P1 - Chapitre 7 : Vivre

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- Maman, il faut qu'on parle.

Je me tiens devant le canapé, où ma mère s'était endormie comme tous les jours en ce moment. Je la vois ouvrir difficilement les yeux et s'asseoir laborieusement en soupirant.

- Anita ... Je suis fatiguée. Qu'est-ce qu'il y a de si important ?

- Tu m'as promis.

- De quoi est-ce que tu me parles ?

Cette fois, je sens les larmes affluer à mes yeux tels deux torrents incontrôlables. Je ne les retiens même pas, il serait vain d'essayer. A ce constat, je la vois baisser les yeux sur ses mains, posées sur ses genoux. Et là je sais. Je sais que j'ai raison, qu'il se passe exactement la même chose qu'il y a cinq ans. Et j'ai envie de la frapper, une rage monte en moi, je veux la secouer et la forcer à ne pas abandonner, à ne pas m'abandonner moi !

- Putain maman ! Il y a cinq ans tu m'as fait une promesse ! Tu m'as dit que plus jamais tu ne réessaierais, que tu te contrôlerais pour moi, pour nous ! Et rien qu'hier, tu m'as promis que tout allait bien, tu m'as menti !

- Je n'y peux rien, c'est plus fort que moi ...

Ses yeux toujours baissés, je ne ressens que du dégoût à cet instant. Je suis écœurée par tant d'égoïsme et de lâcheté. Elle ne se bat pas, elle est en train de lâcher prise. Chaque muscle de mon corps se tend, ma mâchoire se serre, mes pleurs se transforment en larmes de rage. Je me sens seule, si seule. Si ma propre mère m'abandonne, alors sur quoi puis-je m'appuyer ? Pourrais-je seulement un jour accorder ma confiance à quelqu'un alors que l'être que j'aime le plus au monde vient de la trahir ?

- Tu es une putain d'égoïste ! Tu ne fais aucun effort ! Pourquoi tu as fait des enfants si c'est pour les abandonner aussi lâchement ? Putain maman, je ne veux pas être seule, je ne veux pas que tu partes, je ne veux pas que tu meurs ! Ce n'est pas juste !

Ses yeux sont à présent en train de me fixer étrangement, une lueur nouvelle luit au fond de son regard. Elle ne dit rien mais continue de me regarder intensément. C'est ce moment que choisit mon corps pour se laisser aller complètement. Mes genoux me lâchent et je m'effondre sur le canapé, la tête dans mes mains. Je sens le corps de ma mère à mes côtés, chaud et vibrant, vivant.

Je la sens se lever mais je suis incapable de contrôler ce qu'elle fait. Je l'entends seulement attraper le téléphone, et attendre quelques instants que son interlocuteur ne réponde.

- Bonjour, je souhaiterais que vous veniez me chercher. Maintenant. J'ai envie de me suicider, et si vous ne venez pas maintenant, plus rien ne pourra m'en empêcher.

Je relève la tête alors qu'elle énonce avec un détachement effrayant l'adresse de notre domicile. Je vois ensuite son corps s'asseoir sur la chaise la plus proche, les yeux dans le vide tel un automate désarticulé dénué d'une quelconque émotion. Je ne sais pas quoi faire, les larmes coulent à flots sur mon visage. Mes yeux sont bouffis et mes paupières lourdes et chaudes. C'est dans une demie conscience que j'entends frapper à la porte, puis entrer. A travers mes larmes, j'aperçois des formes floues venir vers moi. Je réponds à demi-mots aux pompiers, hochant la tête par ci par là, jusqu'à ce qu'ils emmènent ma mère dans leur camion dont le bruit de la sirène rythmera mes cauchemars à jamais.

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- Votre maman a fait preuve d'une volonté extraordinaire, vous savez ? Il est presque impossible pour un dépressif sur le point de mettre fin à ses jours de réussir à appeler à l'aide comme elle l'a fait. Mais c'est grâce à vous, heureusement que vous étiez là pour déceler les signes.

Mon triangle d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant