Ma langue est pâteuse. Avant même que j'ouvre la bouche, je sens que ma voix sera éraillée. Comme pour confirmer mes dires, je tente de sortir un son, mais un ignoble raclement proche du brame d'un cerf me fait écarquiller les yeux. Surprise par mon propre corps, je me tais aussitôt, et tente d'attraper le verre d'eau posé sur ma table de nuit, probablement par ma mère ce matin. Le liquide libérateur coule dans ma gorge comme un fleuve sacré. Je ne repose le verre que complètement vidé de la moindre goutte, puis m'effondre sur mon lit, décidément épuisée. Au moins, je peux dire que j'ai bien profité de ma soirée d'anniversaire. Je me demande comment vont les filles, je me souviens plutôt bien de leur état, à elles aussi.
La curiosité plus forte que la douleur, j'ouvre de nouveau difficilement les yeux et trouve mon téléphone, perdu au fin fond de mes draps. Un message non lu me confirme ce que je savais déjà, je ne peux m'empêcher de pouffer.
< Ma tête ... On dirait que quelqu'un a fait un trou dans mon crâne, y a inséré une paille beaucoup trop grosse pour ce même trou, l'a plantée dans mon cerveau, et a aspiré de toute ses forces avant de me mettre une bonne claque derrière la tête. Et toi ma p'tite lesbienne, comme tu vas ce matin ? ;) JULIE >
Si jusqu'ici je me sentais relativement bien, compte tenu des conséquences de mon alcoolisation extrême, j'ai l'impression que le sang s'échappe de mon visage à la lecture de cette dernière phrase. Merde, c'est vrai, je suis lesbienne. Calme toi Anita, rien ne presse, tu n'es pas obligée de subir les conséquences de ce chamboulement dans la seconde. Pas à pas, étape par étape. Je réponds juste ce qu'il faut à mon amie pour lui signifier que je suis en vie puis me lève pour avaler quelque chose de solide, et de préférence plein d'acides gras saturés.
Ce doit faire au moins dix minutes que je suis plantée devant le placard ouvert de la cuisine. Malgré le choix qui s'impose à moi, je ne réussis pas à savoir quoi manger. Sucré ? Salé ? Chaud ? Froid ? Une véritable et sincère bataille se joue à l'intérieur de mon crâne, si bien que je n'entends pas ma mère arriver derrière moi.
- Anita, il est midi, je vais faire à manger. Vous me fatiguez à toujours faire comme bon vous semble ! Je me décarcasse à trouver des menus, à vous cuisiner des plats sains et bons, et je me retrouve toujours avec des quantités astronomiques !
- Tu sais, tu n'es pas obligée de me vouvoyer ...
- Oh tu me fatigues ! Tu sais ce que je veux dire, c'était pareil quand Pierre vivait toujours à la maison.
- Bonjour ma petite maman chérie d'amour.
Elle s'arrête aussitôt de parler et un petit sourire prend place sur son visage, résigné. Je la prends dans mes bras et cale ma tête dans son cou chaud et rassurant. Je me sens tout de suite en sécurité, comme intouchable du reste du monde. Je profite de ces quelques secondes de calme, consciente que je ne m'en sortirais pas aussi bien.
- Je n'aime pas que tu boives autant.
Nous y voilà, et moi qui pensais avoir encore quelques instants devant moi. Ma mère a une sainte horreur de l'alcool, et ce quel que soit le contexte. Je me dégage de son étreinte et repart dans la contemplation de l'étalage de nourriture devant moi.
- Tu ressembles à ton père quand tu bois. Sans compter le mal que tu fais à ta santé.
Je lève les yeux au ciel avant de lui faire face, quelque peu agacée par ce que je prends comme une attaque matinale.
- Je ne suis pas mon père et je ne le serai jamais. Il y a une différence entre boire un peu trop de temps en temps, en soirée avec ses amis, et se torcher la tronche chaque putain de jour !
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Mon triangle d'or
RomanceQu'est-ce que le triangle d'or ? En mathématiques, c'est une valeur de proportion. En Arts, il est l'expression de l'esthétisme pur. Mais plus largement, certains le considère comme la divine proportion, l'équilibre ultime. Une vieille femme décide...