Le goudron crevassé de la petite route sur laquelle Ophélie avait atterri avec fracas fut la première chose qu'elle aperçut au travers de ses lunettes. Ces dernières, empreintes de tout l'agacement qu'elle ressentait après cet énième échec, avaient pris une teinte grisâtre.
Elle jeta un œil mauvais derrière elle, vers le miroir qui venait de la propulser à terre sans ménagement. La grande psyché renvoyait le reflet d'une jeune fille à la tignasse hirsute, les quatre fers en l'air, ses lunettes de travers sur un nez retroussé par la contrariété.
Ophélie s'étonna, comme à chaque fois qu'elle voyait son propre reflet, de remarquer la teinte étrangement vénitienne qu'avaient pris ses cheveux qui commençaient à repousser de quelques centimètres. Une couleur proche de celle de la chevelure de ses frères et sœurs. De même, les quelques taches de rousseur qui étaient apparues sur sa frimousse lui donnaient l'impression de n'être plus tout à fait la même. Peut-être était-ce simplement dû au soleil brûlant sous lequel elle s'exposait depuis des semaines à Babel, parcourant les rues de la cité, nouvelles et anciennes entremêlées, à la recherche du bon miroir.
Ce qui la déconcerta encore davantage fut le décor que renvoyait le miroir, qui n'était pas du tout celui dans lequel elle avait émergé. Son reflet était entouré de nuages, comme si un brouillard épais l'enveloppait toute entière.
Tentant de se relever à l'aide de ses avant-bras, puis de ses moignons cachés par ses gants animés qui n'en faisaient qu'à leur tête, Ophélie se rapprocha de cette image qui l'attirait tant. Serait-ce enfin cette porte qu'elle cherchait depuis des mois ? Allait-elle enfin retrouver celui qui était devenu son seul repère ?
Alors qu'elle était sur le point de toucher le miroir, qui renvoyait toujours son reflet au milieu de la brume, un bras gravé de cicatrices s'avança dans le brouillard. Une main dirigée vers elle allait toucher la sienne. Sans une hésitation, elle plongea son bras dans le reflet qui se troubla aussitôt.
— Alors c'est ça votre truc ?
Ophélie sursauta, extirpa son bras de la psyché pour tourner toute son attention vers le grand baraqué accoudé au cadre de la glace. Elle aurait pu être intimidée par sa carrure impressionnante, ses muscles débordant de ses vêtements qui paraissaient beaucoup trop petits pour un être si corpulent. Elle aurait pu être apeurée par ce visage dur, ce bloc rectangulaire qu'il avait en guise de mâchoire, ce crâne presque rasé duquel dépassait simplement, en son sommet, une queue de cheval noir.
— Une partie de jambes en l'air dans les nuages, c'est ce qui vous fait rêver ?
Ophélie fronça les sourcils avant de bifurquer son regard vers le miroir et comprendre ce que venait de suggérer cet homme. Le miroir reflétait ses propres désirs. Et ce qu'elle crevait d'envie, elle, c'était de retrouver Thorn dans l'Envers, de plonger dans l'aerargyrum avec lui. Son espoir venait de retomber pathétiquement, se dissipant comme l'air enfermé dans un ballon de baudruche en train de se dégonfler.
Ophélie s'éloigna de l'homme et son miroir à reculons, pestant à voix basse contre leur probable origine sélénéenne, l'arche de l'onirisme. Elle trébucha sur une pierre qui roula sous sa chaussure, l'entrainant vers l'arrière. L'écharpe tira de toutes ses forces pour l'empêcher de tomber à la renverse. Elle réussit à ralentir sa chute, mais Ophélie vit une fois de plus le sol de beaucoup trop près.
En moins de deux minutes, elle était tombée pas moins de deux fois. Sa maladresse y était pour beaucoup. Mais le fait de ne plus avoir de doigts ne l'aidait pas non plus à maîtriser ses mouvements.
L'homme du miroir accourut pour lui offrir une main charitable. Comme elle ne pouvait attraper celle-ci, il se décida à l'empoigner par le bras pour la replacer à la verticale.
— Alors ! Faut pas avoir peur de ses propres désirs jeune demoiselle.
Ophélie, agacée par les paroles du magicien, se dégagea de la poigne ferme qui la retenait.
— Merci pour votre aide, je dois y aller.
Tout en s'éloignant de l'homme, et surtout de son miroir, elle lança un regard circulaire autour d'elle. Elle connaissait cet endroit. Les guirlandes de fanions qui voltigeaient au dessus de sa tête s'alignaient entre de petites tentes bariolées en formes de chapiteaux, se succédant des deux côtés de la grand route où seuls quelques piétons se promenaient.
Le bruit d'une fanfare au loin l'entraîna vers cette direction, les yeux toujours écarquillés de stupeur. Après quelques pas, tandis que son écharpe époussetait son sarouel et sa tunique, elle rajusta ses lunettes sans quitter des yeux la grande pancarte du cirque itinérant qui lui faisait face. Elle avait atterri en plein milieu de la Caravane du Carnaval.
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Pfiou !! Voilà pour ce premier chapitre ^^Je vous préviens, cette fanfiction risque d'être assez longue 😅
Qu'en pensez-vous ? Une idée pour la suite ?
Le chapitre 2 sera pour mercredi prochain, pour la semaine "Et si..." du challenge de A Fanart's Promise 😋
Cheers ❤
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Les Oubliés de la Brume
FanfictionFanfiction de la saga La Passe-Miroir. ATTENTION : cette fanfic est une suite du tome 4 de la Passe-Miroir. Si vous n'avez pas lu la saga jusqu'au bout, mieux vaut passer votre chemin sur cette histoire pour l'instant. C'est le big spoil assuré ! (M...