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   Ils ne rentrèrent pas tout de suite. Ils allèrent manger des gaufres accompagnées d'un bon chocolat chaud dans un petit snack, la bonne humeur du trio était revenue. Ils allèrent ensuite faire un tour dans un parc. Leur escapade dura jusqu'au soir. Gabi les déposa elle et Alec à mi-chemin entre les deux maisons. Ils le regardèrent disparaître au coin d'une rue.
- Sacré journée, conclut Alec en soupirant.
- Je n'aurais pas dit mieux, répondit-elle.
- Bonne soirée Charlie, dit-il en se dirigeant vers sa maison.
- A demain !
Elle s'arrêta en haut des marches. Elle se tourna vers le ciel, la nuit était tombée depuis moins d'une heure. Les étoiles devaient commencer à briller dans le ciel, mais le quartier était trop éclairé pour qu'elle puisse les voir.
T'as vu ça Sam ? D'ici on ne peut même pas voir les étoiles...
Elle ouvrit la porte, se dirigea vers la cuisine où elle entendait du bruit. Ils devaient sûrement être en train de manger à cette heure-ci.
- Bonsoir, dit-elle en entrant dans la pièce.
Son père se leva de sa chaise brusquement, il avait l'air en colère.
- Je peux savoir où tu étais ?! demanda-t-il sévèrement.
- J'étais avec Alec et Gabriel, Florent était au courant je l'avais prévenu que je ne rentrais pas avec lui.
- Il est 20 heures passées ! Ça fait depuis midi que personne dans cette maison n'a eu de nouvelles de toi ! Juste un petit message ce n'est pas trop demander je crois ! cria-t-il.
- J'y penserai la prochaine fois je te le promets, je ne voulais pas t'inquiéter.
- Ah oui, vraiment ?! La dernière fois que je ne t'ai pas vu rentrer à la maison, je t'ai retrouvée à l'hôpital à deux doigts de mourir.
Elle eut le souffle coupé. Elle n'avait pas pensé à ça, elle qui souhaitait juste se changer les idées avec ses amis, elle n'avait pas pensé un seul instant à envoyer un message à son père. Elle avait disparu toute l'après-midi, mais maintenant elle était là bien vivante. Elle ne comprenait pas pourquoi il ne se calmait pas.
- Je suis désolée, commença-t-elle, je...
- Tu quoi ?! Tu es complètement irresponsable et égoïste, tu ne te rends pas compte du mal que tu fais autour de toi !
- Papa...
Elle était désemparée. Elle encaissait tout ce que son père lui disait, sans savoir quoi faire pour apaiser sa colère.
- Tu ne te rends pas compte de ce que ça fait d'avoir peur de perdre son enfant ! De le voir mourir sous ses yeux ! Comment tu peux m'infliger cette souffrance à nouveau ! Il y a des fois où je comprends la réaction de ta mère.
Elle vit dans son regard qu'il regretta immédiatement ses paroles. Mais c'était trop tard, le mal était fait. Charlie fut envahie par la colère et la douleur. Cette phrase avait eu l'effet d'un poignard qu'on lui aurait enfoncé dans le cœur.
- J'aurais mieux fait de mourir ce jour-là, ça aurait évité bien des peines à tout le monde. Dit-elle avant de courir se réfugier dans sa chambre.
Elle ferma la porte à clé derrière elle. Elle se laissa tomber doucement. Elle avait réussi quelques heures plus tôt à se défaire de toutes ces émotions qui la chamboulaient. Mais à présent elle les sentait l'envahir à nouveau. Elle ne pouvait pas passer une minute de plus dans cette maison, elle allait devenir folle sinon. Les paroles de son père raisonnaient encore dans sa tête. Elle avait l'impression d'entendre sa voix qui répétait ces mots à travers les murs. Elle alla jusqu'à la fenêtre, l'ouvrit le cœur battant, et une nouvelle fois elle sauta sur le toit du garage. Malheureusement cette fois-ci son pied dérapa, elle perdit l'équilibre et tomba. Heureusement, la chute fut amortie grâce à quelques buissons. Elle dut se débattre contre les branches entremêlées pour se sortir de là. Elle était essoufflée et désespérée. Elle avait les larmes aux yeux, mais elle les retint autant que possible. Elle se dirigea vers la maison d'Alec, elle ne savait pas vraiment où aller et elle avait besoin de son ami. Elle s'arrêta devant la porte et hésita à peine avant de frapper. Quelques instants plus tard une femme âgée de la quarantaine vint lui ouvrir. Elle avait de longs cheveux noirs qui lui tombaient jusqu'à la taille. Son regard était chaleureux et bienveillant. Elle observa Charlie l'air intriguée. Elle avait déchiré son t-shirt en tombant et devait avoir des feuilles et des brindilles dans les cheveux.
- Bonsoir, commença Charlie, Excusez-moi de vous déranger à une heure si tardive, je... je suis une amie D'Alec, est ce qu'il est là ?
- Oui, est-ce que tout va bien jeune fille ? demanda la femme.
- J'ai simplement besoin d'un ami, répondit Charlie en essayant de contenir les tremblements dans sa voix.
- Entre, je t'en prie.
La femme laissa entrer Charlie dans la maison. Elle avait l'air un peu inquiète.
- Vous êtes sa mère ? Charlie.
- Oui, je m'appelle Alessa. Viens suis moi, nous étions en train de manger.
- Oh, je suis désolé, répondit la jeune fille en s'arrêtant l'air embarrassée. Je ne veux pas vous déranger, je repasserai, ne vous en faites pas, rien ne presse.
Alessa saisit la main de la jeune fille avec douceur.
- Ce n'est pas grave, et quand je vois ton état je me dis que c'est sans doute plus important qu'un simple repas.
Puis elle continua d'avancer. Charlie la suivi jusqu'à la salle à manger. Alec et deux autres hommes étaient assis à table. Ils se tournèrent vers les deux femmes. Alec faillit s'étouffer quand il reconnut son amie. Il bondit de sa chaise et se précipita vers elle.
- Charlie ! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?! Qui t'a fait ça ?
Les yeux de la jeune fille se remplirent de larmes. Elle serrait les dents pour ne pas éclater en sanglots devant toute la famille d'Alec. Elle secoua la tête n'arrivant pas à parler. Puis elle se cacha le visage de ses mains. Elle s'en voulait d'être venu chez Alec, elle n'aurait pas dû le déranger. Elle en avait marre qu'il la voit dans cet état.
- Tout va bien, je suis là, dit-il en l'entraînant dans une autre pièce. Charlie, répond moi, est-ce que tu es blessée ?
Elle secoua la tête. Elle ne pouvait pas le regarder, elle n'en avait pas la force. Les larmes coulaient en silence sur ses joues. Il posa une main sur chaque épaule de la jeune fille.
- Dit moi ce qu'il t'est arrivé, on dirait que tu as fait la guerre.
Elle resta silencieuse un instant, puis elle parla enfin, ce n'était qu'un chuchotement, à peine audible.
- C'est moi qui aurais dû mourir.
- Quoi ?
Elle releva la tête et plongea ses yeux dans ceux de son ami. Elle avait l'air triste mais aussi en colère, et surtout elle avait l'air seule face à un monde sinistre.
-C'est moi qui aurais dû mourir ! cria-elle presque au garçon. C'est moi, c'est moi, c'est moi !
Ses derniers mots n'étaient plus que des sanglots. Alec la regardait désemparé. Il la prit dans ses bras et la serra contre lui.
- Charlie... commença-t-il.
- Il est mort. Il est mort et moi je suis toujours en vie. Pourquoi ? Ce n'est pas juste.
- De qui parles-tu ?
La voix d'Alec était douce et chaleureuse.
- De Samaël. La voiture... elle nous a foncé dessus, ce n'était pas sa faute et il est mort !
- C'est l'accident que tu as eu ?
Elle hocha la tête au creux de son cou.
- J'aurais dû mourir avec lui ce soir-là. Alors pourquoi je suis encore là ? Il me manque, il me manque tellement.
- Charlie, personne n'a à mourir. Personne tu m'entends.
Il attendit patiemment qu'elle se calme. Il la tenait contre lui et lui caressait les cheveux. Petit à petit, elle se sentit en sécurité, dans ses bras elle avait le droit de vivre. Elle s'écarta de lui doucement pour sécher ses larmes.
- Vu la vitesse à laquelle tu as débarqué chez moi, tu n'as pas dû avoir le temps de manger. Si tu as faim, on peut manger un peu avant que tu ne me racontes ce qu'il se passe. Si tu en as envie bien sûr.
Elle hocha la tête doucement. Il l'embrassa sur le front et lui prit la main. Elle avait l'impression d'être une petite fille fragile et sans défense, prête à se briser en mille morceaux au moindre choc. Il demanda à sa mère si elle pouvait rajouter un couvert. Puis il proposa à Charlie de s'asseoir à ses côtés. Elle ne souriait pas, mais essayait de cacher son mal être.
- C'est toi la fameuse Charlie dont mon fils nous a parlé ? demanda l'homme le plus âgé.
- Papa, ce n'est pas le moment, répondit Alec en le fusillant du regard.
- Oui, je suis une amie de votre fils monsieur. Répondit-elle en souriant poliment les yeux encore rouges de larmes.
- Je suis content d'enfin te rencontrer. Il me semble t'avoir vu plusieurs fois ici cet été.
Cette question semblait pleine de sous-entendus. Charlie rougit, elle était très mal à l'aise face au père du garçon. Elle hocha la tête. L'autre homme semblait être à peine plus âgé que Alec, il regardait la jeune fille fixement, bouche bée.
- Elle est jolie la fille, dit-il en la regardant comme si c'était la plus belle chose qu'il ait jamais vu sur cette terre.
- Tu as raison, répondit Alessa en lui faisant un sourire. C'est une très jolie fille.
Il hocha la tête. Il avait le physique d'une personne adulte mais semblait parler comme un enfant.
- Oui, très belle, n'est-ce pas Alec ? demanda son père.
Alec le foudroya du regard.
- Papa, je te l'ai dit, ce n'est pas le moment, tu pourras jouer à ton petit jeu un autre jour si ça te chante, mais s'il te plait aujourd'hui elle n'a pas besoin d'être embêtée.
Le père d'Alec se tourna vers la jeune fille, il semblait s'apercevoir à l'instant de son état.
- Veuillez m'excuser mademoiselle, je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras, dit-il l'air sérieux.
-Ne vous en faites pas monsieur, mon père aurait probablement réagi de la même manière.
Son cœur se serra à l'évocation de son père, et la douleur s'installa dans son regard. Alec s'en rendit compte et lui adressa un mince sourire.
- Comment elle s'appelle la jolie fille ? demanda l'autre garçon.
- Je m'appelle Charlie, dit-elle en lui souriant, et toi, qui es-tu jeune homme ?
- Je m'appelle Evan, je suis le grand frère d'Alec.
- Enchanté Evan.
Il se tourna vers son frère et le jugea du regard un instant.
- Est-ce que Charlie c'est ton amie ?
- Oui, répondit-Alec en souriant.
- Alors ça veut dire que ça peut être mon amoureuse ? demanda Evan l'air heureux.
Tout le monde, même Charlie riait à cette phrase. Alec reprit son sérieux et regarda son frère avec un air de défi.
- Même pas en rêve, dit-il avec un sourire malicieux.
Charlie sourit discrètement et continua à manger. A la fin du repas Alec et elle se retrouvèrent dans le jardin. Ils s'étaient assis chacun sur une balançoire. Côte à côte. Peu avant de sortir, Charlie avait emprunté le téléphone d'Alec pour envoyer un message à Florent, elle lui avait dit qu'elle allait bien que son père ne s'inquiète pas et qu'elle ne risquait rien. Elle avait déjà assez fait souffrir son père pour aujourd'hui. Elle était en colère contre lui, mais elle se répétait sans cesse qu'il n'avait pas voulu dire ça, qu'il ne le pensait pas.
Alec et elle restèrent silencieux un moment, ils regardaient le ciel en se balançant doucement.
- Alec, pourquoi tu ne veux pas dire à Gabi ce qu'il y a entre toi et June ?
Il sourit tristement.
- Il n'y a rien entre moi et June, elle... elle m'a juste rendu un service une fois.
- Est-ce que c'est à elle que tu as acheté la drogue pour piéger Enzo ?
- Comment tu as su ? demanda-t-il le regard dans le vague.
- Simple intuition. Mais pourquoi refuser d'en parler à Gabi ?
- Il n'est pas au courant que c'est moi qui ai fait ça.
Elle le regarda incrédule.
- Je ne voulais pas l'impliquer là-dedans, il croit simplement que Enzo me déteste parce que je suis sorti avec une fille qu'il aimait bien. Il m'en voudrait s'il apprenait la vérité. Et j'essaye de l'éloigner de June parce qu'elle et Kyle sont mêlés à des affaires pas nettes. Gabi est un type bien, je ne veux pas qu'il ait des emmerdes.
- Je comprends, mais c'est ton meilleur ami, même s'il t'en veut sur le coup, sa colère passera, il t'aime trop pour t'en vouloir plus d'une journée.
- Tu sais, Gabi compte beaucoup pour moi. Evan, mon grand frère, a un handicap mental comme tu as dû le remarquer. Il faut sans cesse s'occuper de lui, c'est comme s'il resterait toujours un petit garçon. Un jour il est tombé malade, une grippe ou quelque chose dans le genre, mais c'était un virus vraiment mauvais. Il ne guérissait jamais, son état empirait de jour en jour. Et chaque matin je me levais avec la peur de retrouver mon frère mort dans son lit. Mais chaque jour Gabriel était avec moi et me rassurait, il me baladait et me changeait les idées. Il me disait sans cesse que Evan avait besoin que je sois fort pour lui, que tous les matins quand j'allais le voir, il fallait que j'ai le sourire. Que c'est ça qui l'aiderait à guérir. Les médecins ont trouvé un traitement efficace et finalement Evan se porte mieux que jamais. Pendant tout ce temps où j'ai cru que j'allais perdre mon frère, j'avais un autre frère pour m'épauler. Je n'ai pas envie de le décevoir. Ce que j'ai fait à Enzo c'était mauvais et vicieux, c'est comme si ma colère avait pris possession de moi et avait guidé mes actes. Je m'en veux d'avoir fait ça, tout ce que ça m'a apporté c'est d'avoir le nez cassé. Et il t'a fait du mal à toi aussi, dit-il en regardant la jeune fille.
- D'après ce que j'ai vu et entendu, Enzo n'a pas eu besoin de toi pour être quelqu'un de violent. C'était peut-être un peu exagéré comme acte de vengeance, mais ça prouve que tu es prêt à tout pour Gabriel. C'est la seule chose à retenir et je pense que Gabriel penserait la même chose que moi.
Alec haussa les épaules. Une fois de plus le silence s'installa entre eux tandis qu'ils contemplaient le ciel dépourvu du moindre nuage. Les nuits étaient de plus en plus fraîches. Et Charlie frissonna.
- Charlie ?
La voix du garçon résonna dans la nuit. Elle comprit que c'était à son tour de répondre aux questions. Elle sentait son regard posé sur elle, mais elle ne le regarda pas. Elle hocha simplement la tête en continuant de fixer le ciel.
- Moi aussi j'avais un frère, dit-elle simplement.

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant