Chapitre 26.2 : Les deux oliviers d'Athéna

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– Je suis désolée...murmura Aïsha en baissant de nouveaux les yeux.

– Ne le sois pas.

      Un bref silence s'installa entre eux, mais le Seigneur des mers finit enfin par le briser :

– À sa naissance, alors que mon frère avait essayé de la tuer, j'avais fouillé toute la méditerranée pour la retrouver... Métis pleurait la disparition de sa fille. Alors n'en pouvant plus de l'entendre se lamenter, je suis parti à sa recherche et ce fut en Afrique que je l'ai retrouvé. Plus précisément, à Tritonide, d'où son second nom. Les habitants m'avaient fait savoir qu'elle était venue à bout d'un monstre marin portant le nom de la ville.

– Je l'ai ramené à Olympe, poursuivis le dieu grec après une courte pause, mais Zeus s'en fichait éperdument d'elle. Avoir une fille ne l'intéressait pas, alors je l'ai consolé en disant qu'un jour elle surpasserait son propre père. Ce qui a finit par arriver. Athéna n'avait peut-être pas conquit le trône de l'Olympe, mais elle avait réussit à conquérir le cœur des mortels, des demi-dieux et des guerriers qui peuplaient la terre. Elle était devenue un symbole de la sagesse, la divinité la plus respectée par les humains.

      Poséidon s'arrêta tout en portant son regard vide vers la cheminée, il avala une gorge de vin avant de continuer d'une voix étrangement calme :

– Un jour ta mère m'a offert un petit olivier qui pouvait tenir dans ma paume de main, elle m'avait confié que cet arbuste représentait son cœur et qu'à partir de cet instant les feuilles tomberont doucement et l'arbre se mourra, au fil et à mesure qu'elle-même vieillira. C'était sa manière de dire qu'elle avait renoncé à son immortalité et qu'à partir de là, elle voulait que je sache comment elle allait peu importe où je me trouvais.

      Le dieu grec essuya une larme qui perlait sur sa joue avant de poursuivre en reniflant :

– J'ai gardé le petit arbre, pendant de longues années quand tout à coup un autre apparut sur ma table de chevet. Il était tout petit et tellement inoffensif, j'ai pris soin de ces deux arbustes. Durant ces dernières années, j'en ai pris soin comme s'il s'agissait de mes enfants. Mais un jour, alors que je m'apprêtais à les arroser comme chaque matin, je remarquai que l'olivier, donné par Athéna, commençait à perdre ses dernières feuilles. L'arbre s'éteignit la nuit-même où ta mère rendit son dernier souffle. Mais l'autre arbuste était encore là, tout resplendissant et gorgé de vie.

      Les larmes d'Aïsha se mirent également à couler sur ses joues, elle gardait son regard plongé dans celui du Seigneur des mers. L'athénienne se sentait mal d'avoir été aussi dure avec lui, alors qu'en réalité, il avait autant souffert qu'elle.

– Ce jour-là j'ai compris que l'âme de ma nièce s'était éteinte à jamais, malgré sa nature divine. J'ai eu peur, tu t'en rends compte ? Pour la première fois durant ma vie de divinité, j'ai eu peur de la mort. Un dieu n'aura jamais de repos éternel dans un lieu idyllique, comme les humains. Il ne peut connaître, malheureusement, que l'effrayante obscurité glaciale du néant. C'est une tournure tellement injuste que prend notre existence. Comment une âme aussi forte que celle d'Athéna ne peut point espérer d'un post-vitam paisible ? J'ai affreusement peur de perdre tout ce qu'il me reste, cela me terrifie. Atlantide, mon peuple...toi...

– J-Je suis désolé...bégaya la jeune femme en fendant en larmes, mais vous devez prendre ce risque.

– Non je ne peux pas, je laisse les autres dieux s'engager dans la voie de la guerre. Mais pour moi, toute cette histoire est terminée. Tout ce que je veux c'est vivre mes misérables et dernières années à me remémorer mes beaux moments de dieu d'autrefois. Le règne des divinités touche à sa fin, Thelmar. Nous connaîtrons inexorablement notre déclin, et ça, bien plus vite que tu ne le crois. Cesses de vivre dans un conte de fées.

– Elle aurait honte de vous, cracha finalement la jeune femme sans baisser les yeux, ma mère aurait honte de ce que vous êtes devenu ! un résidu de vous-même, une parodie de ce que vous étiez, un sous-dieu !

– Tes insultes ne me font aucun effet, Thel ! répliqua le dieu sans broncher une seule seconde, je ne veux pas être mêlé à tout ça.

      Aïsha décida de se lever de son fauteuil, elle avait vraiment pitié pour le dieu. Mais cela ne l'empêchait pas d'éprouver un sentiment de dégoût face à sa lâcheté. La jeune femme lui jeta un terrible regard noir.

– Très bien ! lança-t-elle à l'adresse de Poséidon qui la regardait d'un regard triste et fuyant, mais sachez bien une chose : vous ne serez jamais rien d'autre qu'un perdant tant que vous baisserez les bras ! la victoire que vous croyez ne jamais avoir eu, vous la possédiez, en réalité, depuis toujours. Vous l'aviez eu contre votre frère le jour où vous avez trouvé Athéna, toutes ses années où vous avez pris soin d'elle. Et le fait que vous n'aviez jamais réussi à remporter un seul défi contre ma mère, devrait vous réjouir. Car ce qu'est devenue Athéna est le fruit de votre enseignement. Ma mère représente votre plus grande victoire, votre plus grande fierté. Mais aujourd'hui vous êtes en train de gâcher tout ce pour quoi vous vous êtes battu !

– Ce n'est pas que mes paroles, que vous entendez là ! continua Aïsha après une petite pause où elle scruta le regard vide du Seigneur des mers, ce sont aussi celles d'Athéna. Elle vous parle et elle vous voit à travers moi. Je pense que si je me tiens devant vous aujourd'hui, ce n'est pas sans raison. C'est parce que je représente Athéna Tritonide. Donc, de ce fait, moi, Aïsha Tritonide d'Eumélos, je représente votre dernière chance ! La chance qui vous permettra de vous rattraper aux yeux de votre nièce.

– J-Je ne sais pas...lâcha Poséidon qui commençait à flancher devant ce discours incroyablement stupéfiant de sa petite fille.

– Réfléchissez bien, seigneur des mers ! déclara cette dernière d'un regard imposant, l'olivier de ma mère n'est plus. Mais elle a laissé un autre avant de mourir, il représente votre dernière chance. Seriez-vous assez lâche pour reproduire deux fois la même erreur ?

– Non...tu as raison. Je dois me battre pour redorer l'honneur de ta mère. Et celui de tous les Atlantes.

      L'athénienne lui sourit alors doucement avant de se lever et de saisir délicatement son visage entre ses petites mains. La jeune femme essuya avec tendresse les larmes de son grand-oncle, avant de le serrer très fort contre elles.

      Aïsha avait réussi à le convaincre, c'était formidable, pensa-t-elle. Un nouvel horizon plein d'espoirs se dessinait pour l'Académie, ainsi que pour tout le reste de l'Atlantide. Mais soudain des cris de frayeur parvinrent à ses oreilles, perturbant le calme qui s'était créé dans le cœur du Seigneur des mers. La jeune femme sortit précipitamment de la salle en suivant Poséidon, ils rejoignirent presque aussitôt le balcon. Ce qu'ils virent ensuite plus haut dans le ciel terrifia totalement Aïsha.

      Il s'agissait d'un énorme voilier qui flottait dans le ciel. C'était le plus gros aérobat qu'elle n'eut jamais vu de toute sa vie. Ce véhicule à la fois volant et naval, se dirigeait tout droit vers le lac, comme avec une attention d'y amerrir. Aïsha souvint soudainement de la probabilité douteuse d'Orula concernant le point d'eau vers lequel fonçait le voilier. Cette probabilité était justement en train de se réaliser devant leurs yeux ébahis.

      Le silence provoqué par cette vision cauchemardesque se remplaça presque aussitôt par une panique générale, dans les petits campements établis dans les jardins et aux abords du lac.

      Aïsharegarda alors, avec effroi, le seigneur des mers. Celui-ci semblait tout aussi perdu qu'elle.

L'âge Des Héros : La Prophétie Des Deux FrèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant