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   Après plusieurs heures passées là, Alec se leva et s'étira.
- Je meurs de faim, dit-il.
Charlie et Gabriel se levèrent à leur tour. L'estomac de Charlie gronda, elle n'avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures. A peine eurent-ils quitté la pièce que les ombres revinrent à la charge. Charlie frissonna et une boule se créa dans son estomac, la peur revint au galop. Elle ne dit rien et continua d'avancer. Elle espérait ne trouver personne sur le chemin jusqu'à la cuisine.
Par chance personne n'était là, ils préparèrent une grande quantité de pâtes, ils n'étaient peut-être pas les seuls qui voudraient manger. Ils s'assirent à table, Charlie faisait danser sa fourchette dans son assiette sans rien porter à sa bouche. Quelques minutes passèrent avant que Nicolas suivi de Flo vinrent s'asseoir à leur tour à la table.
- Servez-vous, leur dit Gabriel.
Charlie remarqua qu'il évitait le regard de Nicolas. Ce dernier, avait les yeux rouges et gonflés par les larmes. Il avait l'air malade. Florent regarda Charlie longuement l'air inquiet.
- Tu ne manges pas ? dit-il.
Elle baissa la tête et regarda son assiette. La vue de la nourriture la révulsait, dès qu'elle avait quitté la chambre elle avait eu l'appétit coupé. D'horribles images s'imposaient à elle. La sauce tomate mêlée aux spaghettis lui évoquait, un amas de boyaux ensanglanté.
- Je ne peux pas.
Elle se leva d'un bond et quitta la pièce presque en courant. Prise de haut le cœur elle se précipita dans les escaliers et se rua dans les toilettes. Elle n'avait rien mangé, alors elle n'avait rien d'autre à vomir que de la bile. Elle se recroquevilla contre le carrelage glacé et sanglota. Des pas approchèrent, elle ne bougea même pas.
- Charlie, est-ce que ça va ?
Elle cacha son visage dans ses mains. Florent s'assit à côté d'elle et posa une main sur sa jambe.
- Tout ce rouge... je ne peux rien avaler.
- Tu ne peux pas te laisser mourir de faim, ça ne t'avancera à rien.
- Quoi qu'on fasse ça ne nous avancera à rien Flo. On est coincé ici.
Il se leva et la foudroya du regard.
- Ah oui ?! Et à cause qui d'après toi ? Tu savais très bien qu'il ne fallait pas aller à cette manifestation ! Je l'ai vu dans tes yeux, je t'ai supplié du regard ! Je pensais que tu avais compris, qu'on était d'accord. Mais il a suffi que Alec décide d'y aller pour que toutes tes convictions ne s'effacent.
Charlie se redressa, les yeux pleins de larmes, pourquoi disait-il cela ?
- Tu as été stupide ! Aveuglée par tes sentiments tu l'as suivi en sachant que ce n'était pas la bonne chose à faire ! Tout ce que tu sais faire c'est d'être un petit mouton qui suit sans rien dire. Si tu avais réfléchi on n'en serait pas là aujourd'hui ! On serait chez nous...
- Chez toi, souffla-t-elle.
Il soupira l'air exaspéré.
- Je pensais que tu avais dépassé tout ça, mais tu n'es qu'une sale gamine capricieuse.
- Tu n'étais pas obligé de me suivre ! cria-t-elle. Tu as choisi de ton plein gré toi aussi ! Tu n'avais qu'à rester ici et rentrer dans les jupes de ta mère ! Je ne t'ai pas demandé de venir !
- Je n'ai pas choisi ! cria-t-il.
- Ah bon alors pourquoi y es-tu allé ?!
- Parce que j'ai promis à ton père de veiller sur toi avant de partir.
Il criait et Charlie pleurait, de colère, de tristesse de peur. Peut-être avait-il raison après tout.
- Comment aurais-je pu savoir que je devrais m'occuper d'une pauvre petite fille stupide !
- Tu n'avais pas à t'occuper de moi !
- On partage le même toit, et la même famille maintenant, je suis comme un frère...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que Charlie se leva brusquement pour lui faire face.
- Tu n'es pas mon frère Florent ! J'ai déjà un frère !
- Et il est mort !
Charlie reçu ces mots comme un coup de poing. Elle fut envahie par la rage. Elle se jeta sur le garçon en hurlant. Elle lui donnait des coups de poings dans le torse encore et encore sans qu'il ne bronche. Il la laissa faire sans rien dire tandis qu'elle pleurait et criait. D'un coup des mains puissantes la saisirent par les épaules et l'éloignèrent de Flo. Elle fit volte-face et repoussa le nouveau venu. Alec recula à peine. Elle le regarda, sa rage la rongeait encore de toute part, son cœur était meurtri. Il lui saisit les bras fermement.
- Lâche-moi, lui cria-t-elle.
- Charlie arrête, ça ne sert à rien, laisse-le.
Elle se dégagea et fit face à Florent à nouveau.
- Tu crois que je ne le sais pas ? Je l'ai vu mourir et je le revois encore chaque nuit.
- Et maintenant moi je vois un policier mourir chaque fois que je ferme les yeux Charlie.
- Viens, dit Alec en lui attrapant le poignet.
Elle se laissa faire tandis que le garçon l'emmenait loin de Florent.
- Tout ça c'est de ta faute Charlie, souffla Flo avant qu'elle ne disparaisse au détour d'un couloir.
Il l'emmena dans la chambre. Elle avait le regard dans le vide, la rage avait disparu laissant place à un horrible sentiment de culpabilité. Elle s'assit par terre au pied du lit et ramena ses jambes vers elle. Alec ne dit rien, il regardait droit devant lui l'air absent.
- Je lui en veux tellement... dit-elle doucement au bout d'un moment.
- Il a peur, tout comme nous, il est perdu et ne sait pas comment réagir face à ça...
- Je ne parle pas de Florent.
Alec la regarda en fronçant les sourcils, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
- Je lui en veux de m'avoir laissée, il ne devait pas m'abandonner, on se l'était promis, on devait rester ensemble tous les deux. Toujours. Il m'avait promis de me soutenir quoi qu'il arrive, il m'avait dit qu'il serait toujours là quand je serais perdue. Pourquoi a-t-il fallu qu'il me laisse... J'ai tellement besoin de lui.
Alec s'assit à côté d'elle et l'entoura de ses bras.
- Les morts ne disparaissent jamais vraiment, dit-il au bout d'un moment. Ils continuent de nous accompagner, ils guident nos actes et éclairent nos pensées. Il est toujours là auprès de toi, je le sais, je le vois dans tes yeux. Dès que ton regard se tourne vers le ciel, c'est lui que tu y vois.

   Elle releva la tête et tourna son visage vers Alec. Comment savait-il ? Pouvait-il lire en elle ? Et si c'était le cas, est ce qu'il voyait ce qu'elle voyait quand elle le regardait lui ? Trop de choses se mélangeaient dans sa tête, ses pensées valsaient en tous sens. Florent qui lui en voulait et qui faisait d'elle la coupable de cet incident. Elle aurait aimé lui dire qu'elle était désolée, mais est-ce que ça aurait changé quelque chose ? pensait-il tout ce qu'il lui avait dit ? Était-ce de sa faute si lui aussi allait voir des fantômes dans ses rêves ? Et Samaël, qui l'avait quittée sans vraiment jamais l'avoir abandonnée, est-ce qu'elle lui en voulait vraiment, elle l'aimait de tout son être. Tant de fois il était apparu pour la guider. Elle ne le laisserait jamais s'envoler. Et Gabriel qui avait besoin qu'elle reste forte pour lui, parce qu'il n'avait toujours été entouré que d'êtres vivants à l'allure de fantômes. Et Alec, dont les yeux la transperçaient de toute part, dont les paroles résonnaient jusque dans son cœur, et sa présence qui l'apaisait sans cesse. Son regard comme détaché du monde réel, comme s'il pouvait voir à travers chaque chose, comme s'il était de l'autre côté du miroir. Et cette après-midi-là, dans le lac quand il s'était accroché à elle, qu'il la tenait dans ses bras comme si elle pouvait l'empêcher de s'effondrer. Sa main dans ses cheveux, son baiser dans son cou, son souffle chaud, les gouttes d'eau qui perlaient sur sa peau. 

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant