Ça faisait environ trois semaines que Charlie vivait chez Diane. Elle passait la plupart de son temps dans sa chambre. Elle se sentait emprisonnée et avait de plus en plus de mal à le supporter. Son père ne voulait pas qu'elle sorte toute seule et elle ne voulait pas sortir avec Florent. Elle préférait donc rester dans sa chambre plutôt que d'assister à ces scènes d'amour et d'affection entre son père et Diane. Heureusement que cette dernière n'était pas en vacances et que Charlie n'était pas obligée de la voir toute la journée. Les journées étaient très longues ces derniers temps, Diane travaillait presque toute la semaine mais elle rentrait assez tôt dans l'après-midi. Le père de Charlie passait son temps à chercher un nouveau travail et Charlie n'avait aucune idée de ce que faisait Florent. Elle préférait rester dans sa chambre à parcourir ses livres, c'était un moyen pour elle de s'échapper de cet endroit. Elle voyageait à travers les mots. Elle n'avait jamais autant lu de livres en si peu de temps. Elle lisait tellement que parfois elle avait l'impression d'être déconnectée de la réalité.
Ce soir-là, le repas était agité, Florent racontait son match comme s'il s'agissait d'une bataille. Il avait tout d'un véritable héros dans son récit. Il faisait de grands gestes et parlait à la vitesse de la lumière. Diane et Jack ne cessaient de rire. Charlie quant à elle ne dit pas un mot, comme la plupart des repas, elle n'existait pas, elle se contentait d'observer la scène. Elle n'était qu'à moitié présente, une partie d'elle était retournée dans une petite maison entourée d'une famille qu'elle aimait de tout son être.
Puis il y eu un geste, un simple geste, juste son père qui était allé prendre un dessert dans le frigo alors que ni Charlie ni Diane n'avait fini de manger le plat principal. Ce geste pourrait paraître anodin, d'ailleurs Diane et Florent ne semblait pas perturbés. Mais pour Charlie ce geste signifiait que son père avait tout oublié. Quand ils vivaient encore ensemble, sa mère insistait toujours pour que tout le monde prenne le dessert en même temps, c'était important pour elle. Elle avait éduqué Charlie comme ça. Oui ce n'était qu'un geste anodin mais qui en disait long. Charlie en avait assez, elle se sentie trahie, son propre père l'abandonnait à son tour.
- Tu n'aurais jamais fait ça avant.
Ce n'était qu'un souffle, elle avait dit ça avec la dernière once de calme qu'il lui restait. Ça avait tellement surpris l'assemblée de l'avoir entendue parler que la pièce était devenue silencieuse. Ils la fixaient, interloqués.
- Qu'y a-t-il ? demanda son père surprit.
- Si maman était là, tu n'aurais jamais fait ça. Dit-elle sèchement les yeux rivés sur son assiette.
Elle sentait les regards posés sur elle et elle avait peur de les affronter, sentant que personne ne comprenait sa réaction.
- Charlie enfin ce n'est qu'un dessert, ta mère a toujours été excessive avec ça, répondit-il fermement.
Là c'en était trop. Elle n'arrivait plus à contenir sa colère et elle laissa exploser ce brasier qui brûlait en elle. Elle se leva d'un bon, la chaise tomba en arrière avec fracas. Elle frappa la table de ses deux mains et se mit à crier à son père :
- Maman n'allait pas trop loin, c'était juste de la politesse ! Et toi tu sembles l'avoir oublié avec elle ! Ça fait si peu de temps et tu l'as déjà remplacée ! tu as remplacé notre famille et notre maison pour cet endroit de malheur ! Et moi, tu vas m'oublier moi aussi ?!
Son père se leva à son tour.
- Charlie, je ne te permets pas de me parler comme ça, j'ai fait ça pour nous deux et c'était dur pour moi aussi de tout quitter.
- C'était dur pour toi ?! De venir rejoindre ta bien aimée dans sa maison de poupée ?! Ah oui j'imagine que tu as du beaucoup souffrir.
- Charlie, il faut tourner la page et passer à autre chose maintenant. Dit-il en essayant de paraître calme.
- Non ! Je refuse d'oublier notre famille !
- Elle n'existe plus ! Hurla son père.
Charlie avait le visage ravagé par les larmes. Cette dernière phrase lui fit l'effet d'un coup de poignard. Elle ne dit plus rien les mots s'étaient envolés. Elle ne pouvait plus parler. Florent avait la tête baissé l'air mal à l'aise et Diane les observait l'air blessé. Charlie saisi un verre et l'envoya s'éclater contre le mur en criant. Le verre se rependit sur le sol. Elle courut dans sa chambre.
Son père lui hurlait après mais elle n'entendait pas, elle ne percevait que les battements de son cœur. Elle claqua la porte de sa chambre, et se jeta dans son lit. Elle a enfoui sa tête dans un oreiller et elle hurla de toutes ses forces. Son père ne rentrerait pas dans sa chambre, elle le savait, il n'oserait pas l'affronter sur ce sujet. Un torrent d'émotion avant envahi son corps, colère, tristesse, désespoir, angoisse, peur, solitude. Mais aucune larme de s'échappait de ses yeux. Elle en avait trop versé ces derniers temps, elle était vide à présent, elle se sentait vide.
Charlie tourna la tête vers la fenêtre. La lune éclairait le ciel et les étoiles brillaient à ses côtés. Elle aurait aimé être là-haut, gouverner le ciel et observer le monde, les milliards de petites fourmis se massant là, s'acharnant à faire tourner ce monde rond. Et pourtant pour Charlie tout dans ce monde allait de travers, elle ne savait plus ce qu'elle faisait ici. Son seul soutient quotidien avait disparu et elle ne le reverra plus, a moins de le rejoindre. Or elle lui avait promis de ne pas le faire.
Elle se leva et s'approcha de la fenêtre. Elle mourrait d'envie de sortir. Depuis qu'elle était arrivée ici elle n'avait pas mis un pied dehors. Et à présent elle se sentait enfermée, et avait l'impression d'étouffer. Elle posa sa main sur la poignée de la fenêtre. Son cœur battait la chamade. Elle n'avait jamais fait ça auparavant. Elle était toujours restée dans les clous. Elle avait toujours fait ce qu'on lui demandait. Mais maintenant elle n'avait plus aucune raison d'être l'enfant modèle. Elle n'avait plus personne à impressionner. Elle fit tourner la poigné. La fenêtre s'ouvrit. Elle passa une jambe, puis la deuxième. Sa chambre était à l'étage mais ce n'était pas très haut, et il y avait le toit du garage en contre bas. On aurait dit que tout avait été prévu. Elle se demanda à quoi servait ce garage puis qu'aucune des deux voitures n'y était garée et attendaient sagement dans l'allée. Ses pensées revinrent à son saut. Si elle ne faisait pas attention elle pourrait se casser quelque chose. Elle n'y arriverait pas... elle était incapable de faire ça. Ce n'était pas son genre, elle était une fille sage... remarque jusqu'à présent elle n'était pas non plus le genre de fille à jeter de la vaisselle par terre et à quitter la table.
Elle regarda à nouveau la lune. Un léger vent soufflait ce soir-là. Semblant lui caresser le visage. Elle eut l'impression de voir la lune lui sourire, et de sentir le vent lui prendre la main afin de l'attirer vers la liberté. Elle se sentie envahi d'une force nouvelle. Elle se sentait prête à accomplir n'importe quoi. Elle allait sauter. Oh que oui elle allait le faire. Elle s'avança encore un peu. Elle inspira un grand coup. Lâcha une main, elle s'apprêtait à lâcher la deuxième et à se précipiter dans la chute quand quelqu'un l'interpella.
- Non ne fais pas ça !!
Charlie releva la tête, elle aperçue un garçon à la fenêtre juste en face d'elle, il avait l'air paniqué et avait ses deux bras tendus dans sa direction. Elle le regarda intriguée.
- Ecoute je ne sais pas ce que tu as vécu de si difficile pour prendre cette décision, mais la vie est belle, elle mérite d'être vécue, ne saute pas, je t'en prie, je ne sais pas qui tu es mais tu dois vivre ! Chaque être humain a sa place dans ce monde, je t'en prie, relève-toi et referme cette fenêtre, reprend ta vie et bat toi !
Charlie le fixa, incrédule. Puis elle pouffa et finie par éclater de rire. Le garçon fut surpris, il eut un mouvement de recul et ne sembla pas comprendre la situation. Quant à elle, elle riait aux éclats, elle riait tellement que son corps semblait secoué de convulsions.
- Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? demanda le garçon qui parut tout à coup indigné.
- Je ne voulais pas me suicider, dit Charlie entre deux éclats de rire, je m'apprêtais seulement à sortir en cachette.
Le garçon paru gêné, il se grattait la tête avec un air embarrassé.
- Oh d'accord, et bien excuse moi je me suis un peu emporté...
Il s'arrêta un instant il avait l'air de réfléchir.
- Ça te dirait de venir boire un verre à la maison ? Pour me faire pardonner d'avoir gâché ton suicide, dit-il en riant.
Elle trouvait ce garçon étrange, il avait l'air tout droit sorti d'un dessin animé, avec ses grands gestes et cette réaction excessive. Elle hocha tout de même la tête, après tout, boire un verre chez des inconnus ce n'est pas très conseillé, et tout ce qu'elle semblait chercher c'était un peu de danger.
- Fait attention en descendant, je t'attends à l'entrée de la maison ! Dit-il avant de disparaitre derrière de grands rideaux blancs.
Charlie se suspendit au rebord de sa fenêtre, ses pieds étaient à une cinquantaine de centimètre du toit du garage. Elle hésita un peu puis se laissa tomber. Elle atterri en douceur sans faire trop de bruit. Elle se releva et arborait un air fier. La première étape était un succès ! Elle n'avait plus qu'à répéter l'action pour atterrir sur le gazon. Elle se suspendit à nouveau, mais cette fois la distance était un peu plus importante, elle n'y prêta pas attention et se laissa tomber. La chute fut un peu douloureuse mais rien de grave, elle se releva et se dirigea discrètement vers la maison voisine.
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Le cycle des âmes perdues
General Fiction"Cher Sam, aujourd'hui tout recommence... " Charlie, une jeune fille au passé trouble, entame une nouvelle vie rythmée par des lettres adressées à un certain Sam. Cherchant à la fois à avancer tout en restant enchaînée à son passé, elle va devoir fa...