Mon triangle d'or

P1 - Chapitre 8 : Pauline

Ma garde-robe me semble bien vide à cet instant. J'ai l'impression qu'aucun vêtement ne me plaît plus. D'ailleurs il n'y a pas grand-chose qui me plaise chez moi en ce moment. Mon nez ressemble à une patate, mes yeux sont trop gonflés, mes lèvres sont trop fines, et je ne parle même pas de ce que je pense de mon corps. Si habituellement je n'ai pas une énorme confiance en moi, la perspective de voir la fille avec qui je discute depuis presque deux mois me met dans un état de stress beaucoup trop important. En plus de ça, je n'ai parlé à personne de cette rencontre. Je suis habituellement un livre ouvert, incapable de garder la moindre chose pour moi, que ce soit important ou non d'ailleurs. Mais cette fois est différente. Cette fois, je veux vivre les choses pour moi et uniquement pour moi.

La maison toujours vide est perdue dans le silence. Pierre a fini par retourner chez lui, il ne pouvait décemment pas rester avec moi plus longtemps, je suis une grande fille après tout. Le craquement du parquet résonne sinistrement en écho sous mes pas. J'ai même l'impression qu'il fait plus froid. Mais je me reprends, la situation n'est pas idéale, mais au moins ma mère est en vie. Pour l'instant en tout cas ne peut s'empêcher de lancer mon cerveau, que je gifle mentalement.

Affublée d'un jean, d'un t-shirt et d'une chemise à carreaux, j'enfile mon manteau et attrape mes clés de voiture avant de sortir de la maison. Je suis censée retrouver Pauline dans trente minutes, et je n'en ai besoin que de quinze pour rejoindre le camping où elle et ses amis se trouvent mais je préfère partir en avance, prendre mon temps et tenter de souffler sur la route.

Le paysage défile sous mes yeux alors que la boule de stress grandit en moi comme une bulle de chewing gum prête à exploser. Les champs à perte de vue se succèdent et m'empêchent de me concentrer complètement. Je ne pense qu'à la rencontre qui arrive, j'ai peur de dire n'importe quoi, de bégayer ou tout simplement d'être ridicule. En comme si ça ne suffisait pas, je vais me retrouver au milieu de ses amis, seule face à des inconnus. Mon cauchemar ultime. Une goutte de sueur coule le long de ma nuque, glaçant mon sang au passage, alors que je passe le panneau d'entrée de la ville.

J'arrive à l'entrée du camping et gare ma voiture sur le parking réservé aux visiteurs. Et si je pensais avoir encore quelques instants afin de me reprendre, et éventuellement vérifier que je suis à peu près présentable, je me suis fourrée le doigt dans l'œil. En effet, je vois sur ma droite un groupe de personnes s'adonnant à la pétanque, et je reconnais comme si elle brillait par sa simple présence, la flamboyante Pauline. Elle aussi m'a vue, puisque je la vois se diriger vers ma voiture, tout en riant et en faisant des signes à ses amis.

Une, deux, trois inspirations. Une quatrième pour la route, je ferme les yeux, j'inspire et je sors de la voiture. La porte claquée devant moi, je sens la présence de Pauline qui m'attend, immobile. Je me retourne pour lui faire face, consciente de la rougeur persistante sur mes joues. Mais dès que mes yeux se calent dans les siens, tout s'envole. Plus de peur, plus d'angoisse, plus de complexes. Je la vois mettre ses lunettes de soleil sur sa tête, et m'adresser à son tour un merveilleux sourire.

- Salut Anita.

- Salut ...

Ma voix n'est qu'un souffle et se perd dans la brise ambiante. Même si la peur n'est plus, ma timidité ne s'est malheureusement pas envolée avec elle. Je lui fais la bise et nous nous dirigeons ainsi, dans un silence confortable, vers l'endroit où ses amis semblent pris dans une discussion virulente.

- Non, non et non ! Je ne suis pas d'accord ! Tu as triché, je t'ai vu, avoue au moins !

Un grand brun barbu semble seul contre tous, il est le seul à l'air un peu énervé, alors que les autres semblent joyeux et plein d'entrain.