Et tous les démons sont ici

Chapitre 6 : Leo

Il faut qu'il finisse de se préparer au plus vite. Ce serait incongru d'arriver en retard à un rendez-vous avec quelqu'un qui aime briser des jambes. Leo arrive à peine à croire que cette pensée vient réellement de lui traverser l'esprit. Sa vie a pris un tournant très étrange ces derniers jours. Il enregistre son manuscrit pour ne pas perdre les trois misérables phrases qu'il a réussi à pondre depuis une heure. Il vérifie une dernière fois ses mails pour voir si les maisons d'édition à qui il a envoyé son premier livre lui ont donné une réponse. Toujours rien. Ça ne fait que deux mois, c'est normal qu'il n'ait pas encore émis de verdict. Pas vrai ?

Peu importe. Leo enfile le premier sweatshirt qu'il trouve dans sa penderie, il attrape ses clés de voiture et sort de sa chambre d'un pas pressé. S'il arrive trop en retard, Elena va le tuer avant que le briseur de jambes n'en ait l'occasion. Quand il s'est fait la promesse d'être plus sociable cette année, ce n'est pas exactement ce qu'il avait en tête.

La nuit est presque tombée lorsqu'il rejoint sa cousine devant la Maison Apollon. Une fête doit avoir lieu non loin de là, car Leo peut entendre un bruit de musique étouffée. Elena est habillée tout en noir et elle a attaché ses cheveux en queue de cheval, la tenue parfaite pour une mission incognito.

—    Prête à se précipiter vers le danger de manière irresponsable ? demande Leo avec une grosse pointe de sarcasme.

—    Rappelle-toi qu'on fait ça pour aider quelqu'un qui est sûrement en danger, répond Elena. Et je ne te force pas à venir. Si tu veux passer ton tour, je comprendrais.

—    Ce serait encore plus irresponsable de te laisser y aller seule. Et si nos mères se remettent à organiser des réunions de famille, il n'est pas question que je sois le seul à souffrir.

Elena sourit distraitement alors qu'ils font leur entrée sur le parking du campus. Ses yeux sont rivés sur la berline noire de David, toujours garée au même endroit depuis sa disparition. Elle essaye de le cacher, mais il est clair qu'elle est de plus en plus inquiète pour son meilleur ami.

—    Tu veux que je conduise ? demande-t-elle une fois arrivée devant la Jeep de Leo.

—    Même pas en rêve. Personne ne touche à ma voiture. Je suis prêt à me battre s'il le faut. Et je n'en ai pas l'air, mais j'ai un super crochet du droit.

Cette Jeep Wrangler JK noire est le bien le plus précieux dont Leo dispose. Il a enchaîné plein de petits boulots pendant des années afin de se l'offrir. Ses parents avaient bien proposé de lui payer sa première voiture, mais Leo a toujours refusé. Et il en est fier, car maintenant il possède quelque chose qui est entièrement à lui.

—    D'accord, Mohamed Ali, on se calme ! répond Elena, levant les mains en signe de reddition. Je ne toucherai pas à ta chère et tendre. Mais j'ai quand même une question.

— Je t'écoute, répond Leo en s'installant dans le siège conducteur.

—    Tu lui as donné un nom ?

Leo décide d'invoquer le cinquième amendement face à cette question. Il ne faut jamais s'incriminer soi-même.

Il est 22h15, et toujours personne à l'horizon. Un camionneur s'est arrêté à la station pour acheter un sandwich et une mère de famille est venue faire le plein, mais aucun distributeur de drogues n'est venu à leur rencontre. La jambe de Leo s'agite nerveusement, bien qu'il soit en sécurité dans l'habitacle de sa Jeep.

—    Il pourrait au moins arriver à l'heure, râle-t-il. Cette attente m'angoisse encore plus.

—    Je ne suis pas sûre que la ponctualité soit une priorité pour lui.