10. Aveux

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-Ça fait quelques jours que l'on ne s'est pas vus Ilona. J'avais pas mal de choses à faire de mon côté... Mais j'ai entendu dire que tu avais été gravement blessée.

-Non... Enfin, ça aurait pu mais finalement c'était trois fois rien. J'ai passé la nuit à l'infirmerie en observation.

-Je vois, parfait, me voilà rassuré.

Je me contente de hocher la tête et observe mes mains en soupirant. Le docteur Lewis a tenu à me voir en tête à tête aujourd'hui, visiblement il ne faut pas laisser les choses traîner en longueur. En revenant de la remise en forme, on m'a fait manger en quatrième vitesse avant de me conduire jusqu'à son bureau. Il n'a pas mis sa blouse, seulement une chemise bleue à carreaux et ce simple détail me perturbait, comme à peu près tout depuis ce matin. J'étais incapable de me concentrer, incapable de réfléchir de manière rationnelle, j'avais couché avec Ethan Brasyn dans le local du gymnase et j'ai cru pendant cinq minutes que tout allait mieux. C'était sûrement le cas, un chouïa, mais au lieu de faire face au problème, je l'avais simplement enfoui au plus profond de moi en croyant qu'il allait disparaître. Non. Ça ne fonctionne pas. Ça ne fonctionne plus. Je ne peux plus esquiver mes sentiments, je le sais maintenant. Je dois les ressentir, je dois être heureuse, triste, en colère, parce que c'est normal, parce que c'est humain! Cette expérience m'aura seulement fait comprendre que l'affreuse part en moi a toujours le contrôle de façon inconsciente, comme si c'était moi qui lui laissais parce que j'ai peur, parce que je ne sais pas comment gérer ça, moi, Ilona.

-Pourtant, tu n'as pas l'air dans ton assiette, remarque-t-il.

-Si, si tout va bien, je me sens juste un peu fatiguée... J'ai mal dormi.

-Vraiment? Parce que j'ai la vague impression que quelque chose cloche.

-Normal, je cloche. Je suis tarée. Vous avez encore d'autres évidences à balancer?

Il ne répond pas directement et entrouvre la bouche en fermant les yeux. La main qui tenait son stylo se met à bouger énergiquement, tapant contre son carnet de notes dans un rythme effréné.

-Puisque tu es en train de mettre des barrières...

-Je ne met aucune barrière, le coupé-je, arrêtez vos sous-entendus!

-Ilona, tu n'as pas besoin d'être sur la défensive avec moi. Je suis là pour t'aider pas pour t'enfoncer, te cacher derrière ta répartie cinglante pour continuer de remuer le couteau dans tes propres plaies, ça ne te fera jamais du bien.

Je le foudroie du regard.

-Ah oui? Tiens, parlons-en. Parlons du fait que je ne veux plus mourir tout à coup... Pourquoi?! Cet abruti serrait mon cou et j'aurais pu le mettre à terre sans problème alors... Pourquoi je ne l'ai pas fait? Alors que ma tête me hurlait que je ne voulais pas que ma vie s'arrête là, comme ça?

-Eh bien, il ne s'agit pas de ça, n'est-ce pas? Tu mens à tout le monde dans cette pièce, à toi et à moi. Tu penses que je ne m'apercevrai pas qu'il y a autre chose qui te torture l'esprit. La mort t'est bien égale Ilona, peut-être que pendant une minute tu n'en avais plus envie, mais si je te plantais un poignard dans le cœur tu ne broncherais pas.

Je ne répond rien et m'enfonce dans la chaise en jurant intérieurement. Il est plus malin qu'il n'en a l'air, son petit air gentil et insouciant trahit son côté droit-au-but. Si j'avais tourné ma langue dans ma bouche avant de parler, j'aurais deviné toute seule que ce n'était pas une bonne idée de balancer un sujet de discussion dérisoire pour en éviter un autre.

Je me fais pitié, oui, je suis minable. J'agis comme une pauvre détraquée, je fais des choses sans penser aux conséquences et je me terre dans cette douleur tout ça parce que je refuse, une fois encore, de regarder les choses en face. Je n'ai pas changé depuis six ans, je suis toujours la même idiote immature, incapable de passer à autre chose, de tourner la page, de m'en remettre sans avoir recours à un sentiment plus fort, plus dément, plus douloureux encore. J'ai choisi la mort au lieu de l'amour, et aujourd'hui je choisis l'amour au lieu de la mort. Mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi? Suis-je condamnée à tout remplacer pour ne jamais assumer? C'est comme si j'avais une plaie constamment ouverte, qui saigne sans arrêt et plutôt que de la recoudre, je ne fais qu'éponger le sang encore et encore... Et bientôt je serais vide.

Bloody GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant