7. Ombre et lumière

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-C'est notre première séance Ilona, mais tu peux me dire absolument tout ce qui te passe par la tête, que ce soit dans l'ordre ou non. Nous avons tout le temps d'y travailler, déclare Lewis de sa voix posée et sincère.

Je m'étais tournée et retournée dans tous les sens, toute la nuit. J'en avais oublié ma frustration sexuelle et mes plans à échafauder à propos d'une probable évasion... Non. Tout ceci ne m'intéressait plus. À présent, j'étais focalisée sur mes démons intérieurs. Je les avais toujours ignorés, parce que j'avais assez de problème comme ça, mais la vérité c'est qu'à force de passer outre, j'avais oublié qu'ils étaient là.

De nous deux, c'est toi qui crie le plus fort pour que je vienne à ta rescousse.

C'est donc ça. Je ne visais pas Ethan en particulier, en fait au fond de moi-même, là où j'avais cessé d'écouter, il y avait bien une voix qui hurlait à l'aide: la voix de la raison. Je l'avais enterrée et enfouie très profondément, pour ne plus l'entendre me dire que je faisais une erreur chaque fois que j'abattais un être-humain. Mais elle a persisté jusqu'à aujourd'hui, et comme le démon à l'intérieur de moi demeurait silencieux ces derniers temps, j'avais fini par la sentir. C'est comme si j'avais envie de m'en sortir, que Ilona avait envie de s'en sortir.

-J'ai l'impression d'être deux personnes à la fois, et leurs sentiments contradictoires sont en train de me perdre docteur.

Il semble surpris que je dévoile ça de but en blanc sans même essayer de masquer ma détresse plus qu'évidente.

-Il y a Ilona qui crie à l'aide, parce que c'est comme si elle disparaissait... Et puis il y a Bloody girl qui empiète sur tout le reste en silence ces derniers temps... Elle ne dit rien mais c'est comme si elle avalait mes émotions les plus humaines...

-Comment t'en es-tu rendue compte?

-C'est... Je ne sais pas vraiment... Hier, je réfléchissais à beaucoup de choses et d'un seul coup, ça m'a frappé! J'avais failli franchir une limite que je pensais connaître et éviter... J'ai failli me dire que ce que je faisais était normal et que ce que faisaient les gens normaux ne l'était pas, vous voyez? Alors que, même en exerçant ce métier, j'avais toujours gardé à l'esprit que tuer c'était mal. Je ne voulais justement pas atteindre le point de non-retour, devenir accro à la mort...

-Il semblerait que cette partie de toi-même l'a déjà atteint et essaie de convaincre Ilona que c'est le credo à adopter. Mais toi, que veux-tu faire en réalité? Retrouver Ilona ou choisir l'autre côté?

-Je ne m'étais jamais posée la question, parce que je n'avais jamais réalisé que ma personnalité s'était séparée en deux à ce point.

Votre fille est morte, depuis longtemps déjà.

J'avais pris l'habitude de balancer ça à mes parents sans y réfléchir, je trouvais juste que ça sonnait bien. En fait, c'était plus que ça, plus qu'un choix de style, c'était un message que mon inconscient essayait de me faire passer en vain. Je ne l'avais jamais regardé sous cet angle, et maintenant il est peut-être trop tard... Non! Non, sinon je ne serais pas assez lucide pour parler de ceci au psychiatre! Il y a la méchante partie de moi qui me griffe intérieurement, qui me dit d'arrêter et de me taire, elle est violente et presque insupportable.
Tu en dis trop, tais-toi! N'as-tu pas envie de te fondre en moi? C'est pourtant ce que tu as persisté à faire pendant quatre ans! Et maintenant tu joues la carte de la naïveté, alors que tu t'es conduite toute seule à ta perte!
Et elle a raison, entièrement raison! Si elle est là, c'est parce que je l'ai créée, je l'ai construite petit à petit, je lui ai donné de l'amour pour qu'elle grandisse, parce que je ne voulais plus être la petite fille innocente et détruite, je ne voulais plus ressentir la tristesse alors que, tout comme la haine, c'est un sentiment humain et naturel qui doit exister. Je l'avais effacée, comme un logiciel qu'on aurait supprimé d'un ordinateur. Même quand Richard me blessait, même quand les gens me piétinaient, je ne pleurais pas, non, je me mettais en colère, je plongeais dans la noirceur de mon âme, parce que c'était bien moins douloureux que le chagrin. Je comprend tout maintenant. Moi qui déteste me faire manipuler, je me suis menée à la baguette toute seule, et ça ne me plaisait plus.

Bloody GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant