- Je...Asano posa un doigt sur la bouche de Karma, l'enjoignant au silence. Ils restèrent allongés l'un sur l'autre, et seul le bruit de la trotteuse de l'horloge venait troubler le silence et témoigner du temps qui avançait. Pourtant, les deux adolescents avaient l'impression que le temps était figé. Ils se contemplaient et ce simple regard leur suffisait pour transmettre un message à l'autre.
Le minuteur de la cuisine retentit et sortit les garçons de leur monde. Karma finit par se relever et aida Gakushu à faire de même. Ils prirent des assiettes et mirent la table, puis s'attablèrent, toujours coordonnés aux mouvements de l'autre.
- Je suis rassuré.
Karma lança un regard interrogateur à Asano, l'invitant à poursuivre.
- J'avais peur que ça reste... tendu entre nous. Mais ça va, on est toujours comme avant. Tu fais des conneries et je te suis dedans. C'est ce qu'on est.
- C'est ce qu'on est.
Ils finirent de manger et après une seconde douche pour se débarrasser des dernières traces de farine, ils allèrent se coucher, Karma dans sa chambre, Gakushu dans la chambre d'amis juste à côté.
Cependant, plus tard dans la nuit, entre une et deux heures du matin, la porte de la chambre du roux s'ouvrit et une silhouette se glissa à l'intérieur de la pièce. Gakushu se redressa lentement et regarda l'adolescent qui s'approchait de lui.
- Qu'est ce qui se passe... ?
- Rien. J'arrive pas à dormir, répondit Karma tout en se glissant sous les draps du lit.
Il enfouit son visage dans le cou du roux et passa son bras autour de sa taille, se collant à la maigre silhouette. Le roux passa une main dans ses cheveux et ferma les yeux, se laissant de nouveau emporter par le sommeil.
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Lorsque Asano se réveilla le lendemain, il mit quelques secondes à réaliser où il était. Une chambre aux murs gris, orientée vers l'est, les premiers rayons de soleil traversant les volets. Il était loin de sa chambre blanche et simple, et pourtant, il était bien.
Mais il était seul. Il ne sentait plus le poids de Karma contre lui. Avait il rêvé ? Non. Il s'en souvenait distinctement, et les draps froissés à côté de lui prouvaient que le plus jeune l'avait rejoint cette nuit.
Il sortit de sa chambre et descendit les escaliers. Karma était sur le canapé, une brique de lait à la fraise dans la main. Il tourna la tête à l'arrivée de Gakushu et lui sourit.
- Salut. Je t'ai pas réveillé j'espère.
- Non, t'inquiètes.
- Tu veux manger quelque chose ?
- Non merci. Je pense que je vais rentrer chez moi, avant que mon père ne s'inquiète.
- Ok. Tu me passes ton numéro, que je n'aie pas à attendre des mois avant de pouvoir avoir de tes nouvelles ?
- D'accord.
Karma tendit son téléphone ouvert sur la page d'un nouveau contact. Asano rentra son numéro et s'envoya un message avant de redonner le cellulaire à son propriétaire.
- Merci.
- En fait, ça serait plutôt à moi de te remercier.
- Pourquoi ?
- Pour cette nuit. M'avoir laissé m'introduire dans ta chambre et littéralement dans ton espace vital, c'était... cool.
- Oh... ça s'était... rien. Je vais y aller, donc à plus tard.
Le roux salua une dernière fois son ami d'un signe de la main puis rentra chez lui, où son père l'attendait de pied ferme.
- Pourrais je savoir où est ce que tu étais passé cette nuit ?
- Désolé si je t'ai inquiété. Je pensais t'avoir envoyé un message pour te prévenir.
- Tu l'as fait. Mais tu as seulement dit que tu ne passerais pas la nuit ici. Alors je pense que j'ai le droit de savoir où tu étais.
- Je suis allé dormir chez un ami.
- Vraiment ? Alors qui a eu pitié de toi au point de devoir t'héberger ?
- Il n'a pas pitié de moi.
- Tu crois ça ? Parce que j'aimerais bien savoir qui pourrait te croiser en pleurs, dévasté par un soi disant fantôme, et ne pas ressentir de pitié.
- Visiblement, toi. Un fantôme, sérieusement ?! Tu parles de ma mère ! Et ce n'est pas de la pitié. Ça faisait longtemps qu'on se parlait plus, et quand on s'est croisé, il m'a proposé de venir chez lui.
- Et quels intérêts en a t-il tiré ?
- Sache qu'à part toi, les gens ne sociabilisent pas par intérêt.
- Ne me parle pas sur ce ton. Tu te crois supérieur, c'est ça ?! Je suis ton père, respecte moi !
Gakuho leva son bras et abattit son poing contre la mâchoire de son fils. Celui ci ne dit rien et encaissa simplement le coup en silence. Ce coup et tous ceux qui suivirent. L'ancien proviseur du collège de Kunugigaoka n'arrêta que quinze minutes plus tard et monta dans sa voiture, laissant son fils étendu au sol, la lèvre ouverte et des hématomes se formant un peu partout sur son corps.
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Le noir total. C'est tout ce qu'il arrivait à voir. Ses oreilles sonnaient, il avait mal à la tête, sentait du sang couler de sa bouche et plus que tout il ressentait d'immenses douleurs dans tout le corps. Il ouvrit avec difficulté et se redressa en grimaçant.
Il l'avait insulté. Il le traitait comme un moins que rien, comme un déchet encombrant qui n'entraînait que des problèmes. C'était faux. N'est ce pas ? Il n'entraînait pas de problèmes. Il était un être humain, pas simplement un punching ball. Il ne pouvait pas rester sans rien dire.
Il dut se tenir aux murs pour avoir la force de se rendre dans sa salle de bains où il enleva sa chemise pour voir l'étendue des dégâts. Il avait un énorme hématome qui se formait tout le long de ses flancs et une coupure sous son œil droit. À part ça, ça allait. Il avait déjà connu pire. Mais pourquoi est ce qu'il pensait à cet instant à la nuit qu'il avait passé avec Karma ? La chaleur de ses bras l'étreignant, son souffle dans son cou... tout lui revenait en tête et à ce moment précis, il n'avait qu'une envie : être à nouveau dans ses bras.
- Mais c'est impossible...