Partie 6

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La rengaine est la même dans le Grand Salon.
Ses cris étouffés, les jubilations de Bellatrix puis les marches sombres de la cave.

Les trois jours de récréation de Bellatrix arrivent bientôt à leur terme. Le Seigneur ne va pas tarder à rentrer. Le soir-même ? Le lendemain ? Depuis combien de temps ce manège dure ? J'ai perdu le fil du temps, comme coincé dans une boucle infinie d'un retourneur de temps.

Je m'agenouille à son niveau, ouvre ma sacoche et prend le temps de constater les dégâts. Son arcade sourcilière est à nouveau ouverte mais ça ne ressemble pas un sort, plutôt un coup de poing perdu entre le Grand Salon et le cellier.
Je devrais m'en foutre mais je tique.
J'appose ma baguette et je murmure distinctement le sort de cicatrisation. Le bout de la baguette scintille et le flux magique fait doucement son effet contre sa chair abîmée.

Comme à chaque fois, il ferme les yeux sous mes sorts de guérison.
Je prends sur moi pour endurer cette proximité difficilement supportable. Je me concentre sur ma mission en essayant d'oublier qui je soigne.

Cette fois, malgré ses yeux fermés, il croasse quelques mots.

- Pourquoi tu fais ça ?

La question à mille gallions !
Je termine ma guérison et lui débouche le flacon d'une potion qui aide à faire passer la douleur.
Je hausse les épaules.

- Tu crois que j'ai le choix ?

Ses yeux pleins de haine se plantent au fond des miens et c'est moi qui détourne le regard, incapable de soutenir le dégoût que j'y lis.

Je lui tends la fiole qu'il a fini par accepter. Quelques gouttes de Valériane diluées pour faire passer la douleur que les sorts de soins superficiels ne peuvent pas soulager.

Il l'a d'abord reniflé, puis y a posé des lèvres suspicieuses. Il pensait peut être que j'en profiterais pour l'empoisonner, me servir de sa position de faiblesse.
Alors j'en ai bu une gorgée pour lui prouver qu'il ne risquait rien.
Je n'y avais même pas songé, après tout je ne suis qu'un piètre empoisonneur, les expériences passées l'ont prouvé.
Et puis, je n'y arrive pas. Me réjouir de sa position, de sa mort prochaine, de ce que ça signifie. J'ignore comment tout va se terminer, mais je ne suis à peu près certain que la mort de Potter n'arrangera en rien ma propre situation.

Comme l'impression que mon temps est compté et que cette mission de guérisseur de fortune sera la dernière action que je mènerai jusqu'au bout.
Alors je m'y attelle avec application.

Les trois jours toucheront bientôt à leurs fins, et le retour du Seigneur signe à n'en pas douter ma propre fin.
Je n'ai plus la force de supporter ses humiliations et ses sévices.
Il jubilera de la prise de Potter et sa mise à mort sera à n'en pas douter le clou final de la partie. Sauf que je ne suis pas sûr d'arriver à jouer le pantin ravi du spectacle.
Rien qu'à cette idée, la bile me remonte dans la gorge et j'ai les mains moites.

Potter me tend la fiole vide et me regarde étrangement.

- "Fais-le, et tout sera pardonné"

- Quoi ? je croasse

- Ton père, c'est ce qu'il a dit en t'envoyant ici, "tout sera pardonné", qu'est-ce que ça veut dire ?

- Et si tu te mêlais de tes affaires Potter ?

Je range rageusement la fiole avec les autres dans ma sacoche, elles tintent bruyamment sous mes gestes.
Je ne le pensais pas assez conscient pour avoir entendu cet échange. Comme si les humiliations de mon propre camp ne suffisaient pas.

Potter se redresse à présent remis de ses blessures, se cale contre le mur décrépi de la cave et soutient mon regard comme en attente d'une réponse qui ne vient pas.

- Ça veut dire que je suis tout aussi prisonnier que toi dans mon propre Manoir et que chacun de mes gestes est examiné... je te l'ai dit, je n'ai pas le choix.

Je me maudis d'avoir saisi sa perche, de prendre le temps de lui répondre. Pourquoi je lui accorde cet intérêt ? Parce que c'est la seule personne avec qui j'ai un semblant de discussion depuis des semaines dans ce fichu Manoir ?

Il m'observe en silence derrière ses mèches folles.
Ses cheveux ont poussé et lui tombent dans les yeux. Il ne ressemble plus au Potter de Poudlard, il a changé en quelques mois. Malgré les blessures, il a l'air plus fort, plus sûr de lui, ce n'est plus l'étudiant maigrichon de Gryffondor. Il a indéniablement la stature d'un futur auror, il ressemble à un homme qui se bat, qui résiste, qui tient tête.

Je baisse les yeux vers sa main blessée, certains de ses doigts forment des angles contre nature. Je fouille dans ma sacoche de guérisseur, en sort des attelles de fortune et des onguents.
Je lui saisis la main sans lui demander son avis cette fois et il ne bronche pas.
J'inspecte les dégâts et réfléchis à la meilleure façon de procéder. Le sort pour remettre les os en place est complexe - on n'imagine pas le nombre d'osselets dans une main - je n'ai clairement pas le niveau d'un médicomage mais même si j'ai des lacunes en pratique, j'ai potassé la théorie.
Je pose le bout de ma baguette sur ses phalanges et avant de prononcer le sort de soin me décide à le prévenir.

- Ça risque de faire mal...

Penché vers moi, il soutient mon regard et ne détourne pas les yeux.

- J'ai connu pire !

Je secoue la tête face à sa bravade et me concentre sur mon sort.
Il se crispe un peu sous la douleur des os qui reprennent leur place et se ressoudent. Je me concentre sur chaque phalange pour prononcer correctement la formule mais sa main dans la mienne, je remarque soudain des détails de lui que je n'avais jamais remarqué auparavant.

Dans ma main fine, la sienne est brute, rugueuse, masculine. De vilaines cicatrices déforment la chair sur le dessus, mais sa paume est cagneuse. Il a des mains d'un combattant que je devine forgées à l'exercice au combat et aux entraînements répétés.
Je rougis brusquement honteux de m'attarder sur ce genre de détails chez Potter et je remercie la pénombre de la cave de garder l'étendue de mon embarras secret.

Mais je ne suis visiblement pas le seul à jouer la carte de l'observation.
Sa main dans la mienne, il me laisse procéder au sort complexe et je sens peser sur moi son observation silencieuse.
Son regard s'attarde sur ma chemise entrouverte et je crois deviner un tressaillement quand il remarque la longue cicatrice blanche qui dépasse et s'étend jusqu'à ma clavicule. Cette longue cicatrice dont il est l'auteur avec ce sort de magie noire qu'il a sorti de nulle part, Sectum Sempra, dont je garderai une trace toute ma vie, comme un souvenir de Potter gravé dans ma chair.

Il déglutit, son regard est lourd et pendant un instant je pense qu'il va s'excuser, en parler, évoquer Poudlard, mais je ne suis pas sûr d'être assez fort là tout de suite pour replonger dans cette autre vie où tout était plus simple.
Puis ses yeux se posent sur la marque noire qui dépasse de sous ma manche et il récupère sa main soignée comme si mon contact le brûlait.
Je me redresse et baisse rapidement ma manche sur mon avant-bras, mais il détourne le regard et renifle.

- Rien n'a changé, Malefoy. Si tu te trouves sur mon chemin lors d'une bataille, je n'hésiterai pas une seconde !

Et je le crois. Il a le regard avide du combattant, prêt à tout. Il me déteste, et je ne lui ai donné aucune raison de changer d'avis.
Je pourrais répliquer, lui demander comment il compte se sortir de ce merdier dans lequel il s'est fourré, comment il compte survivre, s'en sortir cette fois mais c'est Potter, et je sais qu'il regorge d'une chance inouïe et injuste.
Son regard, empli de la haine qu'il me porte, me donne envie de vomir.
Il est comme le miroir dans lequel je n'arrive plus à me regarder le matin, et je sais qu'il a raison.
Alors je me lève, passe la sangle de la sacoche en bandoulière et m'éloigne sans un regard, laissant mes regrets et mes non-dits mourir à petit feu avec lui.

Le chant du cygne - DrarryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant