11. Comme toi

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[Attention, scènes de violence susceptibles de heurter votre sensibilité dans ce chapitre]

C'était sans doute ma confidence qui avait rendu Lewis aussi ému, mais tout de même ce n'est pas lui qui a vécu ça. J'ai le droit de me sentir comme une merde, encore et toujours, parce que la vérité c'est que je n'ai jamais eu le privilège de pleurer la perte de Jay. Non. J'ai rencontré Richard sur le chemin du retour, et il m'a donné le nom du tueur.

"Ça te dirait, de te venger?"

-Ilona... Je sais qu'il est un peu tard pour le faire mais... Je te présente toutes mes condoléances.

Je réalise alors que je pleurais depuis quelques minutes, prise de court par mes propres larmes. Et puis... C'était la première fois qu'on me disait ça... La première fois que quelqu'un prêtait un réel intérêt à l'amour que je portais à Jay, au fait que sa mort me touchait profondément. Je me souviens encore des regards en biais pendant l'enterrement, comme si... C'était moi qui l'avait tué. Et peut-être que oui... Peut-être qu'ils avaient raison. Ça n'empêche que je l'aimais... Mortellement.

-Merci, répondis-je morne.

-Je crois que c'est la première fois que tu racontes cette histoire, n'est-ce pas?

Mes larmes dévalaient la pente glissante de mes joues les unes après les autres sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Je renifle légèrement en hochant la tête.

-La vérité c'est que... J'avais enfoui ces souvenirs pour ne jamais m'en rappeler.

-C'est un pas en avant. Tu t'es ouverte, tu m'as fait part de ta blessure la plus profonde, celle qui est à l'origine de ce que tu es aujourd'hui.

Certes. Oui. Mais d'un seul coup, me sentir aussi stupide et vulnérable me ramenait dans ce restaurant italien, devant ce plat de spaghettis froids. Les yeux du docteur me scrutaient tout comme ceux des autres clients autour de moi il y a six ans. Ça n'avait plus rien de rassurant, j'avais l'impression d'étouffer, de perdre le contrôle, de redevenir sensible... Oui, de redevenir une proie, celle sur laquelle Richard a sauté. Il m'a dévorée... Non, il a dévoré Ilona, la minuscule, l'insignifiante Ilona. Celle à qui on venait de briser le cœur en millions de morceaux, celle qui aurait donné le bon Dieu sans concession pour que Jay revienne. Celle qui a choisi la mort, comme une carapace la protégeant de ses sentiments. Oui, en fait Ilona était un cliché ambulant, celui de l'adolescente qui part en vrille. Sauf que ça faisait longtemps que je n'avais plus aucune limite.

-Génial, lâché-je ironiquement en essuyant mes joues, je peux avoir une médaille?

Lewis fronce les sourcils et j'étire un sourire mauvais.

-Je vois... soupire-t-il, ton côté antipathique reprend le dessus. Ce n'est pas étonnant.

-Je veux sortir d'ici. J'en ai ma claque de cette séance.

-Bien... De toute façon, je ne risque pas d'aller bien loin maintenant que tu t'es renfermée sur toi-même.

Je ne réplique pas, agacée et évite son regard condescendant. Il me rendait folle, comme si je lui faisais pitié alors que c'est moi qui devrait avoir pitié de ce type et de la manière dont il me regardera lorsque je lui trancherai la gorge. Quelques minutes plus tard, mes gardes m'embarquent et je ne répond même pas à son "Au revoir" poli.

-Bon, les gars, où est-ce qu'on va?

-Tais-toi.

-Il est déjà tard, mais ce n'est pas le chemin jusqu'à ma chambre ça. Hmm... Laissez-moi deviner... On va se faire une petite orgie?

Bloody GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant