° prologue °

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Elles étaient assises toutes les quatre autour de cette table. Chacune avait une boisson différente devant elle, comme chacune avait son téléphone à portée de main. Elles bavardaient simplement, avec familiarité. Elles étaient amies, ça faisait un bout de temps qu'elles se connaissaient déjà. Que des têtes brunes, cheveux mi-longs.

Cette cafétéria était vraiment un endroit idéal pour les étudiants. Avec du wifi gratuit en plus. On pouvait rester autant de temps qu'on voulait, personne ne les mettrait à la porte. A midi la file d'attente pour s'acheter de quoi grignoter descendait jusqu'au bout de la rue. Non, vraiment, rien à redire sur cet endroit.

Elles y allaient souvent, quand elles avaient plus de deux euros dans leur porte-monnaie. C'étaient des jours de fête, quand elles avaient toutes les moyens de s'acheter un muffin là-bas.

D'un point de vue extérieur, elles semblaient toutes très sérieuses. Comme quatre reproductions presque identiques. Pourtant elles ne se ressemblaient pas vraiment.

Leurs sacs étaient remplis de cahiers, des lycéennes. D'ailleurs, les cours reprendraient bientôt, il allait falloir partir pour attendre le prochain bus.

Pour l'instant, elles ne s'en préoccupaient pas. La brune aux lunettes essayait de terminer son muffin mais elle n'en pouvait plus. L'autre brunette aux yeux verdorés lui proposa de le terminer à sa place. Les deux autres qui n'avaient rien dit jusqu'à présent s'empressèrent de faire remarquer que celle-ci ne pensait qu'à manger. C'était ironique bien sûr, elles quittèrent la cafétéria un sourire aux lèvres.

Oui, elles étaient bien, ensembles.

Pourtant Adèle ne pouvait s'empêcher de s'ennuyer un peu, un tout petit peu, même quand l'occasion ne s'y prêtait pas. Elle les aimait beaucoup, oui, mais elle voulait du nouveau.

Elle en avait assez des journées qui se ressemblaient toutes, ça l'endormait.

Elle n'était pas faite pour se faire des amis, elle se lassait tout le temps.

Encore une fois, Adèle se perdit dans ses pensées. Elle s'imagina discuter avec d'autres gens de sa classe, être invitée à déjeuner avec eux. Dans ses rêves elle les imaginait très proches d'elle, avec autant de familiarité qu'avec ses amies de tous les jours. Ils riaient, parlaient de choses intéressantes avec légèreté.

Elle était incluse dans leur univers.

La brune aux lunettes l'arracha à ses pensées en lui disant qu'elle s'était trompée de ruelle. Les deux autres renchérirent qu'Adèle était de plus en plus pensive, en ce moment.

Adèle leur lança un sourire bref.

Elle ne l'était pas qu'en ce moment.

Elle l'avait toujours été.

Elles accélérèrent le pas, réalisant qu'elles risquaient de râter le dernier bus si elles ne se dépêchaient pas. Le vent glacial de l'Hiver fit frissonner Adèle, elle se dépêcha avec amertume.

Elle jeta un dernier coup d'oeil à la cafétéria derrière-elle. Elle se dit que c'était peut être la dernière fois qu'elles y allaient de tout le mois de janvier. Elle était déçue, mais elle se détourna quand même.

Elles arrivèrent pile à l'heure, le bus ne les aurait pas attendues. Adèle reconnut une jeune fille de leur classe à l'intérieur. Etrangement, cela lui redonna l'espoir de se familiariser avec quelqu'un d'autre.

Mais ses amies avaient déjà choisi une place, alors à contrecoeur Adèle les rejoigna.

C'est vrai. Depuis qu'elles se connaissaient, elles ne se séparaient pas. Elles mangeaient ensemble, faisaient les travaux de groupe ensemble, se mettaient en groupe pour le sport ensemble, passaient leur heures de perm ensemble.

Adèle se demanda si elle était vraiment la seule à trouver cette situation agaçante. Elle avait déjà vécu cette sensation par le passé, de toujours être avec les mêmes personnes, et elle n'en gardait pas un très bon souvenir. Adèle avait l'horrible impression d'être prisonnière de ce cercle fermé.

Ca ne l'enthousiasmait pas du tout.

Calée contre le siège du bus, elle essaya de se détendre et de ne plus se poser de questions. Elle songea à son confident. Peut être qu'il pourrait l'aider à voir les choses de façon plus claire. Elle était habituée à souvent lui demander conseil quand elle trouvait une situation étrange. Ils se connaissaient depuis le collège mais n'avaient jamais été proches, ils se tenaient juste en contact par le lien espiègle des réseaux sociaux. La distance les avait rendus plus proches qu'ils ne l'avaient été avant, ils ne s'étaient plus revus depuis l'entrée au lycée. Et pourtant, elle savait qu'elle pouvait parler librement avec lui, parce qu'elle ne se sentait pas jugée.

Leur relation était étrange, mais Adèle la préférait comme ça. Se voir dans le monde réel aurait été perdre un confident précieux. Parce qu'Adèle était une personne très maladroite en sociabilité, elle préférait ne pas sacrifier son dernier allié, même qu'il fût simplement virtuel.

Cet allié extérieur qui l'aidait beaucoup quand elle en avait besoin.

C'est en recevant un coup de sac contre l'épaule qu'Adèle comprit qu'elles étaient arrivées. Elle sortit du bus suivie de ses amies, la conversation embarrassante reprit aussitôt.

Mais il n'y avait qu'Adèle qui semblait la trouver embarrassante.

Elles passèrent l'enceinte du lycée, se dirigèrent vers les premiers bâtiments pour rejoindre leur salle de cours mécaniquement.

Elles avaient tout juste le temps de monter les trois étages.

Adèle croisa les regards d'autres lycéens. Les voir la voir la fit sentir moins transparente. Ca la rassurait à chaque fois, même si elle ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi on la regardait tout le temps.
C'était très contradictoire, mais c'est ce qu'elle ressentait : on ne la voyait pas mais on l'observait quand même.

Elle n'aimait pas tant que ça ces regards. Ça la mettait mal à l'aise.

Elles arrivèrent enfin au dernier étage du bâtiment. Comme des petits chiens suivants leur maître, elles bifurquèrent à gauche suivant la brune aux yeux verdorés. Il y'avait déjà beaucoup de monde dans les couloirs, la sonnerie allait bientôt réveiller les derniers qui digéraient leur déjeuner.

La brune de devant s'arrêta et se positionna à l'écart des autres lycéens de sa classe à proximité, alors les trois autres firent pareil.

Cercle fermé.

Adèle soupira intérieurement. Non, vraiment, cette situation était insupportable. Elle releva la tête.

Elle croisa son regard. Elle se demanda si c'était encore une coïncidence. Elle avait l'habitude de se faire des films, très vite. Sa tête était un studio de production.

Il était grand, désinvolte. Il avait dans l'allure l'air de se moquer de tout, comme si rien n'avait vraiment d'intérêt à ses yeux. Mais il posait son regard sur Adèle. Des yeux clairs, très clairs, trop clairs.
Romain.

Ce fut Adèle qui détourna le regard, gênée. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait fait ça. Un réflexe de défense. Adèle se protégeait des gens.
Elle ne voulait pas, mais c'était un automatisme.
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