17. LE MARCHÉ

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   Ophélie se sentit tout à coup minuscule. Les circassiens venaient de pénétrer dans une gigantesque salle à la hauteur de plafond vertigineuse, où la foule grouillait telle une fourmilière agitée par les premières chaleurs de printemps. Un brouhaha assourdissant et un magma d'odeurs d'hommes et de bétails, de nourriture et de roche, l'enveloppèrent toute entière.

Mais ses yeux ne prirent pas le temps de détailler les plomboriens qui se trouvaient là, au milieu des tentes et parasols de ce qui ressemblait à un marché. Elle fut bien trop attirée par ce qui se trouvait là-haut, au dessus d'elle.

D'énormes trous déchiraient les parois de la pièce, ou plutôt de la grotte, isolés de l'extérieur par des vitres épaisses desquelles on voyait se déverser un flot continuel de gros flocons de neiges. La lumière blanche du dehors s'explosait sur le verre, tandis qu'autour de ces larges fenêtres étaient incrustées des centaines de lampions de couleurs chaudes, du pourpre au jaune, dans les parois où se mélangeaient l'or et l'argent telles des volutes en spirales.

Comme si ce flux de lumière ne suffisait pas, d'immenses miroirs étaient suspendus sur le plafond, inclinés de telle façon à faire refléter l'éclairage des lanternes et des fenêtres. Les reflets aveuglants ricochaient sur les parois, d'une surface réfléchissante à l'autre, inondant la grotte qui paraissait presque embrasée.

Ophélie se massa les tempes tandis que toute cette lumière perçait ses lunettes comme des sabres tranchants. Elle dut fermer un instant les yeux pour voir de nouveau ce qui remplissait la pièce. Sous ses paupières dansaient des étincelles colorées. Un souvenir fusa d'un bout à l'autre de ses pensées : le kaléidoscope de l'Observatoire.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, ceux-ci préférèrent se tourner vers l'agitation devant elle. Les gens ne faisaient absolument pas attention à ce qu'il y avait au dessus de leur tête, comme si cette explosion de lumière et de couleurs était tout ce qu'il y avait de plus banal.

Eux-mêmes ne l'étaient pas, banals. Couverts de vêtements chauds de fourrure et de cuir où étaient brodés des ornements de pierres luxueuses, ils brillaient presque autant que leur plafond. Ophélie cligna des paupières plusieurs fois. Elle s'attendait à un style plus sobre et plus rustre, comme celui de Waban. Son ami n'avait aucune trace de pierreries ou autre fioritures sur ses tenues. Jamais.

Mises à part ces allures extravagantes, les plomboriens faisaient leurs courses comme tout le monde, déambulant au milieu des parasols. On aurait pu se croire à Babel au marché aux épices, ou sur Anima un dimanche matin quand les cousins d'Ophélie allaient remplir leurs paniers de bons légumes et de fromage.

L'équipe de la Caravane du Carnaval se promena parmi les stands en attendant que le marché remballe et leur laisse la place pour s'installer à leur tour. On mangea des beignets de morue polaire achetés chez un petit traiteur, du cabilllaud séché sur un stand d'épicerie fine, de la soupe de poisson à une bonne femme qui vendait les plats habituellement servis dans son restaurant. Visiblement, la nourriture locale n'était pas des plus variées. Il y avait bien de la graisse de phoque ou de la peau de narval, pour changer. Mais seul Waban s'en délectait... Ophélie pensa qu'après Babel, on ne pouvait pas faire plus opposées que ces deux cultures.

En début d'après-midi, les roulottes furent amenées par les techniciens des dirigeables sur la grand place. La Caravane s'installa, chacun agençait son propre stand, retrouvait son minuscule chez-soi, nourrissait les bêtes qu'on avait délaissées toute la journée.

Ophélie pénétra dans la somptueuse roulotte rouge pailletée d'or de sa patronne. Un petit habitacle très coquet, décoré avec chaleur et sobriété. Ca sentait bon à l'intérieur. Une odeur d'encens et le parfum au patchouli de la Totémiste se mariaient subtilement à des notes de caroube. Celles-ci venaient certainement de Babel, et Ophélie pensa un instant qu'elle devait s'en imprégner avant qu'elles ne disparaissent au profit de celle du poisson local.

— Il va falloir qu'on te trouve une petite place, réfléchit tout haut la dresseuse en inspectant les moindres recoins de sa roulotte, ouvrant et refermant tous les petits placards de bois sombre pour s'assurer que tout était bien à sa place.

Ophélie observa en silence la maison de poupée dans laquelle elle semblait se trouver. Elle se demanda où elle allait bien pouvoir dormir dans ce petit espace où le moindre centimètre carré était utilisé, les surfaces boisées débordant de bibelots en tout genre, quand Efia poussa fort contre le plafond de la caravane.

— Ne me regarde pas comme ça, et aide moi plutôt !

Au côté de sa patronne, Ophélie monta sur une chaise et poussa de toute ses forces, ses paumes de mains sur la toile rigide et brillante qui recouvrait le plafond ; et, tout à coup, le toit sembla s'éloigner du tissu qui le recouvrait.

— Tu vois cette ouverture, là ? demanda Efia en montrant une trappe ouverte à l'une des extrémités de la roulotte, au dessus du lit. Tu passeras par là, et là-haut, ce sera ton lit.

Il ne manquait plus que ça ; Ophélie allait dormir dans un soufflet ! Après les bas-fonds du Pôle, l'isoloir à Babel, voilà qu'elle se retrouvait dans le plafond d'une roulotte.

— Maintenant au boulot, on a du pain sur la planche !

Ophélie suivit la dresseuse à l'extérieur. La journée était loin d'être terminée. Il fallait maintenant se retrousser les manches afin que tout soit prêt pour les spectacles du lendemain.


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Hello à tous,

J'espère que votre rentrée s'est bien passée ? 

Un chapitre assez descriptif de Plombor, l'action ne va pas tarder à prendre le dessus 😄En attendant, Plombor vous inspire quoi ?

Sinon, désolée, j'ai perdu toute mon avance, du coup les publications se font rares 😅Mais j'espère avoir plus de temps pour m'atteler à fond à la suite. J'ai déjà écrit le brouillon des 10 prochains chapitres. Si j'avance bien, d'ici deux semaines, je pourrais reprendre les publications régulières ;)

Xoxo

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant