Chapitre 34

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Jeudi 30 avril – 8 heures

Hugo se réveilla dans sa cellule, mais son esprit resta bloqué dans son rêve. Cette nuit avait eu l'effet d'une capsule temporelle. Il s'était revu en début d'année, heureux aux côtés de Lyanna. Il se détestait de repenser à ces moments mais il ne contrôlait malheureusement pas où l'emmenait le marchand de sable. La passion qu'il avait vécue avec la lycéenne était gravée en lui à jamais. Il l'avait sincèrement aimé sans pouvoir s'expliquer pourquoi elle et il craignait de ne pas s'être totalement sevré d'elle, malgré tout ce qu'il subissait depuis plus d'un mois par sa faute. La haine et l'amour menaient une bataille sans nom en lui, l'épuisant moralement.

— Hugo Daniels ! tonna la voix grave d'un garde. On vous demande aux parloirs.

Hugo se redressa dans son lit, interpellé par cet appel. Qui pouvait venir le voir à cette heure-ci en pleine semaine ?

Il enfila son t-shirt blanc et suivit le garde. Il fut surpris de découvrir Charlène derrière la vitre. Il ne l'avait pas revu depuis la fin du procès. Il ne lui en voulait pas, il n'avait pas été le meilleur compagnon pour elle. En y repensant, il n'avait été bien ni envers Charlène, ni envers Caroline, il méritait probablement tout ce que Lyanna lui faisait endurer.

Il s'assit face à la vitre qui le séparait de la jeune femme et attrapa le combiné.

— Comment vas-tu ?

Hugo haussa simplement les épaules. Il en avait assez qu'on lui demande comment il allait. Que pouvait-il répondre aux gens ? Que c'était un réel plaisir d'être enfermé ici ? Qu'il se sentait comme au club med ?

Il garda ses réflexions pour lui, ne souhaitant pas blesser Charlène, qui avait fait le déplacement.

— Je suis désolée de ne pas être venue plus tôt...
— Je ne t'en veux pas, je comprends.

Les deux collègues discutèrent quelques minutes avant que la professeure d'anglais ne doive le quitter pour aller au lycée. Là-bas, elle resta seule dans sa salle de classe en attendant le début de son cours. Depuis l'enfermement d'Hugo, elle restait seule, même à la pause de midi. Elle n'était pas à l'aise d'être avec ses collègues qui n'avaient rien fait pour l'un des leurs. Ils avaient tous repris le cours normal de leur vie, comme si jamais rien ne s'était produit au sein de leur établissement, mais elle n'y arrivait pas. Elle avait essayé les premiers jours, mais elle se sentait trop en décalage, par rapport à l'humeur générale de l'équipe. Mais ce qui rendait ses journées encore plus difficiles à vivre était de voir la jeune Evans fouler le sol du lycée, le sourire aux lèvres sans que personne ne l'accuse de quoi que ce soit. Ce jeudi n'échappa pas à la règle et fût même plus compliqué car le visage amaigri d'Hugo accaparait entièrement son esprit. Lorsqu'elle l'avait vu arriver aux parloirs, elle s'était retenue de ne pas fondre en larmes devant lui. Il lui avait paru tellement anéanti, plus aucune émotion ne semblait l'habité. Il avait répondu à ses questions comme un robot. Ni colère, ni espérance ne paraissait l'animé. Alors, lorsque Charlène croisa la lycéenne dans un couloir, elle ne pu s'empêcher de lui demander à lui parler.
En arrivant dans la salle d'anglais, Lyanna, peu enjouée d'avoir été coupée ainsi de son groupe d'amis, croisa les bras et afficha un air arrogant sur son visage.

— Tu dois arrêter ton petit manège immédiatement, ordonna Charlène, dont la peur pouvait se lire dans ses yeux.
— Je suis désolée, madame Moroe, mais je ne comprends pas de quoi vous parler, répondit l'adolescente, toujours dans son personnage de l'innocente, même quand personne n'était là pour admirer son jeu d'actrice.

Elle se dirigea vers la sortie pour quitter la pièce mais Charlène lui bloqua le passage en posant une main sur la porte.

— Hugo va très mal, Lyanna, supplia Charlène, tentant de raisonner l'adolescente que rien ne semblait atteindre.
— Eh bien il aurait dû y réfléchir avant de poser ses mains sur moi sans mon accord ! répondit la jeune fille d'une voix grave.

Elle paraissait si convaincue de son histoire que même sa prof d'anglais eu un moment de doute, juste assez long pour qu'elle baisse sa garde et que Lyanna en profite pour sortir de la salle de classe.

La jeune fille ne resta pas sourde aux paroles de Charlène. Au début du mois, ses parents lui avaient conseillé d'aller passer les tests requis pour le nouveau procès qui se préparait, et cela faisait vingt-sept jours qu'elle repoussait, prétextant qu'entre le lycée et son travail au bar elle n'avait pas une minute à elle. En réalité, l'adolescente voulait se laisser le temps de reprendre son traitement et devenir à nouveau bien docile pour pouvoir se contrôler lors des tests et ne rien laisser paraître quant à son petit jeu de dupe. Savoir Hugo si mal en point lui donna l'envie d'accélérer le processus et le soir même elle se rendrait, accompagnée de ses parents, au commissariat. Les médicaments lui remettaient les idées en place et Hugo ne méritait pas tout cela.

À seize heures, Lyanna alla passer ses tests psychologiques qui durèrent pas loin d'une heure. On lui demanda notamment d'estimer le moment qui avait déclenché ces crises de colère selon elle, de décrire chaque situation qui la mettait hors d'elle et enfin, de raconter ses quelques mois en psychiatrie, il y a quatre ans. Ce fut la partie de l'entretien la plus difficile à gérer émotionnellement. La jeune fille dû se replonger dans les quatre mois les pires de sa vie...

Lyanna, tout juste âgée de quatorze ans, venait de faire son entrée en clinique psychiatrique, à la demande de ses parents. Elle vécu cela comme un abandon de leur part, au profit des jumeaux qui avaient tout bouleversé. Elle allait parfaitement bien avant qu'ils n'entrent dans sa vie !

On lui assigna une chambre dépersonnalisée, et chaque jour elle avait la visite d'un psychiatre qui évaluait son état de santé mentale. C'était l'occasion pour tester la gestion de sa colère, lorsque le médecin évoquait Lucas et Emy, les jumeaux.

Tous les jours, la jeune fille restait seule. Elle n'avait jamais su se sociabiliser et dans ces conditions, créer un lien avec d'autre personne lui paraissait quasi impossible. Elle passa son été enfermée dans cette clinique, coupée de ses amis et sa famille. Ce fut une raison de plus pour nourrir un ressentiment important envers ses parents, ajoutant ainsi de la rancœur à la colère qu'elle avait en elle depuis son arrivée. Les semaines passaient et son état ne s'améliorait pas.

Passe-moi la télécommande ! ordonna-t-elle à un jeune garçon d'à peu près son âge, confortablement installé dans un fauteuil de la salle commune.
Tu n'as pas dit le mot magique... ricana ce dernier en cachant l'objet derrière son dos.

Mais Lyanna n'était pas d'humeur à rire et déferla toute sa colère contre l'adolescent qui ne comprit pas ce qui lui arrivait. Prit de panique, il se leva du fauteuil et s'en alla rapidement, non sans clamer à la jeune fille qu'elle était « malade ».

Peu de temps après l'incident, le docteur vint la chercher pour l'emmener dans son bureau.

Mademoiselle Evans, commença-t-il d'un air grave. Cela fait plus d'un mois que vous êtes parmi nous et vous ne gérez toujours pas vos crises de colère.

Le médecin exposait les faits sous le regard plein d'incompréhension de sa jeune patiente qui se demandait où il voulait en venir.

Vous êtes malade, mademoiselle.

Lyanna reçu ces mots comme une attaque. Instantanément, elle se braqua et se ferma à toute forme de discussion.

Je pense qu'il va falloir que nous passions à un traitement médicamenteux. J'en ai déjà parlé à vos parents, et ils approuvent.

Une fois encore, Lyanna se sentit abandonnée par ses propres géniteurs. Mais cela ne l'étonnait guère ; depuis l'arrivée des jumeaux, il n'y en avait que pour eux !

Vous voulez me droguer en fait ? s'énerva Lyanna.
Bien sûr que non ! Ces cachets seront un appui dans votre gestion de la colère, tenta d'expliquer le médecin qui faisait face à un mur.

L'adolescente ne l'entendait pas de cette oreille et refusa de prendre son traitement pendant plusieurs semaines. Ce futseulement lorsqu'on lui annonça qu'elle ne pourrait sortir d'ici qu'à cettecondition qu'elle obtempéra. Elle s'avoua vaincue et pu sortir un mois après. Elle reprit le chemin du collège après les vacances de la Toussaint.

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