Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis leur petit tour dans les eaux du lac, les courses avaient été rangées et tous se sentaient déjà épuisés de la journée. Charlie était montée dans sa chambre afin de trouver un peu de repos. Elle se retrouva avec Claire, cette dernière était magnifique comme à son habitude et Charlie pensa alors à Florent. Il avait une façon particulière de regarder Claire. Ses yeux semblaient ne pas pouvoir se détacher d'elle et être toujours en quête de quelque chose à son égard.
- Claire, est ce que toi et Florent vous sortez ensemble ? demanda Charlie.
- Non, répondit la jeune fille surprise. Nous sommes juste amis. C'est vrai que c'est un beau garçon, ajouta-t-elle pensive.
Charlie haussa les épaules, elle ne pouvait pas nier que Flo aurait pu lui plaire si elle ne vivait pas sous le même toit que lui sept jours sur sept. Claire lui adressa un sourire malicieux.
- Et toi, tu sors avec Alec ? dit-elle.
- Non, répondit Charlie simplement.
Elle ne s'étala pas sur le sujet, ne sachant pas vraiment elle-même ce qu'elle aurait à en dire. Soudain un des garçons qu'elle ne connaissait pas déboula dans la chambre, un certain Nicolas si elle avait bien compris, c'était lui qui semblait apprécier Gabriel. Il avait l'air affolé. Il se tourna vers la fille aux cheveux de feu.
- Tu devrais venir voir ce qu'il se passe en bas, vite ! dit-il.
Les deux filles échangèrent un regard, à la fois inquiètes et intriguées. Elles suivirent le garçon à travers les couloirs. Charlie était anxieuse, elle avait peur de se trouver face une bagarre ou une dispute, qu'il se soit passé quelque chose de grave. Arrivée en bas, ce fut pourtant tout l'inverse. Un grand silence régnait dans la pièce. Tout le monde était déjà là assis ou debout devant la télévision. Elle se plaça à côté d'Alec, il lui adressa un mince sourire.
- Qu'est-ce qu'il se passe ici ? demanda-t-elle doucement en balayant la pièce du regard.
- Une déclaration d'un politicien qui ne va pas faire plaisir à beaucoup de monde.
Charlie se tourna vers l'écran et écouta ce que disait l'homme habillé d'un costard bleu. Comme tous les hommes politiques il avait l'air fier et parlait avec éloquence. Il parlait du danger qui était en train de prendre son pays à la gorge. De la criminalité qui n'avait jamais été aussi élevée dans les rues des villes. De ses hommes pris de folies meurtrières et ravageuses. Son discours monta crescendo jusqu'à ce qu'il évoque enfin la solution qu'il avait décidé de mettre en place pour résoudre ce problème. Charlie eut l'impression que tout le monde retenait son souffle. L'homme fixa alors la caméra de ses yeux pixélisés.
- Dorénavant les forces de l'ordre pourront procéder à des fouilles, des perquisitions et dans certain cas des arrestations sans détenir de mandat. De plus le port d'armes létales par les forces de l'ordre ou tout agent de sécurité sera désormais autorisé et j'irais même jusqu'à dire recommandé. Nous parviendrons à remettre de l'ordre dans notre magnifique pays et...
Avant que l'homme n'ait le temps de finir son discours Kyle donna un grand coup de poing dans la télé. L'écran devint noir et tous restèrent silencieux. Charlie eut l'impression que l'air c'était chargé en électricité. Kyle se tourna vers l'assemblée, ses yeux brûlaient de haine. Il avait l'air fou, Charlie frissonna.
-On ne peut pas les laisser faire ! hurla-il. Ils se nourrissent de nos libertés et bientôt il ne nous restera plus rien, nous ne serons plus que des animaux en cage. June dit moi que des manifestations sont prévues, que le monde va se lever contre cette horreur.
La jeune fille avait l'air affairé, les yeux rivés sur l'écran de son portable. Elle avait l'air en colère elle aussi. Ses sourcils étaient froncés et son visage tordu de rage tout comme celui de Kyle. Charlie se sentit effrayée, elle avait un mauvais pressentiment. Soudain le visage de June s'illumina.
- Ça y est je le tiens, demain il y a un grand regroupement prévu, une marche dans une grande ville non loin d'ici. Ils ont été rapides cette fois ci.
- Nous devons-nous y rendre, dit Kyle les poings serrés.
June hocha la tête et regarda l'assemblée.
- Je vous suis, comme toujours, il est hors de question de les laisser faire, déclara Claire le visage tendu.
Charlie ne savait pas quoi faire. Elle se sentait tiraillée. Cette nouvelle loi était révoltante et atroce et elle ne cautionnerait jamais ce genre de chose. Pourtant elle sentait que c'était une très mauvaise idée d'aller manifester. Elle essaya de trouver le regard d'Alec pour savoir ce qu'il pensait, mais il se contenta de fixer le mur face à lui, l'air absent. Puis elle se tourna vers Gabi, espérant qu'il ne suive pas le mouvement. Mais avant qu'elle ne puisse accrocher son regard le garçon se leva d'un bon et alla s'asseoir à côté de Claire. Il se tenait les épaules droites, l'air sûr de lui. Prêt à partir en guerre.
- J'en suis, dit-il sèchement.
Charlie ne l'avait jamais vu dans cet état, tout sourire avait disparu de son visage, comme si sa joie de vivre s'était échappée de son corps. Charlie attrapa le bras d'Alec inconsciemment, il ne la regarda même pas. Nicolas hocha la tête à son tour, l'air déterminé. Il ne restait plus qu'Alec, Florent et elle. Elle jeta un regard à Flo, il avait l'air mal à l'aise, il hésitait tout comme elle, il n'avait pas l'air enchanté à cette idée. Il la regarda un instant, elle avait l'impression qu'il cherchait du soutien lui aussi. Elle pinça les lèvres, que devait-elle faire ? Elle serait bien incapable d'empêcher le groupe d'aller manifester, mais peut-être qu'au moins elle pourrait rester là et attendre qu'ils reviennent. D'un autre côté elle savait que si Alec décidait de rejoindre le groupe elle ne pourrait le laisser partir sans elle. Elle resserra son emprise sur lui, comme pour le supplier de ne pas faire ça.
- Alec, malgré les différents que tu as pu avoir avec certains d'entre nous, je sais que tu es incapable de rester les bras croisés face à ce genre de chose, lança Gabi d'une voix neutre.
Son regard était dur et Charlie semblait y percevoir une pointe de frayeur.
Alec souffla, il haussa les épaules. Le cœur de Charlie s'emballa et son estomac se noua.
- Ce sera toujours plus intéressant que de tourner en rond dans votre foutu chalet, déclara-t-il.
- Ce n'est qu'une manifestation, nous allons marcher et crier un peu, commença Claire. Ça ne peut être qu'amusant, et je suis sûre qu'aucun de vous deux ne cautionne ce qu'a dit cette ordure.
Amusant...
Charlie et Florent échangèrent un regard. Ce n'était qu'une manifestation après tout, ce n'était pas la première fois qu'elle en faisait une, elle avait manifesté avec ses amis et Sam autour de leur ancien lycée. Ils s'étaient bien amusés. Mais le blocus d'un lycée n'a rien à voir avec la manifestation qui allait avoir lieu le lendemain. Elle sentait comme un orage lourd et sombre planer au-dessus d'eux. Elle chassa cette pensée et hocha la tête, essayant de paraître détendue. Il ne lui jeta pas un regard, mais Charlie sentit la main d'Alec saisir la sienne délicatement. Elle n'osait plus regarder Florent, elle avait cette étrange impression de l'avoir trahi. Finalement il acquiesça à son tour en grommelant.Le lendemain tout le monde se leva assez tôt, il y avait un peu de route à faire avant d'atteindre la ville. Charlie eut du mal à se lever, la veille ils s'étaient tous affairés à confectionner des pancartes ou à customiser des t-shirt. Ça avait un peu détendu l'atmosphère. June et Kyle étaient sur le qui-vive, de la détermination se lisait dans leurs yeux. La peur qu'elle avait ressentie la veille semblait s'être un peu dissipée. Florent était le seul qui avait l'air un peu tendu.
- T'as pas l'air en forme, aurais-tu passé une mauvaise nuit ? lui lança Charlie.
- La ferme, grommela-t-il.
- C'est la manifestation qui te rend aussi nerveux ?
- Je ne la sens pas cette histoire,dit-il.
Charlie pensait la même chose que lui,mais elle ne laissait rien paraître.
- Ne t'inquiète pas, on te tiendra la main si tu as peur de te perdre, railla-t-elle en s'éloignant.
Il lui lança un regard noir, ils'apprêtait à la suivre mais quelqu'un d'autre attira son attention.
Plus les minutes passaient et plus elles semblaient se rallongées. Charlie ne tenait plus en place, dès qu'elles'arrêtait de bouger elle ressentait la tension, la colère, la peur, la haine même, qui avaient envahi la pièce. Chacun semblait laisser ses émotions s'échapper de son corps. Ils sortirent de la maison et chargèrent le Van de Nicolas, tout le monde prit place et pour la première fois depuis qu'elles'était réveillée Charlie se retrouva contrainte de rester immobile. Elle ressentit alors le poids des espérances ou des craintes de chacun combler le moindre espace vide de l'habitacle. Elle se sentit étouffer et la panique montait dans sa gorge. Elle ne voulait plus y aller, elle ne voulait pas les suivre, elle voulait retourner se baigner dans le lac avec Gabriel et Alec, juste tous les trois. Qu'ils la prennent dans leurs bras où elle se sentait en sécurité.
Le moteur du van ronfla et ils quittèrent le chemin du chalet. Gabriel posa sa tête sur l'épaule de la jeune fille et serra sa main, cela l'apaisa un peu.
Ils iraient manifester, ils iraient marcher, ils iraient crier.
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Le cycle des âmes perdues
General Fiction"Cher Sam, aujourd'hui tout recommence... " Charlie, une jeune fille au passé trouble, entame une nouvelle vie rythmée par des lettres adressées à un certain Sam. Cherchant à la fois à avancer tout en restant enchaînée à son passé, elle va devoir fa...