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Cher Sam,
Je sais combien la vie peut basculer en un instant. Que tout ne tient qu'à un fil, qu'une seule fraction de seconde suffit parfois à tout changer. Ma vie à déjà basculé une fois et j'aurais donné n'importe quoi pour que ça n'arrive pas une seconde fois. Mais on ne choisit pas ce genre de chose, les jeux sont déjà faits.
On se retrouve alors à observer la scène où tout s'est mis à bouger au ralenti. Tétanisé.
Le son semble lointain et on se retrouve paralysé au milieu de la foule qui hurle. Horrifié.
Les yeux rivés sur l'élément déclencheur, on se répète en silence « pourquoi, pourquoi, pourquoi... ? ». On essaye de se convaincre que ce n'est pas réel, que c'est impossible, que tout ça ne peut nous arriver, parce que ça n'arrive que dans les films ces choses-là, pas vrai ?
Que tout est impossible. Un cauchemar peut-être ?
Oui c'est ça...
Non, tout est réel. Impossible. Mensonge.
La panique nous prend à la gorge, nous mordant de ses crocs acérés. On se retrouve plus perdu encore. On regarde autour de nous à la recherche de la réponse. Trouver un visage familier, mais on ne distingue rien dans cette foule qui prend la fuite.
Les yeux rivés sur tout ce rouge qui se repend sur le sol.
Tout se passait si bien, on ne faisait que marcher, et crier notre mécontentement, certains agitaient des pancartes. J'ai été agréablement surprise par le nombre de personnes qui s'étaient rassemblés pour lutter contre le nouveau projet de loi. Tu sais bien que les bains de foules ce n'est pas ce que je préfère, presque à chaque fois je m'agrippais à toi désespérément. Cette fois je tenais le bras de Gab et les autres nous entouraient.
Au début tout était très calme, mais une tension a parcouru la foule quand nous nous sommes tous mis en marche. C'était assez silencieux au début, j'ai trouvé ça étrange et dérangeant. J'avais cette impression que ce silence exprimait la peur que tout le monde ressentait. Puis une voix à retenti dans un mégaphone, scandant une phrase que tout le monde reprit en cœur. Ça y est la machine était lancée. Petit à petit chacun vaqua à ses occupations. Certain, comme June et Kyle par exemple, criaient sans arrêt. D'autres discutaient, Claire et Florent parlaient avec un groupe de jeunes du coin. Nicolas faisait la conversation à Gabriel, l'air à la fois intimidé et curieux. Alec marchait, les mains profondément enfoncées dans les poches de son jean et ses yeux émeraude rivés vers le ciel. Il avait l'air imperturbable, comme s'il était enfermé dans une bulle que personne ne pouvait faire voler en éclat.
Puis les évènements ont pris une toute autre tournure. Nous nous sommes retrouvés face à un mur que formaient des policiers. Ils portaient tous des casques avec visière et de grands boucliers transparents. Certains avaient une matraque attachée à la ceinture, d'autres la tenait bien en main. J'ai vu des tasers et des armes à feu parfois. Mon cœur s'est serré, et ma gorge s'est nouée. Ensuite tout est allé très vite. Beaucoup trop vite.
L'avant du groupe à fait pression contre les policiers sans avoir recours à la violence, mais ils n'ont pas bougé d'un centimètre. Puis je ne sais pas ce qu'il s'est passé, les trois quarts des personnes présentes se sont comme transformées en animaux sauvages. Ils ont foncé sur les policiers avec une force impressionnante. Ils ont alors riposté, et l'anarchie a gagné la foule.
Bousculades, coups, hurlements, violence, peur, haine, tout y était. Le mur de policier s'était disloqué. Et tout le monde courait partout pour éviter de se faire attraper. Un agent a chopé June. Kyle fou de rage a glissé sa main dans sa poche et a sorti un revolver. Je l'ai regardé faire, j'étais paralysé Sam, je ne pouvais rien faire. Et j'ai tout vu.
Il a posé un doigt sur la détente et pointé l'arme sur le flic. J'ai vu un éclair de peur traverser le regard de l'homme, mais il s'est repris en un instant, il n'a pas lâché June. Elle avait un regard terrifiant, un regard à te glacer le sang. Elle avait l'air sauvage, monstrueuse, et à la fois elle avait l'air heureuse de voir cette arme. Son sourire semblait dire à Kyle, « vas-y, vas-y fais le. » comme si c'était le plus grand et le plus puissant de tous ses désirs. Le policier interpela Kyle, alors, sans même réfléchir il a pressé la détente. Le bruit à déchiré le ciel. J'ai vu l'homme libérer June avant de s'écrouler au sol avec une lenteur irréelle. Des gens ont crié, hurlé, pleuré, tous ont fui le plus loin possible. J'ai vu June sourire et ses yeux s'illuminer, Kyle avait l'air de jubiler, tous deux avaient l'air soudain épris d'un désir violent, ils se regardaient comme s'ils étaient prêts à coucher ensemble ici même. Puis le bruit s'est assourdi, tout autour de moi semblait s'effacer. Je ne voyais que l'homme allongé à terre et ce liquide pourpre se répendre autour de lui et la détresse mêlée à la douleur dans ses yeux. Il me supplia du regard.
Pendant un instant j'ai cru que c'était toi Samaël. Je revoyais la scène de ce funeste mois de janvier. Les images du passé et du présent s'entremêlaient. June et Kyle avaient disparu, je me suis retrouvée seule face au néant. Des gens me bousculaient mais j'avais l'impression que tout me passait au travers. Je ne voyais que le sang qui s'insinuait entre les pavés de la rue, glissant jusqu'à moi. Je voulais hurler mais aucun son ne pouvait s'échapper de ma gorge. Je voulais l'aider, sortir de cette catatonie, appeler les secours, je voulais le sauver, alors même que je n'ai pas pu te sauver toi.
Mais j'étais prisonnière de mon corps paralysé, mes muscles refusaient de me répondre. Je ne pouvais même pas pleurer, je ne pouvais pas le quitter de yeux, je ne pouvais que regarder ce pauvre homme mourir, impuissante, capable de rien. Puis quelqu'un m'a pris le visage et ma détourné de la scène. Il me parlait, il avait l'air agité mais je n'entendais rien. Je ne me suis rendu compte que c'était Alec qu'après quelques secondes de réflexion. Mon pouls s'est légèrement accéléré, l'ouïe a commencé à me revenir doucement. « Ne regarde pas Charlie, je t'en prie » disait-il. Puis il m'a entraînée à travers la foule en me serrant contre lui. On a marché jusqu'au Van. Tous les autres nous y attendaient. Je n'ai pas pu regarder June et Kyle. J'ai gardé les yeux baissés, j'avais trop peur Sam. Je me suis arrêtée de marcher et je me suis accrochée à Alec. Il m'a regardé et m'a entouré de ses bras. « Je sais. Moi non plus je ne veux pas y aller. »
Je ne pouvais pas y aller. J'ai fermé les yeux, le corps tremblant et je me suis blottie contre lui, espérant qu'il m'emmène loin de tout ça. Il posa ses mains sur ma taille et me souleva du sol, mes jambes posées sur ses hanches et ses mains à l'arrière de mes cuisses pour me porter comme si je n'étais plus qu'une petite fille terrifiée. Je l'ai laissé faire et j'ai enfoui ma tête au creux de son cou. Je ne voulais voir personne. Nous nous sommes assis au fond du van, accrochés l'un à l'autre. Personne ne dit mot pendant le trajet de retour. Mais la tension était perceptible, est-ce que tout le monde savait ce qu'il s'était passé là-bas ? Je ne pense pas, mais ceux qui n'avaient pas assisté à la scène devaient avoir des doutes. En arrivant chacun s'est réfugié dans sa chambre. Alec et moi sommes restés ensemble. De temps en temps il me dit des mots pour me rassurer, me pose des questions, mais je suis incapable de parler.
Sam, que va-t-il se passer maintenant ? Qu'est-ce qu'il va nous arriver ?
J'ai tellement besoin de toi Sam, pourquoi n'es-tu pas à mes côtés.
Charlie. 

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant