Partie 1

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Au Manoir, les courants d'air sont aussi glacials que la main invisible qui me comprime les poumons. 

Elle s'est faufilée sous ma cage thoracique, insidieuse et n'a jamais vraiment disparu depuis mon retour de Poudlard.
Parfois je l'oublie pendant un temps et puis soudain, elle ressert violemment sa prise et j'étouffe, je n'arrive plus à respirer.

Prendre une inspiration, penser à expirer puis recommencer. Cette stupide mécanique pour continuer à respirer correctement me fait mal. Je n'aurais jamais imaginé que survivre à ma mission à Poudlard serait aussi douloureux. Dès que j'y pense, des larmes brûlantes remontent derrière mes paupières et la bataille pour les refouler est difficile. Alors je me mords la langue pour lutter contre ses larmes traîtresses qui se faufilent et n'arrangent en rien mon combat contre mon souffle erratique. Et puis je m'habitue au goût de sang qui reste dans ma bouche.

Les journées au Manoir sont froides et interminables comme des cauchemars qui n'en finissent pas et qui reviennent me hanter chaque matin. Parfois, rester au fond de mon lit pour le reste de mes jours me parait un programme tout à fait envisageable. Mais Père a été clair, il nous faut faire front commun, être unis et loyaux, face à l'honneur que nous fait le Seigneur en élisant domicile dans notre grand salon.

Hélas, le Manoir ne ressemble plus à ce qu'il était. Malgré les grandes baies vitrées de la véranda, il n'a jamais été chaleureux. Trop austère et guindé pour en faire un lieu accueillant, mais des souvenirs heureux s'accrochent encore par bribes au bout de mes cils : le piano sur lequel j'ai appris à jouer qui se tenait à côté de la grande cheminée, les fauteuils en osier confortables de la véranda où enfant, je me lovais dans une couverture, les jambes recroquevillées, pour lire les aventures de grands sorciers, un havre de paix, entouré de grandes plantes vertes, et puis le jardin impeccable et immense avec ses fontaines et ses parterres fleuris soigneusement entretenus qui devenait mon terrain de Quidditch préféré...

Aujourd'hui, le piano à queue a été relégué au fond du cellier pour laisser de la place au Mage Noir quand il s'est approprié le salon familial. La véranda et ses plantes suspendues grouille de mangemorts sinistres, allant et venant, ou se reposant entre deux réunions, leurs bottes dégueulasses posées sur le tissu blanc des fauteuils de jardin. Les parcelles du jardin principal sont régulièrement piétinées par ces abrutis assoiffés de cruauté, et cette infâme brume tenace plane jours et nuits autour de la propriété depuis Sa venue.

Mère gère la tenue de la maison d'une main de maître, elle ressemble à une cheffe d'orchestre gracieuse, distribuant en silence des ordres à nos elfes de maisons. Père essaie de rester impassible et de prendre son rôle d'hôte à cœur. Il s'évertue à gérer les allées et venues de nos alliés et de conserver sa place d'intendant du manoir mais chacun de ses actes est constamment moqué par Ses piques acerbes. C'est devenu pire depuis que Père a du Lui céder sa baguette, comble du déshonneur pour un sorcier. Je bouillonne de rage pour la façon dont ma famille est traitée malgré les efforts et les sacrifices, mais le regard désemparé de Père m'enjoint à me taire, à ne pas faire de vagues, à essayer de rattraper les choses. Mais il faut se rendre à l'évidence, cette situation toxique nous a clairement échappé.

Dans le grand salon, Il nous convoque régulièrement, aux côtés d'autres sbires, de passage ou qui restent loger au Manoir. Le spectacle du moment est d'assister à des mises à mort cruellement mises en scène, à l'endroit même où se trouvait mon piano.

Les rires et les moqueries ont martelé les murs du salon le jour où j'ai rendu ma bile pour la première fois. Ma baguette tremblait dans ma main quand Il m'a intimé l'ordre d'achever une jeune moldue de mon âge, déjà salement amochée par leurs tortures. J'aurais du prononcer ces deux mots pour faire table rase de mes erreurs du passé, je n'aurais pas du avoir de scrupules. Au pire j'aurais pu abréger ses souffrances. Mais je n'ai pas réussi à contrôler ma main qui tremblait et la bile qui est remontée d'un coup dans ma gorge sans que je puisse me retenir. Au fil des mises à mort, alors que les moldus ou les traîtres à leur sang agonisaient sur le carrelage du salon, les ricanements ont diminué et les regards se sont détournés de moi. J'aurais du aimer ce spectacle, m'en délecter même, savourer de prendre le pouvoir sur ces êtes inférieurs à notre famille, mais la main glaciale s'était depuis un moment faufilée autour de mes poumons et m'empêchait de respirer.

Le chant du cygne - DrarryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant