19

7 3 0
                                    

   En arrivant, Alec avait déposé Charlie dans le lit et il s'était assis à la fenêtre observant les eaux calmes du lac, attendant que le soleil se lève pour enfin pouvoir quitter cet endroit. Charlie était incapable de fermer les yeux. Dès que ses paupières se fermaient elle revoyait le regard suppliant de cet homme qui agonisait baignant dans son propre sang.
- Alec, chuchota-t-elle.
Il la regarda, surpris de l'entendre parler, mais elle fut incapable d'en dire plus.
J'ai peur, j'ai si peur.
Il se leva et s'allongea à ses côtés pour la prendre dans ses bras. Il passa sa main dans les cheveux de la jeune fille. Il ne parlait pas, ils restèrent ainsi des heures durant. Charlie somnola quelques instants malgré elle et sa tête glissa sur l'oreiller.
- Ne me laisse pas, chuchota alors Alec.
Elle releva la tête, il avait les yeux embués de larmes. Charlie l'avait rarement vu montrant de telles émotions. Ce fut une des premières fois où elle eut la certitude qu'il était réel. Il avait abaissé ses défenses, se montrait comme nu face à elle. Elle se rapprocha de lui, l'entoura de ses bras et posa sa tête sur son torse.
- Jamais, répondit-elle doucement.
Pendant un éclair elle oublia tout du cauchemar qu'elle venait de vivre, elle ne sentait plus que ses lèvres qui la picotaient et le désir d'embrasser le garçon. Elle ferma les yeux et au lieu de voir des images d'amour et d'envie, elle vit du sang et des hurlements. Une larme roula sur sa joue et glissa le long de son cou.

Le jour se leva doucement, Charlie eut l'impression qu'il ne voulait pas venir, qu'il allait laisser cette lueur rose dans le ciel pour l'éternité. Tout avait l'air paisible, les arbres dansaient avec légèreté sous le vent et les eaux du lac ondulaient à peine. Le ciel était clair et aucun nuage ne semblait vouloir apparaître. Pourtant dans le chalet l'orage planait au-dessus du groupe d'amis. Charlie pouvait sentir la tension qui régnait dans le bâtiment depuis sa chambre. Elle voulait partir d'ici au plus vite mais elle savait qu'elle allait devoir affronter les autres et elle avait peur. Elle se demandait si elle était la seule à avoir vu ce qu'il s'était passé. Qu'allaient dire Kyle et June ? Elle revit leurs visages et Charlie frissonna.
- Ça va ? demanda-Alec.
Elle haussa les épaules.
Est-ce que ça ira mieux un jour ? Ou est-ce que ça me hantera toute ma vie ?
- Je ne sais pas, dit-elle simplement. Je veux quitter cet endroit.
- Moi aussi, dit-il doucement.
Il se leva et tendit la main à Charlie afin qu'elle le suive. Elle replia ses jambes vers elle et enfoui son visage dans ses bras.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
Sa gorge était nouée, elle voulait savoir si Alec avait vu ce qu'elle avait vu.
- Alec...est ce que tu as vu ce qu'il s'est vraiment passé hier ? Est-ce que tu sais qui a...
- Oui, répondit-il en baissant la tête, je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, mais je sais que c'est Kyle qui a tiré.
À cet instant quelqu'un entra dans la pièce sans même frapper.
- Tout le monde est en bas, lança Florent, vous devriez venir.
Son regard était vide, il avait l'air perdu. Charlie ne l'avait jamais vu ainsi, lui qui était toujours si sûr de lui. Il tourna les talons mais elle le retint par le bras.
- Flo, je... commença-t-elle.
- Laisse tomber, dit-il en se dégageant et en quittant la pièce.
Charlie se retrouva plantée là avec l'horrible sentiment d'avoir perdu un être cher. Alec posa sa main sur son épaule.
- Il est bouleversé lui aussi. Si tu veux mon avis nous ne sommes pas les seuls à avoir vu ce que Kyle a fait hier.
Elle baissa la tête, un frisson la parcouru. Ils quittèrent la pièce à contre cœur, arrivés sur le palier des éclats de voix parvinrent jusqu'à eux. Charlie se crispa et son corps se paralysa en entendant June et Kyle.
- Il faut y aller Charlie, lui dit Alec.
- Je... je ne peux pas.
- Il faut passer par là si tu veux qu'on puisse partir d'ici.
Alec semblait avoir retrouvé son calme comme si sa bulle s'était reconstruite. Il avait à nouveau l'air intouchable. Il avança et Charlie suivit ses pas. Elle ne voulait voir personne, elle ne voulait pas voir le visage de tous ces gens. A chaque marche la boule au creux de son ventre semblait grossir, chaque pas devenait une torture.
- Alec, Charlie ! s'écria Gabi avant de venir dans leur direction.
- Salut Gab, ça va ? demanda Alec en observant son ami.
Le garçon avait les traits tirés par la fatigue, lui dont le sourire illuminait toujours la pièce, avait l'air perdu, désespéré même. Néanmoins Charlie remarqua qu'une lueur d'espoir traversait son regard quand il regardait Alec. Comme s'il représentait leur salut à tous.
- Je...
Ses yeux s'embuèrent de larmes, il se détourna.
- On nous attend.
Il commença à partir mais Alec le retint par le bras et l'attira contre lui. Gabriel l'entoura de ses bras et enfoui son visage au creux de son épaules, comme le faisait Charlie si souvent. Elle se demanda si Gabi avait passé la nuit seul pendant qu'elle et Alec étaient ensemble. Il était sans doute aussi meurtri et terrorisé qu'elle. Les deux garçons se lâchèrent. Et Gabi serra la main de Charlie, elle se blotti contre lui et ils partirent rejoindre le reste du groupe.
Dans le salon la tension était palpable. Seuls June Kyle et Claire étaient assis, les autres se tenaient debout les bras croisés, le regard effrayé.
Charlie s'arrêta à côté de Flo. Il ne lui adressa pas un regard contrairement aux autres personnes présentes dans la pièce. L'instant d'après les discussions reprirent.
- On devrait rester ici le temps que les choses se calment, dit June.
- Il est hors de question que je passe une nuit de plus ici, répondit Florent sèchement.
Charlie remarqua qu'il serrait les poings et qu'il avait les mâchoires crispées.
- Pourquoi ça mon cher Florent, tu avais pourtant l'air de bien t'amuser avec nous, railla June de sa voix doucereuse.
- Un homme est mort ! s'écria-t-il.
La salle fut plongée dans le silence. Ces mots flottèrent quelques instants en l'air, comme si le fait qu'il les ait prononcés à voix haute avait rendu ça irréversible. Ils furent tous frappés par la réalité.
- Il a raison, commença Alec, on ne peut pas rester ici, il faut aller voir la police.
- Hors de question.
June se leva avant de reprendre.
- Personne ici n'ira voir la police.
- Reste cachée ici si tu le souhaites, mais ce n'est pas moi qui ai emmené un putain de flingue et tiré sur un homme ! Je n'ai rien à faire ici et je ne resterais pas dans ce trou.
Flo avait l'air dans une colère noire, sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration saccadée. Il avait l'air d'être à deux doigts de pleurer, de péter un câble. Charlie aurait aimé lui venir en aide, mais elle avait peur qu'il ne la repousse. Après tout c'est elle qui l'avait poussé à venir à la manifestation.
June observa chacun de ses amis, puis elle fit un sourire.
- C'est ça que vous ne comprenez pas. Vous étiez là, avec nous, et pire encore vous avez pris la fuite en notre compagnie.
Elle parlait de façon détachée, sûre d'elle, comme si tout ça n'avait pas vraiment d'importance, comme si ce n'était qu'un acte anodin. Comme si elle avait l'habitude. Charlie frissonna.
- Vous êtes complices, reprit-elle, du moins c'est comme ça que la presse vous perçoit.
Charlie fronça les sourcils, ne comprenant pas où elle voulait en venir. Elle balaya la salle du regard et se rendit compte que tout le monde autour d'elle était perplexe.
- Ohh, vous n'êtes pas au courant, dit June feignant la surprise. Chacun de vos beaux visages ont été identifiés et déjà transmis à la presse et à la télévision. On est tous dans la même merde.
- Quoi ?! cria Nicolas donc les yeux étincelaient de peur. Non, on n'a tué personne !
- Vous êtes avec nous, roucoula June, vous êtes complices.
- Rien à foutre, s'écria Florent, Charlie rassemble tes affaires, on se tire de cet endroit de malheur !
Il s'avança mais Kyle se leva et s'avança vers lui les bras croisés.
- Eh doucement l'ami, tu comptes aller où comme ça ?
- J'me casses de là et je vais expliquer ce qu'il s'est passé aux flics, t'es un putain de meurtrier.
- Et vous l'êtes aussi, renchérit June. Quelqu'un a-t-il levé le petit doigt pour venir en aide à cet homme ?
Personne ne répondit et Charlie se sentie envahi par la culpabilité. Elle aurait pu faire quelque chose, elle aurait dû, mais en avait été incapable.
- Ecoutez, si l'un de nous sort d'ici, on finira tous en prison pour meurtre, vous ne voulez pas ça n'est-ce pas ? dit Claire doucement.
Tout le monde baissa la tête.
- Maintenant, filez-moi vos portables, dit June, on ne peut pas les garder sinon ils seront capables de nous localiser si ce n'est pas déjà fait.
Charlie eut le cœur serré, elle avait promis d'envoyer des nouvelles à son père fréquemment pour pas qu'il ne s'inquiète. Et à présent il entendrait parler d'elle à la télévision ou dans les journaux et tout le monde dirait des choses horribles, il serait anéanti. Elle ne lui avait même pas dit où elle allait, tout ce qu'il savait c'était qu'elle se trouve dans un chalet. Il ne pourrait pas la retrouver. Elle voulait hurler, partir en courant jusqu'à ce que ses jambes ne puissent plus la porter.
- Je ne vais pas me laisser faire, dit alors Flo, vous croyez que je vais vous écouter raconter vos histoires sans rien dire ? Que je vais rester cloîtré ici, sans moyen de communiquer avec le reste de monde ? Aller vous faire foutre ! cria-t-il en crachant à la figure de Kyle.
Florent fit volte-face et s'apprêtait à quitter la pièce sous le regard ébahis de l'assemblée quand Kyle le saisit par le bras et l'envoya à terre d'un violent coup de poing. Charlie se précipita vers Flo, elle s'agenouilla à ses côtés. Son nez pissait le sang. Il grogna et s'apprêtait à se relever quand Kyle sortit à nouveau le revolver. Charlie eut un mouvement de recul et le souffle coupé, elle s'agrippa malgré elle à Flo. Ses yeux étaient emplis de rage.
- T'es malade, cria Nicolas, lâche ça !
Kyle se retourna et pointa larme sur lui, puis il fit de même avec Gabi et Alec. Des larmes roulaient sur les joues de Charlie. Elle était rongée par la peur.
- Je m'en suis déjà servi, je n'hésiterais pas à recommencer, dit-il fermement. Maintenant vous aller faire ce qu'on vous demande. Alors sortez vos téléphones.
Tout le monde s'exécuta. Et June ramassa les appareils pendant que Kyle continuait de pointer son arme sur eux tour à tour.
Il suffirait d'un instant, d'une micro seconde, d'un fragment de temps pour que la balle parte et vienne s'enfoncer dans la chair de l'un d'entre eux. Charlie eut alors l'impression que chaque seconde durait une éternité. La vie de chacun d'entre eux ne tenait qu'à un fil.
June fit un tas avec les téléphones. Kyle s'approcha et les écrasa les uns après les autres en criant. Il avait l'air d'un fou, d'un monstre.
Charlie regarda Flo, il tremblait, de peur ou de rage peut-être. Il était couvert de sang.
- Est-ce que ça va ? demanda-t-elle au garçon.
- Ils ont pété un câble, dit-il entre ses dents. Kyle est dangereux et June n'est pas mieux. Quant à Claire...
- Elle est avec eux, dit Charlie tristement.
Elle s'était attachée à la jeune fille, elle l'avait considérée comme une amie, elles avaient partagé de bons moments. Mais ce devait être pire pour Florent qui avait l'air de l'aimer plus qu'une simple amie.
- Il faut soigner ton nez, souffla Charlie.
- Tu t'inquiètes pour moi maintenant, railla-t-il.
Elle se releva et l'aida à faire de même. Kyle se tourna vers eux, il avait rangé son arme. Mais son regard était toujours le même, le même que celui de la veille après avoir tiré sur le policier. Claire quitta la pièce, personne ne bougea jusqu'à ce qu'elle revienne.
- J'ai fermé toutes les portes dit-elle en souriant. Personne ne pourra sortir à présent.
- Parfait, répondit June.
Charlie observa chacun de ses amis, tous avaient l'air partagés entre peur et colère. Elle-même était envahie par ces deux sentiments. Elle voulait à la fois partir en courant, fuir toute cette horreur et se jeter sur June et Kyle, les rouer de coups, défouler toute sa colère.
Aide-moi Samaël, j'ai besoin de toi.
Elle revit la route, les phares trop proches, éblouissants, crissement de pneu sur la chaussée. Le choc, et tout ce rouge. Celui de son frère, celui du policier, le sien, celui de Florent. Sa cicatrice la brûlait.
- Vous n'avez donc aucun remord ? demanda-t-elle presque dans un soupir malgré elle.
Il était là, Sam était avec elle. Son cœur battait avec frénésie. Elle serra les poings et releva la tête. Faisant face à ces démons.
- Des remords ? Ricana June. Si Kyle n'avait pas réagi, qui sait ce que cet homme aurait fait de moi.
- Il t'aurait arrêtée, emmenée en garde à vue et relâchée quelques heures plus tard !
- Tu crois ça ? Que tu es naïve ma pauvre fille, rétorqua June l'air exaspérée.
- Quoi qu'il ait pu faire, il ne méritait pas de mourir ! Cria-t-elle. Vous n'avez pas le droit de nous mêler à ça ! Vous ne pouvez pas nous garder enfermer ici, je...
- On a tous les droits ! Cria June en s'approchant de Charlie.
Alec et Flo se placèrent devant elle d'un même geste.
- Tu veux savoir pourquoi ? Continua June, parce que nous avons ça !
Elle pointa Kyle du doigt tandis qu'il ressortait à nouveau son revolver.
- Vous savez ce qu'il vous attend si vous tentez quoi que ce soit qui pourrait nous nuire, dit-il.
Alec et Flo avaient les poings serrés.
- Ne vous plaignez pas, vous pouvez encore circuler librement dans le chalet, c'est super non ? Dit June avec un sourire narquois avant de quitter la pièce.
Kyle et Claire la suivant de près. La pièce resta silencieuse.
- On est foutu, dit alors Gabriel les yeux emplis de larmes.
- Parles pour toi, renchérit Flo, je ne compte pas moisir ici. Je trouverai un moyen de me barrer de là.
- Je suis d'accord, répondit Charlie, mais avant ça tu viens avec moi. 

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant