6. LE DÉPART

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   Octavio se trouvait là, visiblement en direction du tramoiseaux qu'Ophélie venait d'utiliser.

Le destin avait parfois de drôles de façons de s'amuser à croiser des chemins déjà empruntés. C'était lui qui l'avait accompagnée ici, dans l'amphithéâtre, la dernière fois qu'elle avait dû s'y rendre.

— Octavio ! cria-t-elle à son tour en se rapprochant de son ami. Que fais-tu ici ?

— C'est moi qui devrais te poser cette question. Je te pensais partie, la sermonna-t-il sur un ton effleurant le reproche.

Elle avait voulu plusieurs fois aller lui dire bonjour ces dernières semaines. Mais à quoi bon ? Elle le savait débordant de travail, avec toute la nouvelle organisation de Babel-la-Neuve à mettre en place. Elle ne voulait pas l'ennuyer avec ses problèmes trop personnels.

— Justement, je pars, fit-elle avec un geste du bras en direction de l'amphithéâtre.

Elle vit dans les yeux perçants du Babélien la même décharge de panique qui l'avait habitée un instant plus tôt. Il se rappelait lui aussi. Elle s'empressa d'ajouter :

— Je rejoins la Caravane du Carnaval, le cirque itinérant. Il va me ramener chez moi, préféra-t-elle abréger.

— Tu as l'air pressé. Je le suis aussi. Reviens dire bonjour, lança-t-il en reprenant son chemin.

Ils ne s'étaient pas donné de nouvelles depuis des semaines, et pourtant, leur échange avait été on ne peut plus sporadique. A l'image de leur relation. Brève mais franche.

Elle n'avait, de toute manière, plus le temps de réfléchir aux écueils de cette amitié. Elle reprit son chemin vers l'amphithéâtre et aperçut planer au dessus de l'édifice trois énormes dirigeables aux couleurs fluorescentes, où était inscrit en grosses lettres dorées le nom du cirque.

En se rapprochant, elle se rendit compte que la place qui précédait le bâtiment circulaire grouillait d'une animation qu'elle reconnut aussitôt. Des circassiens et techniciens s'affairaient à ranger et faire entrer matériel et animaux par la porte voûtée étroite qui donnait accès à l'arène.

Ophélie se faufila parmi la foule d'artistes et de techniciens dans le couloir de pierres exigu. Contre toute attente, elle réussit sans trop d'efforts à accéder à l'immense cour de l'amphithéâtre où l'animation décuplait. Elle se sentit écrasée par l'ombre des dirigeables qui enveloppait l'ensemble de l'espace telle une couverture de nuit. Le reste de l'équipe n'y prêtait aucune attention, trop occupé à embarquer dans les engins.

Elle tenta d'entrer directement elle aussi dans l'un d'eux, mais se prit un bras autoritaire en pleine poitrine. Une femme toute de muscles l'arrêta et la fit reculer.

— Qui êtes-vous, vous ? Vous ne faites pas partie de la troupe, allez ouste ! Pas le temps pour les dédicaces !

— Je ne veux pas une dédicace, je veux proposer ma candidature. Efia, la dresseuse de chimères m'a...

— C'est pas le moment ! On est sur le départ et on a un sacré retard ! Revenez à notre prochain passage à Babel !

— Dans plusieurs années ? s'indigna Ophélie. Non ! S'il vous plaît ! Je suis prête à faire ce que vous voudrez !

La femme avança sa figure effrayante juste devant la sienne, celle-ci amorçant un mouvement de recul pour ne pas se prendre un coup de tête.

— J'ai.dit.non ! Du balai !

Ophélie se résigna à prendre la direction opposée. Mais elle n'allait pas renoncer pour autant. Elle erra entre les caisses et roulottes en attente d'être transportées à l'intérieur des dirigeables, les malles traînées par les femmes et hommes prêts à embarquer, les énormes pots de plantes géantes de toutes sortes, les poteaux, les planches, les toiles. Elle chercha parmi les cages d'animaux celles des chimères, espérant entrevoir Efia.

Mais la dresseuse avait dû déjà s'installer dans un des ballons. Quel choix restait-il à Ophélie ? Abandonner.

Non, il en était hors de question. Elle embarquerait de gré ou de force dans l'un de ces dirigeables. A ce moment-là, une brise tournoya autour d'elle, se faufilant ensuite entre les corps en mouvement sur l'esplanade, et fit tomber la casquette d'une petite dame qui ne s'aperçut pas de cette perte alors qu'elle se démenait pour attacher des caisses ensemble.

Ophélie attrapa le chapeau dont elle se coiffa sans attendre, puis se dirigea vers un transpalette surchargé au point de la dépasser presque autant que si Thorn se trouvait à ses côtés. La cargaison était prête à embarquer dans l'un des engins. Celui où toutes les cages d'animaux avaient l'air d'être chargées.

Elle remarqua que le garde à l'entrée de l'appareil était en pleine discussion avec une femme aux formes voluptueuses et dont seule la crinière couleur bronze paraissait indomptable, tant elle minaudait avec le gardien.

C'était le bon moment pour s'insinuer derrière eux. Elle se concentra de toutes ses forces pour animer le transpalette, qui était bien trop lourd pour qu'elle le pousse de ses moignons. Toute sa volonté à réussir cette épreuve combinée au stress de se faire attraper lui permit de réussir à mettre en mouvement l'objet encombrant. Ophélie, coiffée de sa casquette à l'effigie de la Caravane, bien cachée derrière la pile de caisses, fit mine de pousser la lourde charge.

Lorsqu'elle passa devant le gardien, toujours occupé à flirter avec la sirène, tout se passa sans anicroche. Elle se trouvait enfin à l'intérieur du dirigeable de la Caravane du Carnaval. Il ne restait plus qu'à ne pas se faire prendre avant qu'il ne s'envole.

Elle décida de rester cachée derrière le transpalette. Elle se concentra sur le bruit autour d'elle. Les animaux braillaient en tout sens. Certainement habitués à ce remue-ménage, ils n'en étaient pas moins mécontents. Les caisses grinçaient alors qu'on les traînait sur le plancher, les femmes houspillaient ceux qui étaient sur leur passage, les hommes grognaient tout en portant des poids plus lourds qu'eux. Personne ne chômait tandis que le décollage était imminent.

Enfin, Ophélie sentit l'engin se mettre en mouvement et la nausée prit aussitôt possession de son cœur . Son mal de l'air ne l'avait donc pas quittée.

A l'intérieur tout le monde courait encore pour ranger le matériel. Dans l'animation, personne n'aperçut la petite jeune femme aux lunettes légèrement bleuies par la peur, cachée entre un tas de caisses et un pot de fleurs fumigènes.

Beaucoup trop rapidement, quelqu'un déplaça le transpalette et Ophélie se trouva devant une assemblée de circassiens dont les yeux recouverts de sourcils froncés se braquèrent aussitôt sur elle.

*****

Bon, espérons qu'ils ne la virent pas par dessus bord hein 😜

On se retrouve ce week-end pour en savoir plus ? 

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