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   Quelques secondes plus tard, Gabi et Alec étaient là. Ils étaient tous les deux en larmes. Ils attrapèrent chacun un bras de Charlie et entreprirent de la relever. Charlie cria de douleur et s'échappa de leur étreinte, elle se recroquevilla sur elle-même, tremblante.
- Désolé Charlie, on ne veut pas te faire de mal mais on ne peut pas te laisser ici...dit Gab.
Elle secoua la tête. Elle avait trop peur de la douleur pour vouloir bouger de là.
- Qu'est-ce qu'on peut faire ? demanda Gab à Alec.
- Je n'en sais rien... MERDE ! cria ce dernier.
- Bougez de là.
Flo apparu dans le champ de vision de Charlie.
- Désolé Charlie, tu me remercieras plus tard.
Il glissa ses mains sous le corps de la fille et il la souleva. Elle gémit de douleur mais se laissa aller contre son torse. Il la portait comme une princesse, il se dirigeait vers la chambre de Gabriel et Alec. À chaque pas qu'il faisait Charlie grimaçait, et ce fut pire dans les escaliers. Elle pleurait toujours, et aucun mot ne sortit de sa bouche. À cet instant tout ce qu'elle désirait c'était de ne plus avoir d'enveloppe charnelle, n'être plus qu'un spectre, même disparaitre. Tout sauf cette douleur atroce qui traversait tout son corps. Il s'arrêta dans la salle de bain.
- Qu'est-ce que tu fais ?! demanda Gab.
- Elle est couverte de son propre sang, et t'as vu l'état de son corps et de son visage ? il vaut mieux nettoyer les plaies au cas où ça s'infecterait.
- Et tu sais comment gérer ça toi ?
- J'ai eu les cours de premiers secours au lycée quand j'étais capitaine de l'équipe. Et après chaque match j'aidais l'infirmière à soigner les blessés. Alors oui je sais comment m'y prendre. Ce n'est pas bien compliqué en même temps.
- OK je vais t'aider, lâcha Alec en s'approchant.
- Merci, alors essaye de trouver du désinfectant dans les placards, et s'il y a des anti-douleurs ce serai parfait.
Flo déposa Charlie dans la baignoire avec autant de douceur qu'il le pouvait. Il entreprit de retirer son t-shirt mais elle se replia sur elle-même en tournant la tête. Elle ne voulait pas qu'ils voient cette horrible cicatrice qui défigurait son corps.
- Charlie, dit-il en lui prenant le menton dans une caresse, tu dois me faire confiance, je dois retirer ton t-shirt pour nettoyer tout ça. C'est d'accord ?
Elle hocha la tête, le regard vide et laissa faire le garçon. Chaque mouvement était une torture, mais elle serra les dents. Flo eut un hoquet de stupeur et un haut le cœur en découvrant le corps meurtri de Charlie, son regard s'attarda sur sa cicatrice, il avait l'air curieux. Charlie évita son regard et tomba sur celui d'Alec, il regardait lui aussi sa cicatrice ses yeux étaient tristes, ils remontèrent le long de la cicatrice et croisèrent ceux de Charlie. Elle vit alors toute la peine et la pitié qu'il ressentait pour elle à cet instant, et elle détesta cela. Florent ferma les yeux un instant avant de se reprendre.
- Gab, rend moi un service et trouve moi un gant, une serviette et un t-shirt propre.
Le garçon hocha la tête et quitta la pièce, Charlie remarqua qu'il avait les larmes aux yeux, son cœur se serra. Alec s'approcha, et Charlie se tendit un peu, il le remarqua et baissa les yeux.
- Tiens, j'ai trouvé tout ce qu'il faut je crois.
- Merci. Charlie, je vais juste vérifier que tu n'aies rien de cassé, désolé si ça te fait mal.
Elle ne bougea pas, elle frémit quand les mains de Florent se posèrent sur sa peau. Ses doigts glacés glissèrent vers ses côtes. Il appuya doucement et une forte douleur foudroya Charlie.
- Ça fait mal ?
Pour toute réponse elle hocha la tête vivement.
- Bon je ne suis pas médecin mais il est possible que tu ais quelques côtes fracturées. Il faudrait qu'on t'emmène chez un spécialiste, que tu passes des radios pour être sûr que tu n'aies pas de graves blessures internes.
- Oui mais ça c'est actuellement impossible, souffla Alec.
Gabi surgit dans la pièce les bras chargés de tissus divers. Flo le remercia et prit le gant. Il fit couler un peu d'eau et lava Charlie le plus délicatement possible. Puis avec le désinfectant il s'attaqua à son visage qui était couvert de plaie et boursoufflé. Elle se laissa faire, sans rien dire, prit les anti-douleurs et le laissa la rhabiller. Il la souleva à nouveau pour l'emmenée dans la chambre. Elle était à demi consciente, à la fois ici et ailleurs, avec Sam. Chaque mouvement était une torture mais elle essayait de le cacher pour pas que ses amis ne s'inquiètent trop. Elle se sentait perdue, engloutie par toute cette douleur et ces horreurs. Elle ne savait plus qui elle était. Elle voulait disparaître, ne plus exister ne plus avoir à ressentir tout ça. Flo la déposa dans le lit, et dès qu'il l'eut lâchée, elle sombra dans un état second, plongée entre le conscient et l'inconscient. Chaque fois que son esprit s'endormait, la douleur la rappelait à la réalité. Elle voyait la pièce bien réelle autour d'elle, cette affreuse chambre dans ce chalet de malheur, pourtant à cela semblaient se mêler des rêves et des souvenirs. Elle vit sa mère entrer dans la pièce et la regarder. Elle s'approcha d'elle et lui prit la main. Charlie sourit.
- Maman, tu es là... tu m'as tellement manquée...
- Charlie, ma douce Charlie, tu as le visage de ton frère, tu es si belle, dit-elle en souriant.
Le cœur de Charlie se remplit de bonheur, et la douleur s'apaisa un peu. Sa mère était enfin venue la retrouver, elle lui avait pardonné. Elles pourraient enfin passer à nouveau du temps ensemble, et sentir l'étreinte d'une mère, et la sécurité de l'amour maternel.
- Maman... chuchota Charlie les yeux emplis de larmes.
- Mais tu restes un être faible et insignifiant, ton frère a toujours été là pour toi, et toi tu l'as laissé mourir à ta place. Tu ne mérites pas d'avoir ce visage ni ce cœur.
A ces mots la mère de Charlie posa ses mains sur la poitrine de sa fille.
- Ce cœur ne devrait pas être à toi ! cria-t-elle.
Alors ses mains s'enfoncèrent à travers la chair de Charlie et empoignèrent son cœur, le serrant de toute leur force et tirant dessus comme pour l'extirper de là. Charlie hurla de douleur, elle ne pouvait pas bouger, elle était impuissante et elle voyait sa mère lui arracher le cœur. Elle la suppliait d'arrêter, que ça lui faisait mal, qu'elle allait mourir si elle continuait. Mais sa mère le regard fou tira plus fort, Charlie pleurait et criait de douleur, autant morale que physique. Sa mère la haïssait, son père sans doute aussi même s'il ne pouvait se l'avouer, elle avait laissé son frère mourir. Elle n'avait rien pu faire pour le sauver, sa mère avait raison, elle ne méritait pas de vivre. Elle sombrait dans une immensité de douleur et de peine. Son cœur était à deux doigts de lâcher prise à son tour, mais une main vint se poser sur la sienne, et une vague de chaleur l'envahit. Elle ouvrit les yeux, Sam était assis à côté d'elle, il la regardait avec un sourire triste. Elle sentait sa main dans la sienne.
Elle esquissa un mince sourire, imperceptible. Sa mère avait disparu et son cœur battait encore dans sa poitrine. Mais la douleur était toujours bien présente.
- Sam...
Ne dit rien Charlie, ça va aller, je suis là. Je veillerai sur toi.
Charlie lui adressa un mince sourire, il était revenu à elle. Il était enfin venu la retrouver.
-Tu m'as tellement manqué Sam. Tu as disparu pendant si longtemps, mais je t'ai attendu, je savais que tu reviendrais. Où étais-tu ?
Ma petite Cha, désolé de t'avoir laissée, je sais que c'est dur, que tu n'étais pas prête à vivre ça, mais je suis toujours là.
Il pointa du doigt le cœur de sa sœur.
Je serais toujours auprès de toi. T'ai-je déjà abandonnée ? Charlie fit non de la tête. Et ai-je déjà trahi une promesse ?
- Non jamais.
Alors je te promets d'être toujours à tes côtés.
Charlie hocha la tête elle sentit la présence de son frère se dissiper peu à peu. Alors dans un geste désespéré elle lui serra la main.
- Sam, je t'aime si fort... j'espère que tu le sens de là où tu es, je voudrais te dire tellement de choses, je voudrais te serrer dans mes bras, je voudrais que tu sois encore là, réellement là. Je ne sais pas comment faire sans toi, je n'y arrive pas. Les choses ne sont pas aussi faciles que quand tu étais avec moi. On était censé tout faire ensemble. Tu devais toujours être à mes côtés, tu te rappelles ? Sam comment je dois faire... J'ai besoin de toi.
Sa voix était empreinte de désespoir et de panique, son frère allait disparaitre et la laisser seule à nouveau. Elle avait peur. Elle voulait sentir sa présence à ses côtés à chaque instant.
Du calme petite Cha, il balaya la salle du regard, regarde autour de toi...
   Alec, Gab et Flo étaient là, ils dormaient dans la grande chambre, Alec à ses côtés, Gab à la fenêtre et Flo s'était endormi assis par terre contre la porte. Charlie les observa les larmes aux yeux.
Je trouve que tu t'en sors plutôt bien, tu es bien entourée.
- Tu as raison, mais...
Personne ne pourra jamais me remplacer, je le sais, mais eux sont là pour toi, ils t'aiment. Mieux vaut être entouré de vivant que de fantômes du passé.
   Sam s'effaça dans la pénombre.
Je serais toujours auprès de toi, je t'aime Charlie.
Puis il disparut complètement. Charlie avait les yeux embués de larmes, mais un mince sourire illuminait son visage. Elle observa la pièce. Elle sourit en voyant ses amis dormir.
- A qui tu parlais ?
Elle se tourna vers Flo, elle remarqua alors qu'il avait les yeux ouverts, avait-elle parlé tout haut depuis le début de sa conversation avec Sam ? Flo avait-il tout entendu ?
- Je... je parlais à Sam, dit-elle l'air embarrassée.
Flo la regarda avec un air étrange. Il ne sut que répondre à la jeune fille, il se contenta alors de hocher la tête.
- Tu sais, reprit Charlie, au début je pensais qu'il te détesterait, mais finalement, je pense que vous vous serez assez bien entendu tous les deux.
Flo ricana doucement, puis il haussa les épaules, il avait l'air épuisé.
- Comment tu te sens, la douleur est supportable ? demanda-t-il.
- Tant que je ne bouge pas ça va. Merci pour tout d'ailleurs, et toi, comment tu te sens ?
- Je suis un peu fatigué et je n'arrive pas à trouver le sommeil. Tout ce que je veux c'est partir d'ici, rentrer à la maison.
Charlie appuya sa tête contre le mur, elle aussi voulait quitter cet endroit, elle regarda dans le vide, elle aurait aimé que Sam reste un peu plus longtemps, grâce à lui elle avait presque oublié qu'elle était prisonnière de ce lieu.
- Il y a quelquefois où j'ai l'impression que mon père est là, qu'il veille sur moi, dit alors Flo le regard dans le vide lui aussi. Parfois la nuit il m'arrive de rêver de lui, je ne le vois jamais vraiment mais je sais que c'est lui. Il me rassure et parfois j'ai la sensation qu'il m'aide dans mes choix. Je n'en ai jamais parlé à personne, mais je sais que toi tu me comprends.
Charlie hocha la tête et lui sourit. Finalement Flo était sûrement celui qui était le plus apte à la comprendre. Il passait son temps à l'embêter mais au fond il la comprenait, et elle appréciait qu'il ne lui accorde pas de traitement de faveur par rapport à ce qu'elle avait vécu, il faisait d'elle un être humain comme un autre, et elle aimait cela.
- Tu sais quoi ? Dit Charlie avec un mince sourire.
Flo tourna la tête vers elle.
- Dis-moi.
- Ta maison me manque.
Elle dit cela avec un sourire triste et à la fois malicieux. Flo ricana doucement.
