A D È L E

Chap12

Rancunière. Non, Adèle en était sûre, ce n'était pas ça.  Ce garçon l'irritait par son air supérieur et ses allures du gars parfait.
Tout chez lui contrastait avec Adèle, c'était un boulet, elle était sérieuse et appliquée. Sa désinvolture et son arrogance le rendaient mystérieux, alors qu'elle était si discrète et isolée qu'on se demandait si elle fuyait les gens.

Elle se demanda quand même comment elle avait fait pour se retrouver dans l'appartement familial de Romain. Il l'accueillit avec un grand sourire auquel elle répondit d'un sourire plus crispé.
« D'accord tu fais encore la gueule. »
Il n'était peut être pas si bête que ça.

Il la laissa pourtant entrer avec amabilité. Elle observa l'intérieur de l'appartement et fut étonnée, ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé. Elle aurait pensé que c'était plus superficiel.
« Tu veux du jus d'orange? »
Adèle se tourna vers Romain qui lui souriait encore. Elle fronça les sourcils.
« Pourquoi t'es si amical? », demanda-t-elle brusquement.

Il éclata de rire avant de se stopper net en voyant qu'elle ne riait pas.
« J'agis juste comme quelqu'un de normal, expliqua-t-il. »

Ben oui Adèle. Proposer à boire du jus d'orange à un invité, c'est normal.
Adèle confuse, accepta le verre qu'il lui tendit.
« J'imagine que j'ai l'air encore plus asociale maintenant, murmura-t-elle gênée. »
Il haussa les épaules mais ne répondit pas.
« Tes parents sont pas là?
- Ils travaillent tard. On va bosser? »
Adèle hocha la tête et reposa le verre sur le comptoir.
« Et Bastien? » demanda-t-elle dans le couloir.
« C'est qui Bastien? »
Adèle regarda Romain pour vérifier si il était sérieux, il lui lança un sourire espiègle avant d'entrer dans sa chambre.
« Tu ne l'as pas prévenu, constata-t-elle en le suivant.
- Tu as son numéro de téléphone peut être?
- Les réseaux soc...
- Écoute, moi son absence ne me dérange pas plus que d'habitude. »
Adèle ne répondit pas. C'était un peu méchant, mais après tout Romain n'avait pas tort.

Ils s'installèrent dans la chambre de celui-ci qui contrastait avec la simplicité des autres pièces qu'elle avait vues : les murs étaient bleu cobalt, il y avait de la moquette au sol, et le plafond était couvert de poutre apparentes.
Les autres pièces de la maison étaient plus moderne et sobres, dans des tons gris et blanc, sans empreinte.

Adèle observa avec fascination tous les éléments qui forgeaient la personnalité de Romain, posés un peu partout dans la pièce. Attirée par un objet métallique au fond de la chambre - elle ne parvenait pas à bien le distinguer à cause des murs sombres et de la faible lumière du jour qui filtrait péniblement  par la fenêtre; elle n'entendit pas tout de suite :
« Je pensais pas que tu entrerais si vite dans ma chambre »
Elle faillit se cogner contre les poutres apparentes  en se retournant, pour le fusiller du regard.
Il éclata de rire.
« Ça va, c'était une blague. »

Très bien, Romain venait d'instaurer un malaise.

Adèle secoua la tête et lui demanda une feuille et de quoi écrire, ce qu'il lui donna aussitôt avant de se glisser sous son bureau.

Oui, exactement, il s'était glissé sous son bureau - une planche en bois haute et large de un mètre.

« Qu'est-ce que tu fais? »
Romain l'invita à le rejoindre d'un signe de la main.
« Je suis pas sûre que ce soit l'endroit le plus pratique pour un devoir de musique, répondit Adèle sceptique.
- Peut être.
- Et?
- Et je ne vais pas bouger d'ici. »
Elle haussa les sourcils, avant de s'asseoir sur le rebord du lit, imperturbable. Elle soupira, ce devoir de musique s'avérait être pire que ce qu'elle imaginait. Un supplice.

Alors qu'elle écrivait depuis déjà plusieurs minutes, il lança du dessous de son bureau :
« T'es différente. »
Elle releva la tête pour poser ses yeux sur lui. Le bureau de Romain était une plaque en bois fixée contre le mur qui prenait toute la largeur de celui-ci, ce qui laissait un énorme espace en dessous. Alors qu'il n'y avait pratiquement aucun espace de tranquillité ailleurs dans cette pièce. Elle commençait à comprendre pourquoi il aimait bien cet endroit. Il y avait même aménagé des coussins.

« Différente? »

Il hocha la tête.
« Avec moi t'es agressive, pourtant t'as pas l'air méchante. »

Cette remarque l'intrigua.

« En fait je me demande ce que tu es vraiment. »
Adèle ne comprenait pas.
« J'ai l'impression que t'as plusieurs personnalités avec les gens, ajouta-t-il.
- Arrête. »
Il haussa les sourcils.
« Arrête?, répéta-t-il.
- Oui. Arrête de parler. On a un devoir de musique à faire. »

Il observa Adèle pendant un instant, avant de s'illuminer.
« D'ailleurs! » s'exclama-t-il.
Il se mit à chercher dans le tas de choses qui traînaient  autour de lui, avant de sortir un clavier électronique.

Un clavier électronique. C'était l'objet métallique qu'elle avait aperçu en entrant.

Adèle haussa les sourcils, curieuse:
« Tu joues du piano? »
Il hocha la tête en branchant le synthétiseur à la prise électrique la plus proche.

C'est drôle, elle n'aurait jamais pensé ça de lui. Après tout, elle ne le connaissait pas.

Romain sortit de sa cachette pour poser le synthé à côté d'Adèle.
Il lui glissa un regard fier avant de laisser glisser sa main sur les touches, produisant une musique très rapide. Si on peut appeler ça une musique.

« Tu sais jouer? »
Cette question était débile, Adèle le savait mais elle voulait en être sûre.
Il lui sourit.
« Je crois bien, ouais. Ça serait plutôt cool pour notre devoir de musique tu penses pas? »
Romain n'était peut être pas un si mauvais coéquipier au final.
Adèle hocha la tête avant de reporter son attention sur sa feuille et son stylo sur ses genoux. Elle était tout de même mal à l'aise.

Romain hésita quelques secondes, avant de commencer à jouer un morceau. Adèle se tourna vers lui, stupéfaite. Il pianotait avec délicatesse sur le clavier électronique, le son qui en sortait était clair et précis, comme s'il avait toujours été pianiste. Bien sûr ce morceau était simple et connu, mais Romain le jouait avec une telle prestance que c'en était magique. Pendant quelques minutes où la mélodie du synthétiseur était reine, il n'y eut aucun dialogue entre Adèle et Romain.
Elle le regardait se concentrer sur les touches, n'en revenait clairement pas.

Quand la dernière note fut jouée, Romain se tourna vers son auditrice le sourire aux lèvres.
« Alors? »
Elle plissa les yeux essayant de se convaincre que ce qu'il venait de se passer était bien réel avant de déclarer:
« Je pense que toi aussi tu as plusieurs personnalités. »