19. LES BULLES

251 17 2
                                    

   La main de Thorn s'agrippe à celle d'Ambroise Ier, tels les serres d'un aigle autour d'une souris, tant il ne peut concevoir que des bulles transparentes s'érigent devant eux. Ses sourcils n'ont jamais semblé aussi rapprochés qu'à cet instant, ses yeux passant d'une bulle à l'autre pour essayer de comprendre et résoudre cette nouvelle énigme. Qu'est-ce donc que cela, encore ? Il s'approche de l'une de ces choses incongrues, ou c'est elle qui vient à lui, il ne sait jamais faire la différence, ici.

Une lumière forte, étrange se trouve à l'intérieur, provenant à la fois de partout et de nulle part. Il a beau en chercher la source, c'est comme si les parois transparentes synthétisaient cette luminescence. Il s'avance dans le champ insolite, Ambroise Ier sur ses talons, suivi lui-même de Lazarus, les mains jointes entre eux. Il jette un œil par-dessus son épaule. Au vu de leur comportement, ces deux-là connaissent déjà bien cet endroit.

Thorn reprend alors son avancée, et ne sait plus où regarder. Aucun raisonnement cohérent ne peut expliquer une telle chose. Des bulles de tailles différentes se dressent autour d'eux. Certaines, toutes petites, qu'il n'avait pas aperçues au premier abord, trop obnubilé par l'immensité des autres, grossissent à vue d'œil dans un silence inquiétant. Il baisse les yeux vers le sol, tandis qu'une minuscule excroissance en jaillit et gonfle, comme si de l'air s'extirpait des profondeurs d'un étang, provoquant des bulles à la surface de l'eau. La minuscule boursouflure s'amplifie jusqu'à prendre la taille d'une petite balle, puis d'une boule aussi grosse qu'une citrouille.

Quelque chose d'autre accroche le regard de Thorn, un peu plus loin. Un objet. Ou plutôt un animal. Dans une des plus grandes bulles, se trouve un cheval en lévitation, qui tourne et vire dans l'habitacle transparent.

Thorn écarquille les yeux encore un peu plus en s'apercevant que les couleurs du cheval paraissent naturelles, et non inversées comme les siennes. L'animal semble perdu, ses yeux affolés tournoient dans tous les sens, de l'écume blanche aux coins de la bouche. Thorn peut même entendre ses hennissements désespérés.

Il se rend compte de l'improbabilité de ce nouvel élément. Il n'y a pas de bruit dans l'Envers. Les seuls sons qu'il entend, ou qu'il sent plutôt, traversé par les ondes qu'ils projettent dans l'espace, proviennent de l'Endroit. Par exemple, lorsqu'il se retrouve sans raison sur le marché aux épices de Babel, le vacarme des marchands retentit dans tout son corps ; lorsqu'il marche sur les dalles du couloir lugubre de l'intendance du Pôle, les pas de son successeur semblent résonner dans l'immensité de brume autour de lui. Mais l'Envers ne connaît que le silence.

Non, il a la sensation que les mugissements de l'animal sont loin d'être naturels, ici. Les bulles sont donc logiquement hermétiques à l'Envers. S'il est possible de parler de logique en ce lieu... Quelque chose de différent se passe à l'intérieur.

Lorsque le cheval arrive à proximité du sol, l'attention de Thorn se tourne vers le revêtement étrange qui recouvre celui-ci. Allons bon ! La bulle repose sur ce qui ressemble à une petite mare, remplie d'une eau brillante et tumultueuse en constant mouvement. La surface brille tellement, qu'il est presque impossible de l'observer trop longtemps.

Thorn cligne des yeux plusieurs fois pour dissiper les scintillements qui l'aveuglent, et se concentre de nouveau sur le cheval qui hennit et court dans le vide, dans sa prison de verre. Il paraît que dans l'Ancien Monde, certains hommes exploraient les cieux. Là-bas, tout paraissait en apesanteur. Serait-ce un morceau de ce ciel ?

Thorn s'avance plus profondément dans le champ, sa main agrippée par celle d'Ambroise Ier. Dans certaines bulles, il y a donc un animal ou un objet. Un seul élément. En lévitation permanente.

Il sursaute quand une des boules émet une explosion interne. Il est trop loin pour voir de quoi elle découle. La bulle se détache de la surface pour rouler, rouler. Thorn se met à courir, lâchant la main de son guide. Il essaie de la suivre, sa jambe abîmée prenant des angles à la fois aigus et obtus. Mais c'est le cadet de ses soucis. Il veut savoir où la chose se carapate.

Elle est beaucoup trop rapide et se dissipe déjà dans le brouillard. Tout à coup, au milieu de cet étrange panorama, Thorn prend conscience de sa solitude. Il voudrait crier le nom d'Ambroise, de Lazarus, mais il a oublié l'espace d'un instant qu'il ne sait plus parler.

*****

Salut à tou·te·s,

Comment allez-vous ? 

Court Chapitre du pdv de Thorn, mais intense en idées farfelues 😅 J'espère que j'ai réussi à les retranscrire clairement... Une idée de ce que sont ces bulles ?

A très vite, pour la suite ^^

Je vous souhaite de joyeuses fêtes, et prenez soin de vous ❤️

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant