23. LE MIROIR

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   Ils étaient enfermés dans cette chambre ! L'espace d'un instant, Ophélie s'en sentie offusquée. La confrérie ne leur faisait pas confiance ! Et ils avaient raison.

Waban décrocha deux barrettes enfouies dans ses cheveux longs, qui étaient accrochés en demi-queue. La masse sombre tomba aussitôt en cascade autour de son visage.

— Ne me regarde pas comme ça, j'ai pris l'habitude de m'échapper régulièrement de l'Antre. Il faut bien quelques outils pour des classiques de ce genre, haussa-t-il les épaules.

Il s'accroupit devant la porte pour en trifouiller la serrure avec ses deux tiges de fer. Ophélie serra les fesses en espérant que personne ne passerait à proximité, vu le boucan que l'entreprise engendrait. Les minutes passaient, toujours autant de bruit, et la porte restait bloquée.

Ophélie tournait en rond dans leur cellule. Seul son regard était fixe, ne lâchant pas les omoplates de Waban qui roulaient à chacun de ses mouvements autour de la porte close. Elle eut tout à coup envie de le secouer comme un prunier, mais elle doutait que ce soit la solution la plus efficace pour faire accélérer les choses. Elle décida plutôt de fouiller les tables de chevet et la commode. Seul un livre sur l'histoire de la confrérie et du Miroir prenait la poussière dans un des tiroirs.

Alors qu'elle s'apprêtait à le feuilleter, un déclic résonna dans la pièce ; les battements de son cœur firent de même. Elle pria pour que ce soit bien Waban qui ait débloqué la porte, et non quelqu'un de l'autre côté du battant.

Elle respira un bon coup en voyant le sourire de l'Alchimiste qui s'était relevé, et s'empara de la poignée pour l'abaisser, le cœur empli d'espoir. Cette fois-ci, la porte grinça en s'entrouvrant. Ophélie colla ses lunettes dans l'ouverture. Un coup d'œil à droite. A gauche. Personne. Ils pouvaient sortir de leur prison.

De loin, elle distingua une table devant la porte secrète, avec un garde qui y était installé. Un homme inoffensif pour l'instant, puisque ses ronflements résonnaient jusqu'à eux. Ce lieu ne devait pas avoir l'habitude d'accueillir des voyageurs.

En se dirigeant vers le gardien, Ophélie entendit les froissements des vêtements de Waban derrière elle. Ils avaient eu la bonne idée de retirer leurs bottes afin d'éviter les traces de saletés autant que les couinements, qui auraient pu les trahir.

Arrivés devant le garde, ils stoppèrent net leur avancée. Comment passer sans le réveiller ? La petite taille d'Ophélie lui permit de se faufiler en dessous du bureau. Mais l'homme avait croisé ses jambes de telle façon qu'elles bouchaient l'accès à la poignée.

Waban décida alors de monter sur le bureau dans un saut gracieux. Ophélie n'osa plus respirer en entendant le bois craquer. Le garde modifia sa position, et le visage de son ami, accroupi sur la table, était beaucoup trop près de celui du ronfleur professionnel. A tel point qu'une de ses mèches de cheveux rebelles se soulevait au rythme des expirations du dormeur.

Waban se redressa, pris le temps d'attacher ses cheveux et tenta d'accéder à la poignée en inclinant son buste par-dessus le garde, les pieds en équilibre sur la table. En constatant la grimace qui se profilait sur son visage, Ophélie se demanda si cela était dû à cette position inconfortable ou l'appréhension de trouver porte close une nouvelle fois.

Les traits du Plomborien se relâchèrent quand son coup de poignet élégant ouvrit le battant en silence.

Un fût de lumière s'en extirpa, luisant sur le crâne chauve du garde.

Après un coup d'œil dans le couloir pour vérifier leur solitude, l'Alchimiste aida Ophélie à monter sur la table avec lui afin qu'elle fasse le moins de bruit possible et qu'elle ne trébuche pas. Apparemment, il était bien au courant de sa maladresse légendaire...

En bon circassien, Waban fit un saut athlétique au-dessus du garde, et s'accrocha légèrement à la porte pour retomber gracilement, tel un félin, sur ses deux pieds.

Ophélie se demanda comment elle allait procéder, elle. Impossible d'en faire autant.

Elle s'approcha du coin de la table, juste à côté du gardien. Les pointes de pieds touchant à peine la surface, elle sauta un peu au hasard en attrapant le chambranle de la porte et le circassien l'accueillit entre ses bras. Elle se cogna contre son torse, le faisant reculer de quelques pas. Il la tint un peu plus fort.

Mais Ophélie n'eut pas le temps de s'en soucier, elle embrassa du regard la pièce d'où se dégageait une chaleur étouffante. Une piscine intérieure, d'où sortait un puits de lumière, et, suspendu au-dessus de celui-ci, un miroir. Le Miroir.

Ophélie se dégagea des bras de Waban et alla fermer doucement la porte avec un dernier regard vers le gardien qui dormait toujours. Elle vit passer sur ses lunettes déjà embuées la laine tricolore de l'écharpe, lui permettant de contempler l'objet qui accueillait ses espoirs les plus fous.

Le Miroir reflétait la lumière de façon très étrange. Il lui manquait un gros morceau dans le coin supérieur droit. Un morceau qui n'était pas régulier. Seule une poussière, comme une goutte, restait perchée dans le néant, là où il manquait le morceau. Ophélie eut une pensée pour la psyché accrochée à rien dans le Secretarium, à Babel.

L'objet mystérieux était perché sur une passerelle blanche ; un petit pont au-dessus de l'eau, dont les rambardes en fer forgé faisaient penser à du lierre entrelacé sur les branches fines d'un arbre.

Ophélie fit quelques pas vers lui. Elle voulait monter sur la passerelle, mais cela semblait impossible. Les deux côtés du pont étaient dépourvus de plancher. Seules deux tiges de ferrailles épaisses reliaient la plateforme à une poulie aux roues crantées, sur le bord de la piscine. Les deux poulies étaient dotées d'une grosse manivelle.

Waban essaya poser un pied sur le morceau de rambarde proche du bord, mais tout l'attirail brinquebala, comme s'il allait céder et sombrer dans l'eau. La passerelle ne pourrait pas supporter le poids de l'Alchimiste. Ni celui d'Ophélie, d'ailleurs.

— Je crois que le seul moyen d'accéder au Miroir est de le plonger là-dedans, dit Waban avec un signe du menton vers le bassin.

Ophélie soupira ; il ne manquait plus que cela ; elle allait devoir faire un plongeon dans cette piscine. Elle se rapprocha de celle-ci afin d'en observer le fond : le carrelage était le même que celui des murs, blanc orné de dessins bleu foncé, représentant des scènes diverses de mythologie marine. La piscine n'avait pas l'air bien profonde et l'eau était parfaitement claire. Ophélie s'accroupit, retira son gant avec ses dents et plongea sa main abîmée dans l'eau. Elle la ressortit aussitôt ; elle était gelée. Le contraste était saisissant avec la chaleur étouffante de la pièce.

Elle se releva en s'appuyant sur le bord, et Waban se plaça de l'autre côté du bassin. Après un échange de regard, chacun tourna une manivelle qui grinça à chacun de leurs mouvements. Elle pria pour que cela ne réveille pas le garde.

Ils virent petit à petit la passerelle descendre et se rapprocher de l'eau, jusqu'à ce que le Miroir soit immergé, bien au fond du bassin. Ophélie s'approcha du bord et s'abaissa, les yeux écarquillés de stupeur.

De la fumée blanche.

Un épais brouillard se dégageait du Miroir.

*****

Coucou ^^

Ophélie et Waban s'approchent enfin du fameux miroir ! Est-ce que ce sera enfin la solution pour accéder à l'Envers ? Une idée de la suite ?

La semaine prochaine, on retrouve le mari de Madame, histoire de voir ce qu'il devient, au milieu de la brume 😋

A plus,

Prenez soin de vous ❤️

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant