Et tous les démons sont ici

Chapitre 17 : Elena

Liam doit passer aux aveux. C'est le seul moyen d'être fixé. Elena ne veut pas y croire. Le corps retrouvé par la police ne peut pas être David. Il ne peut pas être mort. Ça ne peut pas être la fin. Et si elle avait tort ? Et si Liam l'avait tué le soir même de sa disparition ? Elle se raccrochait à l'idée que David puisse être détenu contre son gré, quelque part, attendant d'être secouru, mais... Elle ne sait plus du tout quoi penser, désormais.

Lorsqu'elle voit le visage de Liam à travers les flammes dansantes du feu de camp, une colère monstre la prend d'assaut. Elena ne peut pas le laisser profiter de sa vie en toute impunité. Il ne peut pas s'en tirer aussi facilement, pas après avoir fait du mal à son meilleur ami. Elle veut des réponses. Elle veut se venger.

Elle l'observe de loin, faisant de son mieux pour ne pas être repérée. Liam bavarde avec quelques élèves de leur classe, mais il paraît absent, comme si ses pensées l'empêchaient de participer activement à cette discussion sans doute frivole. Après quelques minutes, Joséphine apparaît à ses côtés, lui tapotant l'épaule pour attirer son attention. Elle ne veut plus l'ignorer, apparemment.

Le petit couple s'éloigne du reste du groupe, un air si sérieux sur le visage qu'Elena arrive à le discerner depuis cette distance. Elle fait quelques pas sur sa gauche pour mieux les voir. La conversation s'intensifie très rapidement. Elena ne peut pas entendre ce qu'ils se disent, mais il est on ne peut plus clair qu'il s'agit d'une dispute. La scène se conclut par Joséphine bousculant son petit ami, avant de faire volte-face et de se fondre dans la foule d'étudiants. Cet échange houleux était-il à propos de David ? Qu'est-ce qui a bien pu mettre Joséphine dans cet état ? A-t-elle découvert ce que Liam lui a fait ?

Manifestement contrarié, Liam vide le contenu de son gobelet d'un seul trait, puis le jette sur la pelouse. Il ne se donne pas la peine de retourner avec les autres comédiens. Il se dirige, tête baissée et main dans les poches vers les bois, à quelques mètres du feu de camp. Elena reconnaît immédiatement une occasion en or à saisir. Elle voulait confronter Liam et lui faire admettre la vérité. C'est le moment.

Elena suit ses traces pendant près de cinq minutes, la musique de la fête devenant de plus en plus inaudible derrière elle. Elle est maintenant au beau milieu des bois, entourée d'arbres robustes aux frondaisons jaunissantes. Les feuilles déjà tombées en préparation de l'hiver bruissent sous ses bottes. La température en baisse du mois d'octobre provoque des frissons le long de ses bras. Aucune silhouette à l'horizon. Est-il parvenu à la semer ?

— Tu ferais une piètre détective privée, entend-elle dans son dos. Tu n'es pas très discrète quand tu observes quelqu'un.

Derrière elle, Liam est appuyé contre un arbre, les bras croisés. Son petit sourire narquois donne à Elena des envies de lui arracher les yeux.

— Je voulais te parler seule à seul, rétorque-t-elle, en essayant de garder une respiration régulière.

— Si tu veux me draguer, il n'y a pas de honte à avoir, Elena. On peut toujours s'arranger si tu cherches une nuit de réconfort...

— Je préférais encore me faire renverser par un bus, espèce de porc.

Liam ricane, visiblement fier de sa remarque écœurante. De toute évidence, le verre qu'il a fini un peu plus tôt n'était pas son premier. Maintenant qu'il n'a plus de public devant qui jouer un rôle, il montre enfin son vrai visage. Le visage d'une ordure.

— Je veux savoir ce qui est arrivé à David, reprend Elena après avoir lancé un enregistrement audio sur son téléphone.

— C'est beaucoup moins amusant que mon idée, ça... Je me suis déjà suffisamment pris la tête pour une seule soirée, alors non merci. Je n'ai absolument rien à te dire.

Liam tourne les talons en direction du feu de camp. Elena est déterminée à ne pas le laisser partir si facilement.

— "L'enfer est vide, et tous les démons sont ici" récite-t-elle. C'est la citation que David a utilisée pour parler de toi. Je sais ce que tu as fait.

Il s'arrête net et tous les muscles de son corps semblent se raidir. Elena a son attention, maintenant il faut l'amener à parler.

— Tu ne sais rien du tout, tente Liam sans grande conviction. Tu essayes seulement de prêcher le faux pour savoir le vrai. C'est pitoyable.

— Vol de voiture, usurpation d'identité, incendie criminel...

— Fais très attention à ce que tu dis, Elena. Tu es sur une pente dangereuse.

— J'imagine que c'est seulement la partie visible de l'iceberg, mais c'est déjà un sacré palmarès.

— Ferme-la ! Ne me pousse pas à bout !

Il fait un pas vers elle, mais Elena ne flanche pas. Elle continue de le fixer droit dans les yeux. De plus près, elle peut voir la peur se développer dans chacune de ses micro-expressions. Elle le tient.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? le provoque-t-elle. Tu comptes me faire taire, comme David ? C'est ça ? Tu veux encore ajouter des années à la peine de prison qui t'attend ?

— Je t'ai dit de la fermer ! hurle Liam pour l'interrompre.

Avant même qu'elle ne réalise ce qui se passe, Elena sent les mains de Liam autour de son cou. Il utilise tout son poids pour la pousser contre un arbre. Elle laisse échapper un cri de douleur quand son dos rencontre l'écorce. Son téléphone tombe de sa poche et va s'écraser sur le sol, avec un bruit qui n'annonce rien de bon. Elle essaye de se débattre à coups de coude et de pieds, mais Liam possède une force physique bien plus conséquente.

— Tu es exactement comme lui, murmure-t-il d'un ton glaçant. Un parasite qu'il faut éliminer. Le monde se porterait bien mieux sans vous.

— Lâche-moi, espèce de psychopathe ! rétorque Elena, la voix éraillée.

Liam resserre son étreinte sur sa gorge. L'air se fait de plus en plus rare.

— Tu n'aurais jamais dû venir ici, dit Liam, les yeux remplis de haine. Je ne vais pas te laisser faire de ma vie un enfer, toi aussi.

— Arrête...

Mais le reste des mots ne parvient pas à sortir. Elena n'a plus la force de lutter. Et si le moment était venu ? Et si elle mourrait maintenant, avec les arbres comme seuls témoins ? Elle devrait peut-être fermer les yeux et...

Un craquement se fait soudainement entendre. Elena cligne des yeux à toute allure, cherchant désespérément à comprendre. Les mains de Liam lâchent prise, puis tout son corps s'écroule parmi les feuilles disséminées par terre. Haletante et stupéfaite, Elena voit une mare de sang se former autour du crâne du jeune homme. Qu'est-ce que... ?

En tournant la tête, elle réalise que quelqu'un se tenait derrière Liam avant qu'il ne tombe raide. Son cousin, Leo. Il a l'air tout aussi horrifié qu'elle. Dans sa main droite, il serre une pierre dont l'extrémité est recouverte de liquide pourpre.

— J'ai... commence-t-il sans jamais terminer sa phrase.

Putain. De. Merde.

Malgré le choc et les tremblements qui l'assaillent, Elena s'agenouille près de Liam, qui fixe un point en face de lui avec le regard vide. Elle prend son pouls, sachant pertinemment ce qui l'attend. Aucune pulsation. Le néant.

— Il est mort, dit-elle dans un murmure à peine articulé.