Aux Rochers, 31 mai 1671

7 0 0
                                    


Ma chère bonne,

Me revoilà aux Rochers, où vous et votre frère avez laissé tant de souvenirs. Hélas maintenant je suis si seule, le château est vide, sans âme, et trop silencieux. Il n'y a plus de rires ni de cris d'enfants lorsque je marche dans les couloirs ou me promène dans les jardins. 

Mais il m'arrive d'aller dans vos chambres, et de croire que vous êtes là, d'entendre vos pas près du lit à baldaquin, ou de voir un rideau de soie bouger. Parfois même je remarque un tiroir du secrétaire en chêne ouvert ou bien vous apparaissez assise à votre coiffeuse blanche. J'admire inlassablement votre portrait. Il a été peint lorsque vous aviez dix ans, et votre sourire est le soleil de cette chambre.

Pilois entretien fort bien les jardins, qui, en cette saison, se parent de mille couleurs. Je vais souvent m'y promener pour oublier ma tristesse qui n'a d'égale que la beauté du paysage autour. Peu à peu, les feuilles vertes des chênes, les jonquilles ouvertes, les rosiers et le magnolia en fleur me font oublier ma solitude. Mais je ne passe pas à côté du chemin bordé de hêtres où vous vous promeniez à dos de poney ; c'est l'un de mes souvenirs les plus chers.

Ma fille, je dois vous quitter ; j'invite Mlle de Néri et l'abbé de la Mousse à dîner, et ils ne devraient plus tarder. Nous pensons tous à vous ; car vous manquez énormément à votre frère aussi, et lèveront nos verres à votre santé.

Adieu, ma fille,

Votre mère vous aime,


La marquise de Sévigné

NouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant