Les mois passèrent. La neige fondit, remplacée par des bourgeons. Les cerisiers éclorent, laissant place à de magnifiques arbres fleuris de rose. La vie continuait, et personne ne semblait différent.
Mais Karma ne vivait pas cela. Pour lui, le monde s'était arrêté. Parce que son monde à lui, c'était Gakushu. Et il était parti. Le lycée avait recommencé, le rouge allait en cours tous les jours, mais il n'écoutait pas. Il essayait, sans y parvenir.
En fin de journée, il allait au café où lui et Asano avaient l'habitude d'aller. Il s'asseyait, prenait une tasse de thé et restait une heure ou deux, à fixer la place vide en face de lui. Isogai le voyait dépérir un peu plus chaque jour, et bien qu'il ne comprenait pas la raison de cette dépression, il s'inquiétait pour son ancien camarade.
Ensuite il sortait, marchait dans la ville et allait au parc. Il s'asseyait sur leur banc, sur leur balançoire, il fixait la ville, cette ville qui l'avait arraché à celui qu'il considérait comme son âme sœur. Il restait jusque tard dans la nuit, puis retournait chez lui, dormait dans les draps qu'il avait partagé avec Gakushu, et recommençait la même routine que la veille.
Juin débuta, sans que rien n'ait changé ; Karma marchait, les mains dans les poches, perdu dans ses pensées. Il entra dans le café et s'assit à la même table que la veille. Isogai vint déposer une tasse de thé devant lui et s'assit, une mine inquiète sur le visage.
- Est ce que ça va ?
- Oui.
- Karma, je peux te parler... honnêtement ? Tu ne vas pas bien, et ce depuis plusieurs mois. Tu vas même de moins en moins bien. Qu'est ce qu'il se passe ?
- Rien d'important.
- Est ce que ça concerne Asano ? Je n'ai pas tout compris, mais j'ai bien vu que vous étiez proches. Et maintenant, tu viens seul, et triste.
Karma resserra sa prise sur sa tasse et leva des yeux larmoyants vers l'ancien délégué. Il déglutit difficilement et retint un sanglot avant de prendre la parole.
- Il me manque. Je sais que c'est difficile à comprendre, mais... On n'a jamais été ennemis, même si on prétendait le contraire. On était amis en primaire, puis on a arrêté de se parler. On s'est reparlé cet été, et on s'était de nouveau rapprochés mais... Je crois que son père ne le laissera jamais être heureux. Il l'a envoyé vivre en Amérique et j'ai plus de nouvelles depuis. Le pire, c'est que tout le monde continue à vivre, comme si de rien n'était, comme si il n'avait jamais existé. J'aimerai être comme eux, mais je n'y arrive pas.
- C'est peut être indiscret, mais est ce que tu l'aimes ?
- Si seulement ça s'arrêtait à de simples sentiments de gamins. Je suis fou de lui.
- Et ça se voit. Tu as l'air heureux quand tu parles de lui.
- Tu peux parler, je suis sûr que t'es pareil quand on parle de Maehara.
- Maehara ? Pourquoi ?
- Vous sortez ensemble, non ? En fait, pas la peine de répondre, tu rougis déjà.
- C'est assez récent, donc on préfère ne pas le dire, mais oui, on sort ensemble.
- Cool.
- Je dois retourner travailler, alors à plus. Et, je ne suis pas un expert en relations amoureuses, mais tu devrais peut être parler à Nakamura. Elle saura quoi faire.
- Ok. Merci.
Isogai sourit et repartit. Le rouge resta encore quelques minutes avant de laisser un billet sur la table et de rentrer chez lui. Il s'allongea sur son lit, pensif, et attrapa son téléphone. Il appela Rio en repensant à ce que lui avait dit le brun, et la blonde répondit au bout de la troisième sonnerie.
- Hey, salut toi ! Alors, pourquoi tu m'appelles après plusieurs mois de silence ?
- Tu te souviens ce que je t'ai dit avant ton départ, avec Asano et tout ?
- Bien sûr, d'ailleurs tu ne m'as jamais raconté la suite. Tu lui as parlé depuis, au moins ? Évidemment que tu lui as parlé, je ne t'aurais jamais choisi comme ami si tu étais lâche. Je veux tout savoir, comment, pourquoi, des grandes lignes aux petits détails.
- Les grandes lignes : je me suis fait coincé par une bande de délinquants, ils m'ont laissé inconscient dans la rue, et je me suis réveillé chez Gakushu.
- Dans le lit au premier rencard, carrément.
- Rio, commences pas. Pour une fois je te parle de mes problèmes, ne me fais pas regretter.
- Des problèmes ? Ok, tu as toute mon attention.
- On a parlé, et on s'est réconcilié. On est redevenus amis, et on s'était rapprochés, genre vraiment, on passait tout notre temps ensemble. Sauf que son père l'a envoyé finir ses études en Amérique. J'ai voulu lui dire que je l'aimais, mais c'était trop tard.
- Oh, c'est pas vrai. Sérieusement, Karma, tu te crois dans un film à l'eau de rose ? Tu prends l'avion, tu vas le voir, tu lui dit que tu l'aimes, vous vous mettez ensemble, et fin de l'histoire.
- Ça ressemble à un film à l'eau de rose, ce genre de truc.
- Très bien, alors tu restes chez toi, tu ne changes rien et tu restes malheureux jusqu'à la fin de tes jours. J'avais dit quoi à propos des regrets ? On s'en moque de ce que tu fais, tant que tu le fais. Et pendant que tu réserves ton vol, racontes moi vos rencards.
- C'est pas des rencards.
- Vos « rendez vous amicaux » si tu préfères.
- Hilarant.
- Hé, tu sembles oublier que je suis une fille. C'est évident que je vais vouloir tous les détails. T'as déjà essayé de l'embrasser ?
- C'est possible, je sais pas trop.
- C'est vrai ?! Quand ?!
- A son anniversaire. Je l'ai emmené voir les feux d'artifices et j'ai eu envie de l'embrasser. Je me suis arrêté avant, mais il a remarqué que j'étais distant après.
- Mais est ce qu'il a remarqué que tu voulais l'embrasser ?
- Je ne sais pas. Je ne pense pas, ça aurait été bizarre, et... il ne s'est pas éloigné de moi.
- Oh mon dieu, Karma, t'es tellement nul en amour. Va en Amérique, et ne me parle plus tant que tu ne te seras pas mis en couple.
- On risque de ne plus se parler de la vie.
- J'écoute pas les célibataires, au revoir !
La blonde raccrocha et Karma sourit. Une chose était sûre, Rio ne changerait jamais. Mais lui, il fallait qu'il fasse quelque chose. Il soupira et fit quelques recherches sur son téléphone. Six heures plus tard, il était dans l'avion.