- J'espère qu'un jour tu t'y sentiras chez toi, dit-il.
- Avec toi à l'intérieur, aucune chance.
Charlie pria pour que l'obscurité cache ses joues rougissantes. Flo leva les yeux au ciel et laissa sa tête aller contre la porte. Elle se demanda combien de temps elle était restée inconsciente. La pièce était sombre, seuls quelques rayons de Lune éclairaient les visages des jeunes allongés dans la chambre. Ils avaient l'air paisible, comme si le sommeil les préservait de cet endroit. Charlie se fit la réflexion qu'elle n'avait probablement jamais autant dormi. Elle trouvait cela étrange, surtout avec tout ce qu'il se passait autour d'elle.
Elle bougea un peu, une douleur la fit tressaillir. Elle grimaça mais fut surprise que ça ne soit pas pire. Elle n'était peut-être pas en si mauvais état que ça, mais il ne fallait pas qu'un incident comme celui-ci se reproduise. La prochaine fois elle aurait sûrement moins de chance. Kyle et June étaient vraiment devenus fous, elle se répétait ça tous les jours, mais tous les jours ils lui prouvaient que tout pouvait être bien pire.
Elle repensa à tout ce que Alec lui avait dit sur eux, elle s'en voulu de ne pas l'avoir écouté. Il ne voulait pas venir ici, à aucun moment il n'avait envisagé l'idée de voir ce duo maléfique un seul instant pendant ses vacances. Il faisait déjà tout pour les éviter le plus possible au lycée, il se méfiait d'eux. Il avait dit à Gab et Charlie que ce n'était pas une bonne idée de partir avec eux. Mais personne ne l'avait écouté. Gab faisait tout pour le contredire à ce sujet-là, ne comprenant toujours pas pourquoi son meilleur ami détestait tant June et Kyle. Quant à elle, tout ce qu'elle voulait c'était s'échapper des murs de sa maison et pouvoir se sentir un peu plus libre. Ironie du sort. Pour cette seule raison elle avait abandonné Alec, malgré tout ce qu'elle pouvait ressentir pour lui elle ne l'avait pas écouté, elle n'en avait fait qu'à sa tête et ça allait peut-être leur coûter leur vie à tous.
Elle sentait cet horrible poids peser sur ses maigres épaules, comme si tout était entièrement sa faute, après tout, c'est bien elle qui avait provoqué tout ça c'est elle qui avait poussé ses amis à se jeter dans la gueule du loup. Oui, c'était sa faute, à ses yeux tout n'était que de sa faute. La culpabilité l'étouffait. Elle méritait de s'être fait tabasser, chaque coup, chaque insulte, elle les avait mérités. Elle était égoïste, elle se haïssait. Elle ne méritait pas de sortir d'ici. Elle voulait juste disparaître, ces phrases tournaient encore dans sa tête.
Tu n'as pas ta place ici.
Elle regarda ses amis, Flo s'était déjà rendormi, elle les trouva tous beaux à cet instant. Ils avaient l'air d'anges. Comment pouvait-elle se tenir ainsi à leurs côtés ? Si elle n'avait pas été là tout aurait pu être diffèrent.
Tu n'aurais pas dû continuer à vivre...
Elle s'étouffait dans la culpabilité, son corps tremblait, de douleur, de peur et de froid. Ce froid glacial qui nous envahi quand on se rend compte que nous n'avons plus notre place dans ce monde, que tout serait bien mieux sans nous.
Charlie était assise dans le lit, penchée en avant, les cheveux tombant sur son visage tordu de douleur. Ses bras, croisés sur sa poitrine, entouraient son corps tremblant. Elle ne savait plus où elle était, elle avait juste l'impression d'être paralysée et de tomber sans fin dans un terrifiant espace sombre et infini. Un néant d'où elle ne pourrait s'échapper. De temps en temps elle était secouée de légers sanglots, qu'elle ne pouvait retenir et dont elle ne se rendait même pas compte. Elle laissa une larme rouler le long de sa joue et tomber sur le drap, laissant une petite tache humide et foncée. Trou noir au milieu de cette immensité blanche elle se laissa avaler par le vide, tombant dans un sommeil agité, écrasée par le poids de la culpabilité. 

Le cycle des âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant