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   Les doux rayons de soleil se frayèrent un chemin à travers les légers rideaux de la chambre, et vinrent délicatement caresser le visage de Charlie. Ils lui prirent la main et la menèrent jusqu'à la réalité en douceur. Depuis qu'elle été arrivée là, c'était la première fois qu'elle se sentait si bien au réveil. Aujourd'hui, rien ne pourrait l'atteindre, elle était invincible. Il n'était pas tard, dix heures seulement, mais tout le monde devait être réveillé depuis déjà quelques heures dans la maison. Elle se leva, ouvrit la fenêtre en grand. Appuyée sur le rebord elle ferma les yeux et respira l'air doux du matin. Elle sourit. Peut-être survivrait-elle finalement. Elle regarda le ciel, aucun nuage ne venait troubler le bleu roi qui entourait le monde ce jour-là.
- Sam, je t'aime tellement. Chuchota-t-elle.
Elle baissa les yeux, un sourire collé à son délicat visage. Son regard se posa sur la maison d'Alec. Elle observa la fenêtre par laquelle Gabi était apparu la veille. La pièce semblait être une chambre mais elle ne voyait pas très bien ce qu'il se trouvait à l'intérieur. Elle finit par quitter sa chambre. Elle s'arrêta en haut des escaliers, elle entendait des sons de guitare se balader délicatement dans la maison. Elle avança en quête de la provenance de ce son. Elle s'arrêta tout de même dans la cuisine. Comme d'habitude tout était en ordre, il y avait juste un bol encore à moitié plein qui traînait sur la table et deux toasts qui attendaient le retour de leur propriétaire. Charlie prit les deux tartines et se dirigea vers le jardin en priant pour que ces toasts fussent destinés à Flo. Le jardin était baigné de soleil. Il devait être à peine plus grand que chez Alec, et il y avait une piscine en plein milieu. Sur la terrasse, une table de jardin en bois et quelques chaises étaient entourées de petits pots de fleurs. Et assis là, le père de Charlie jouait de la guitare. Une douce mélodie, il fredonnait en même temps. Charlie resta un peu là, elle ne voulait pas briser cette image de bonheur. Il avait l'air si heureux. Elle eut pincement au cœur. Mais ne se laissa pas envahir par les émotions. Elle regarda à nouveau vers le ciel. Aujourd'hui je suis forte, rien de peux m'atteindre. À cet instant son père la vit.
- Bonjour Charlie, dit-il sans s'arrêter de gratter les cordes de sa guitare.
- Salut papa, dit-elle en lui adressant un sourire.
- Tu m'en donne un ? Demanda-t-il en regarda les toasts.
Charlie sourit et lui en tendit un.
- Tiens, mais tu devras probablement t'excuser auprès de leur propriétaire qui les as laissés sans surveillance dans la cuisine.
- Alors mangeons-les sans attendre, dit son père dont les yeux s'étaient illuminés de malice.
Ils mangèrent leurs toasts en silence. Charlie trouva ce silence pesant, comme s'il y avait des tas de mots qui flottaient au-dessus d'eux, attendant simplement d'être prononcés.

- Tu veux bien continuer à jouer de la guitare ? demanda-t-elle.
Son père sourit et se remit à gratter sa guitare. Elle se tourna vers le ciel, ce qu'il pouvait être beau aujourd'hui, pensa-t-elle.
- Charlie, je sais que c'est difficile pour toi tout ça, et je comprends ta réaction d'hier soir. Mais j'aime Diane, et je vais tout faire pour qu'on soit tous heureux ici. Je n'ai pas oublié ta mère pour autant, mais c'est comme ça, elle est partie et elle ne reviendra sûrement pas. Nous avons eu une vie heureuse tous ensemble. Mais c'est du passé. Je te laisserai le temps qu'il faudra pour accepter cette idée et pour accepter Diane et Florent.
Charlie hocha la tête mais ne dit rien. Son père avait l'air heureux, n'était-ce pas important ? Elle remonta dans sa chambre, sentant que les paroles de son père avaient ébréché son bouclier invisible. Elle retourna à sa fenêtre, en chuchotant: "invincible, invincible, invincible". Comme si c'était une formule magique qui allait la sauver. Elle regarda à nouveau la maison d'Alec. Il y avait quelque chose d'accroché à la fenêtre. Un papier avec écrit dessus « reviens quand tu veux la suicidaire ! ». Elle rit doucement, elle se sentait un peu mieux. Elle repensa à la soirée de la veille et elle fut prise d'une envie de dessiner. Elle ne voulait pas oublier, elle voulait que ce souvenir soit gravé quelque part, comme un point d'encrage, un pilier, son premier bout de bonheur depuis qu'elle était arrivée dans cette ville, quelque chose à quoi elle pourrait s'accrocher. Charlie passa le reste de la journée dans sa chambre à gribouiller sur tout un tas de feuilles. Elle avait ouvert en grand la fenêtre et avait mis la musique à fond, une compilation de Sonic Youth qu'elle avait faite avec Sam. Si quelqu'un regardait ces feuilles recouvertes d'encre il n'y comprendrait sûrement rien, mais pour elle le moindre trait avait un sens et racontait une histoire.
Quelqu'un rentra dans la pièce. C'était Flo, elle le regarda à peine et se replongea dans ses dessins. Elle était intouchable aujourd'hui. Peut-être que si elle l'ignorait il la laisserait tranquille.
- Charlie, excuse-moi de te déranger, le repas est prêt tu veux venir manger ?
- Non merci j'ai déjeuné tard ce matin je mangerais ce soir.
- En fait il est vingt heures, tu as passé la journée ici, comme d'habitude tu vas me dire. Mais aujourd'hui ma mère et ton père m'ont demandé de venir te chercher. Ils veulent sûrement qu'on crée des liens ou un truc du genre.
Charlie se retourna brusquement et le regarda étonnée.
- Vingt heures déjà ?! Incroyable. J'arrive, dit-elle.
Elle rassembla ses feuilles et se dirigea vers Flo. Il souriait l'air narquois.
- Allons manger chère petite sœur.
- J'ai dit oui pour manger pas pour créer des liens.
Dit-elle en croisant les bras et en lui lançant un regard de défi.
Florent soupira et sorti de la chambre.
- Amène toi sœurette.
- Ferme là. Dit Charlie en lui suivant.
Dans la cuisine Diane et Jack avaient l'air en grande discussion, leurs phrases étaient ponctuées de rire et des étoiles semblaient éclairer leurs yeux. Charlie eu un pincement au cœur, mais son père avait l'air tellement heureux et après tout ce qu'ils avaient vécu, il avait tout de même le droit à son bout de bonheur. Même si pour elle c'était trop tôt. Elle se força à sourire et elle s'assit à la table entre Flo et son père.
Devant elle se trouvait un grand plat avec un poulet rôti au citron et aux olives, avec des petits légumes autour. Ça avait l'air délicieux. C'est sûrement Jack qui avait cuisiné, il faisait souvent ce plat avant, et Charlie l'adorait. Un silence s'installa pendant quelque instant. La dernière fois que Charlie s'était assise à cette table elle avait dit ouvertement qu'elle détestait cet endroit et avait quasiment insulté Diane. Cette dernière se racla la gorge avant de demander :
- Eh bien Charlie, on ne t'a pas beaucoup vu aujourd'hui, qu'as- tu fais de ta journée ?
La jeune fille leva la tête, surprise, Diane affichait un sourire crispé. Qu'essayait-elle de faire au juste ? Peut-être que le père de Charlie lui avait demandé de faire des efforts et que petit à petit Charlie allait accepter la situation. Elle remarqua que tous les regards étaient tournés vers elle.
- Et bien...euh... j'ai juste dessiné, dit-elle en souriant le plus sincèrement possible.
- Oh tu dessines ? Je ne savais pas, ton père joue si bien de la musique tu dois tenir ce côté artistique de lui, dit-elle.
- Oui mon père est un excellent musicien, mais c'est ma mère qui m'a transmis cette passion pour le dessin, elle était peintre.
Charlie essaya de paraître chaleureuse mais son regard était glacial. Un long silence s'installa à la table. Jack posa une main sur celle de Diane. Et Charlie baissa la tête et continua de picorer dans son assiette.
- Bien, Diane et moi avons quelque chose à vous annoncer, s'écria Jack tout sourire, entre le déménagement et le travail de Diane, ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos. Nous avons donc décidé de prendre un peu de vacances.
Charlie et Flo levèrent la tête en même temps, l'idée de vacances en famille ne les enchantait pas vraiment.
- Nous partons demain matin, reprit-il, nous comptons sur vous pour garder la maison pendant nos trois jours d'absence.
Les deux jeunes échangèrent un regard, Charlie ne savait pas vraiment quelle perspective était la meilleure. Mais elle se contenta de sourire. Durant le reste du repas Diane et son père parlèrent du programme de leur voyage. Ils partaient visiter des châteaux médiévaux et des jardins somptueux d'après leurs dires.
Après le repas elle remonta dans sa chambre. Elle mourrait d'envie de se rendre dans la maison d'à côté. Elle regarda par la fenêtre mais la lumière de la chambre était éteinte. Elle s'allongea dans son lit et resta là à fixer le plafond pendant plusieurs heures sans pouvoir penser à quoi que ce soit avant de finalement décider de fermer les yeux.

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant