34. LE DILEMME

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Le lendemain, Ophélie ne put s'empêcher de regarder Victoire autrement. Elle qui voulait devenir une marraine exemplaire, elle culpabilisait de voir en sa filleule davantage un objet de valeur, un instrument pour arriver à ses fins, qu'une petite fille ayant besoin d'amour et d'attention.

Mais après tout, l'un n'était peut-être pas incompatible avec l'autre...

Alors que Victoire, installée sur la table basse du salon, était en train de crayonner un homme, grand et tout de noir vêtu, perdu au milieu d'un nuage, Ophélie se pencha encore un peu plus sur la feuille griffonnée.

— Qu'est-ce que tu dessines ?

L'enfant leva les yeux vers sa marraine, un air jovial étirant ses traits fins, tandis qu'elle appréciait de voir toute l'attention tournée vers elle.

— C'est mon cousin. Tu sais, il est tout seul là-bas. Et je m'inquiète.

— Pourquoi tu t'inquiètes ?

— Parce que... Parce que je ne veux pas qu'il se perde, là-bas.

Ophélie sentit son cœur se serrer. Elle aussi avait peur, peur qu'il se perde à jamais dans la brume. Pourtant, ce n'est pas ce qu'elle affirma à sa filleule.

— Ne t'inquiète pas, Thorn t'a aidée à trouver ton chemin, il sait bien se diriger dans le brouillard.

— Mais non. Il ne connaît pas la sortie.

Ophélie regarda vers la porte du salon, pour être certaine qu'elles étaient seules. Elle n'était pas fière de ce qu'elle s'apprêtait à faire.

— Et toi ? Est-ce que tu y retournes, des fois, là-bas ?

Victoire fut prise d'un frisson.

— Oh non ! Jamais ! J'ai trop peur de ne pas retrouver mon chemin.

— Mais Thorn pourrait te ramener, comme la première fois.

Elle secoua la tête vigoureusement, faisant virevolter ses cheveux presque blancs.

— Non, non. Je ne veux pas ! cria-t-elle.

— D'accord, d'accord, ne t'inquiète pas, je te demandais juste...

—Vous lui demandiez quoi ?

La voix de Berenilde résonna dans la grande pièce, semblable au bruit d'une armoire en bois massif qui tomberait avec fracas sur le sol. Ophélie sentit l'embarras lui empourprer les joues. Comment osait-elle essayer de pousser la petite fille à se mettre en danger, sans aucune preuve de résultat ?

— Rien, rien... Nous parlions... Nous parlions du dessin.

Berenilde se pencha à son tour sur l'esquisse de sa fille, mais n'y prêta que peu d'attention, celle-ci toute tournée vers Ophélie.

— Elle n'y retournera pas, affirma la tante de Thorn. Et si vous poursuivez votre mascarade, je me verrai dans l'obligation de vous mettre dehors, Ophélie. Le fait d'être la femme de mon neveu ne vous donne en aucun cas tous les droits ici. Et certainement pas celui de mettre ma fille en danger.

Ophélie baissa les yeux, consciente de sa propre bêtise.

— Oui, Madame. Ce n'était pas mon intention, mentit-elle. Je souhaitais juste... en savoir un peu plus...

Berenilde attrapa un peu trop fort le bras de sa nièce par alliance. Ophélie sentit un mal de crâne qu'elle ne connaissait que trop bien l'envahir, jusqu'à lui obscurcir la vue. Les griffes de Berenilde ne lui avaient pas manqué. La maîtresse des lieux la tira pour l'emmener dans le couloir, afin que les petites oreilles de Victoire n'entendent pas ce qui allait se dire entre adultes.

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant