Chapitre 19 : Elena

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C'est une véritable pagaille. Elena commence à regretter d'avoir suggéré un plan aussi chaotique. Mais il est trop tard pour faire marche arrière, maintenant. Elle se force à penser à la raison pour laquelle elle doit faire tout cela : veiller à la sécurité de Leo. Elle ne peut pas rester les bras ballants en attendant que sa vie soit détruite à cause d'elle. Et elle ne peut certainement pas faire confiance à la justice pour les aider. Tous les membres du système n'ont pas la même intégrité que Malcolm, et les preuves ne joueraient pas en leur faveur, de toute manière. C'est la bonne décision. C'est la meilleure chose à faire.

Visiblement essoufflé après son aller-retour jusqu'à l'abri de jardin pour récupérer le matériel nécessaire : des gants, de l'eau de Javel, une bâche plastique, un rouleau d'adhésif et deux pelles. Elena fait de son mieux pour qu'il reste calme, mais la situation est loin d'être propice à la sérénité. Elle remonte la fermeture éclair de sa veste pour cacher les taches de sang sur son pull et enfile une paire de gants.

Le feu de camp n'est qu'une lueur ardente au loin, mais il reste néanmoins un rappel que des dizaines de personnes se trouvent à moins de deux kilomètres. Ils doivent agir vite pour ne pas risquer de se faire prendre.

Tandis que Leo étale la bâche plastique sur le sol, Elena fouille dans les poches de Liam, tout en essayant de ne pas regarder son visage inerte. Si elle veut garder son sang-froid, il faut absolument qu'elle oublie qu'ils ont affaire à une véritable personne, aussi répugnante soit-elle. Elle trouve son téléphone assez rapidement, dans la poche de son jean, et elle presse le pouce de Liam contre le bouton principal pour le déverrouiller.

— Qu'est-ce que tu fais, bordel ? chuchote Leo derrière elle.

— Il y a peut-être des informations sur ce qu'il a fait à David là-dedans, répond Elena tout en désactivant le code du téléphone et les données de localisation. On pourrait en avoir besoin.

— Nous servir à nous faire arrêter comme des imbéciles ? Si la police retrouvait ça dans tes affaires, ils penseraient quoi, à ton avis ?

— Ils ne le retrouveront pas. J'ai tout désactivé et je vais retirer la carte SIM. Une fois que j'aurai récupéré le contenu, je le garderai éteint. Je gère la situation, ne t'en fais pas.

— Ah, vraiment ? Parce que je commence sérieusement à en douter.

Elena ne répond pas à cela. Elle doute aussi de ses capacités à ne pas commettre la moindre erreur, mais cette illusion de grande confiance en elle doit continuer à tout prix. Si elle perd pied, Leo en fera de même, et il finira en prison. Elle préférerait mourir que de laisser cela arriver.

La suite des événements se déroule à toute vitesse dans l'esprit d'Elena. En réalité, il doit se passer plus d'une heure entre le moment où les cousins soulèvent le corps de Liam pour l'envelopper dans la bâche et celui où ils recouvrent sa sépulture de fortune avec un tas de terre.

Une fois l'adhésif placé un peu partout, Elena attrape la tête et Leo se saisit des jambes. Porter un homme adulte s'avère plus compliqué que ce qu'elle ne l'imaginait, mais ils finissent par arriver sur le site de construction, le souffle court et des gouttes de sueur sur le front. Un énorme trou a déjà été creusé dans le sol, sûrement à l'aide la pelleteuse qui trône au milieu du chantier.

Voyant que Leo arrive au bout de ses forces, Elena décide d'aller chercher les pelles qu'ils ont laissées à la scène du crime. Elle en profite pour verser l'eau de Javel sur les traces de sang encore visibles dans les feuilles mortes, et pour enterrer la pierre un peu plus loin, au pied d'un sapin. Très bien, tout se déroule sans accroc.

Lorsqu'elle rejoint son cousin, elle le trouve en train de fixer le corps de Liam, une expression bien familière sur le visage. De la culpabilité. Peu importe ce qu'elle dira, Elena réalise que ce sentiment dévastateur ne le quittera probablement jamais. La seule chose qu'elle peut faire, c'est veiller à ce qu'il ne parvienne pas à le ronger de l'intérieur.

— Je sais que tu dois te sentir très mal, dit-elle d'une voix douce, mais ce n'est pas ce que tu voulais. C'était un terrible accident. Et on ne peut pas laisser un accident ruiner ta vie à jamais.

— On pourrait encore appeler la police... Il n'est pas trop tard. On pourrait leur expliquer que... Je ne suis pas sûr de pouvoir vivre avec ça, Elena.

Une larme coule de long de sa joue lorsque ces mots quittent ses lèvres. Elena ressent un énorme pincement au cœur face à sa détresse. L'espace d'une seconde, elle se demande si Leo a raison. Ils pourraient se rendre au bureau du shérif, tout leur raconter et espérer qu'ils fassent preuve de clémence. Mais Elena ne peut pas leur offrir une confiance aveugle, ce serait un pari trop risqué. Elle sait bien que rien n'est juste en ce bas monde.

— Tu vas réussir à surmonter tout ça, répond-elle avec toute la conviction dont elle est capable. Tu trouveras un moyen d'aller de l'avant et cette nuit ne deviendra qu'un souvenir douloureux. Tu as un avenir brillant devant toi et je ne le laisserai pas partir en fumée. Pas comme ça. Tout est ma faute, et uniquement ma faute. Tu n'as rien à te reprocher. Mais il faut qu'on en finisse avec ce plan sans tarder. On ne doit pas attendre plus longtemps.

Leo prend une grande inspiration, comme si sa vie en dépendait. Et c'est sûrement le cas. Sans un mot, il se dirige vers le corps de Liam, prêt à le pousser vers sa tombe ouverte. Elena se place à ses côtés, repoussant les derniers doutes qui polluent son esprit.

— À trois, dit-elle en regardant droit devant. Un, deux, trois.

Le corps percute la terre, deux mètres plus bas, dans un bruit sourd. Les deux cousins attrapent chacun une pelle en silence. Ils se mettent à transférer une partie du monceau de terre jusqu'au trou, une action machinale et répétitive. Une dizaine de minutes plus tard, le plastique n'est plus du tout visible. Ça y est. C'est fait.

— Et maintenant ? demande Leo d'une voix fatiguée.

— Maintenant, on se sépare et on fait en sorte d'avoir un alibi pour le reste de la soirée. Quelque chose de solide. Juste au cas où. Je vais ranger tout ça.

Leo retire ses gants de jardinier, puis il se met à marcher dans la direction opposée, sans lui dire où il compte aller. Elena prend tout le matériel pour le remettre à sa place, comme si rien ne s'était passé. Elle décide de retourner rapidement dans sa chambre pour retirer son haut couvert de taches pourpres. Elle va devoir s'en débarrasser au plus vite si elle ne veut négliger aucun détail qui pourrait leur nuire. C'est là qu'une idée lui vient.


Elena opte pour un alibi qui pourra facilement se vérifier : retourner au feu de camp. La fête bat toujours son plein et la musique semble encore plus forte qu'avant. Des bouteilles de bière et des gobelets rouges jonchent le sol. Tous les étudiants autour d'elle semblent à l'apogée de leur ivresse. Elena profite du manque de vigilance général pour jeter son pull au cœur des flammes. Il ne perd pas de temps à se désintégrer au contact des braises. Parfait.

Il ne reste plus qu'une chose à faire désormais. Elena se met à danser parmi ses camarades, un verre à la main, prétendant être aussi enivrée qu'eux. Des dizaines de selfies sont pris autour d'elle. Elle n'a qu'à faire en sorte d'être en arrière-plan sur chacun d'entre eux.

En voilà une preuve irréfutable.

Les minutes passent, puis les heures... et Elena se laisse emportée par la frénésie autour d'elle.

Et tous les démons sont iciOù les histoires vivent. Découvrez maintenant