Arrest Me - T2

3. Vue

ZOÉ

— Qu'est-ce que tu fais ?

Il me tend sa main.

— Viens, c'est une belle vue.

Les sourcils froncés avec scepticisme, je cale mon pied sur l'une des plus grosses roches de la petite falaise et sécurise ma paume dans la sienne. Je pousse sur ma jambe au sol et sur celle sur la roche puis me laisse tirer par le bras de Donovan vers le haut. Je saute sur la falaise à côté de lui pendant que le vent me fouette le visage et décoiffe mes cheveux que j'ai bêtement laissés cascader dans mon dos.

Et il a raison.

La vue sur cette falaise est incroyable.

Il m'a emmenée dans un parc national, aujourd'hui, au centre duquel il y a un énorme lac, des arbres et des collines. Nous nous sommes perchées sur l'une des montagnes semi-rocailleuses qui surplombent le lac alors que le soleil se couche. J'inspire l'air frais à pleins poumons en observant avec émerveillement le miroitement de l'eau du lac, les feuilles des arbres qui s'agitent au gré du vent, les personnes qui prennent une marche en bas, les oiseaux qui migrent à nouveau vers le nord parce que le printemps tire à sa fin.

Ça fait du bien de sortir. Ça fait du bien de voir le monde autrement que derrière une fenêtre.

C'est seulement lorsque j'entends un bruit de froissement derrière moi que je coupe ma contemplation pour me retourner.

Donovan est assis à même le gazon avec deux sacs de bouffe du McDo et déballe ce qu'il a acheté.

Ses muscles d'acier ondulent sous sa peau foncée qui scintille sous le soleil à chaque mouvement qu'il fait. Je remarque sa barbe et ses cheveux noirs taillés à perfection, aujourd'hui, comme ceux de Noah lorsqu'il est venu me voir hier. Je crois qu'ils sont allés chez Jared ensemble.

Il faut vraiment que j'arrête de mater.

Je ne sais pas ce qui m'arrive, putain.

Un homme est un homme, après tout.
Ne jamais se déverser sur un homme, c'est ce que ma mère m'a toujours appris.
Ne pas avoir l'air trop accessible.
Ne pas tout révéler d'un coup.
Le laisser, lui, poser des questions, et non le contraire. Maintenir l'intérêt pour s'assurer qu'il ne te fréquente pas pour les mauvaises raisons.

J'ai brisé toutes ces règles avec Greyson.

Je suis en train de les briser avec Donovan.

Je suis en train de m'auto-foutre-en-l'air avec mes décisions.

Comme si je n'étais pas déjà la honte de la famille, je vois déjà ma mère se frapper le front de découragement.

— Tu viens ?

Les lèvres pincées, je m'approche de lui et conserve une distance respectable entre lui et moi pendant qu'il me tend mon MacPoulet grillé aux tomates et à la mozzarella.
Il me connaît bien, ce con.

Lorsqu'il me sourit de ses dents blanches, parfaitement alignées à cause des broches qu'il a eues à ses quinze ans, je sens ma détermination à être froide vaciller.

C'est étrange.

Je le connais depuis qu'il avait treize ans et qu'il passait avec son vélo chercher Noah pour aller faire des conneries au parc à deux rues de notre maison. Je le connais depuis qu'il avait le front plein de boutons et des bras et des jambes de poulet comme ma tante Mika dirait. J'avais à peine huit ans.

Parfois, j'allais au parc avec eux. D'autres fois, Noah en avait marre de constamment s'occuper de moi et refusait que je les accompagne. Lorsqu'ils ont tous les deux eu seize ans, j'ai compris pourquoi ils ne voulaient pas que je vienne : ils y voyaient des filles de leur lycée et ils ne voulaient pas que j'en parle à maman ou à Jade.
Évidemment que j'en ai parlé.