma vie...

Le jour venait de tomber, j'avais 10 ans, le nez collé à la fenêtre comme chaque soir, je voulais être la première de la planète à voir apparaître les étoiles dans le ciel. Mon père arriva dans ma chambre et vit sa fille émerveillée contempler le ciel nocturne.

Il sourit.

Elle était tellement belle dans sa petite robe blanche, tel un petit ange tombé du ciel, pensa-t-il.

— Alors Sara les étoiles sont toujours à leur place ? murmura-t-il, comme il lui demandait chaque soir

— Oui papa, elles sont tellement lumineuses ! J'aimerais pouvoir être comme elles, scintiller éternellement !

— Tu illumines déjà ma vie mon ange.

— Mais non papa, bougonna-t-elle. Je veux dire vraiment comme elles ! Tu verras, un jour je serai si forte que même les étoiles brilleront pour moi, et elles seront tellement fières qu'elles me demanderont de les rejoindre.

Son père lui caressa les cheveux.

— Je n'en doute pas un seul instant, souffla-t-il.

— Papa... C'est quoi ce bruit ?

Il se crispa et tendit l'oreille, il se tourna vers sa fille qui le regardait, le questionnant du regard. Comment n'avait-il pas entendu ? Des bruits de pas se faisaient entendre dans la nuit silencieuse, seul un Mirage très puissant pouvait entendre ce bruit subtil. Ce n'était pas normal, il le sentait au plus profond de lui-même.

Il se baissa à la hauteur de sa fille, la prit par les épaules et d'une voix apaisante mais ferme lui dit :

— Écoute-moi bien Sara, tu vas rester bien sagement dans ta chambre, c'est d'accord ? Cache-toi sous la latte du sol qui s'est cassée la semaine dernière, tu t'en souviens ? Et ne sors pas ! Sous aucun prétexte ! Je reviendrai te chercher le plus vite possible ! C'est compris ?

La petite fille avait l'air terrifié, dans ses yeux il put lire qu'elle avait compris ce qui allait se passer, elle était bien trop intelligente.

— Promis, mais ne me laisse pas papa, supplia-t-elle.

Il la regarda une dernière fois et l'embrassa tendrement sur le front.

Les dernières paroles de mon père résonnaient encore clairement dans ma mémoire :

— Si tu te sens seule Sara, ou si tu es confrontée à un choix important, regarde vers le ciel, il te guidera, il est le foyer des plus belles étoiles, et tu en feras toujours partie, Sara, quoi qu'il puisse t'arriver. Regarde vers le ciel, ma fille, regarde vers l'avenir. Mais n'oublie jamais, les étoiles qui brilleront éternellement pour toi, dans ton cœur, elles peupleront tes rêves, et tu ne seras jamais seule. Quoi qu'il arrive mon ange je serai toujours fière de toi.

L'enfant put voir une larme rouler sur le visage de son père, puis il partit sans se retourner. La petite fille partit se cacher comme son père lui avait demandé. Mais elle comprendra bien plus tard le sens de ses paroles, qui n'était rien de plus qu'un adieu.

Le retour à la réalité fut douloureux pour moi, un des pouvoirs des Mirages consistait à revivre avec une grande intensité des souvenirs d'une vie. Et à ne jamais les oublier... Je connaissais par cœur la suite. Les Guerriers de l'Ombre furent là une minute plus tard, j'avais entendu mon père se battre vaillamment, mais ils étaient trop nombreux, il mourut quelques heures plus tard. Je n'avais pas bougé de ma cachette, et les Guerriers de l'Ombre étaient partis tout de suite après avoir assassiné mon père, et aussi étrange que cela puisse paraître, sans me trouver. Les Gardiens de la Paix étaient arrivés rapidement sur les lieux et m'avaient recueilli.

La mort de mon père avait irrévocablement touché notre monde, il était un Mirage respecté, pacifiste et écouté.

Je mis ces images dans un recoin isolé de mon cerveau et tentai de me calmer. Ressasser de vieux et douloureux souvenirs était dangereux pour notre équilibre, Evan ne cessait de me le répéter et de me mettre en garde, mais c'était plus fort que moi. Je voulais comprendre et savoir. Je fis le vide dans ma tête, séchai les larmes qui avaient coulé à mon insu et tentai vainement de dormir.

Ce que je ne savais pas encore, c'est que ce n'était pas dû à un simple hasard si j'étais encore en vie et que les Guerriers de l'Ombre ne m'avaient pas trouvé et tué, il y a 7 ans, non, ça n'avait rien d'une coïncidence.