27. LA CEREMONIE

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   Une fois Waban parti pour de bon, la prêtresse ramena Ophélie dans sa chambre.

— Mon service est terminé, expliqua-t-elle d'une voix austère. Le Guide du jour viendra vous chercher quand il lui semblera que cela est nécessaire.

Ophélie cligna des yeux dans un mouvement de recul lorsque son hôte lui claqua la porte au nez. Seule dans la petite pièce lugubre, le poids d'un dirigeable rempli à craquer sembla se déposer sur ses épaules. Elle se sentit isolée et démunie. Mais, n'ayant pas dormi depuis ce qui lui semblait des jours, elle décida de s'allonger sur le lit. Il était dur, et grinçait à chacun de ses mouvements, mais elle apprécia tout de même s'y étendre. Entre la banquette du dirigeable et la toile dans le plafond de la roulotte, ce matelas un peu rude faisait bien l'affaire. Elle n'eut pas le temps de terminer cette réflexion qu'elle tomba aussitôt dans un sommeil sans rêve.

Les jours suivants, elle dut se plier à toutes les règles étranges de la secte, y compris le rite du Miroir, où il fallait vivre en marche arrière une heure chaque jour. En sens inverse, sa maladresse légendaire aurait pu s'arranger... Les quelques assiettes cassées furent la preuve que ce n'était pas le cas.

Le matin, tout le monde travaillait pour la communauté. On apprit à Ophélie à conduire le traîneau pour déneiger les alentours de la chapelle. L'expérience était à la fois éprouvante physiquement, mais aussi très ludique. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle fit renverser le traîneau, plongeant elle-même dans la poudreuse immaculée. Mais les sensations qu'elle ressentait dans la vitesse en valaient la peine.

Par contre, elle était constamment enrhumée et dormait mal à cause de son nez bouché. Elle se demandait si elle aussi était sujette aux ronflements, en entendant ceux de ses voisins, dans les cellules adjacentes à la sienne. Visiblement, elle n'était pas la seule à avoir du mal à s'adapter au climat. Combien d'étrangers à Plombor avaient décidé d'intégrer ce groupe étrange ?

A son désarroi, on ne la laissa pas approcher le Miroir. Il fallait qu'elle fasse ses preuves, qu'elle montre sa motivation. Même si elle se demandait qui était le plus impatient ; elle remarquait les membres de l'église qui l'observaient à la dérobée.

Pendant ses longs moments de pause imposés par le rythme de la confrérie, elle eut tout le temps de penser à Thorn. Connaissait-il cet endroit qu'elle avait visité malgré elle, à travers le Miroir de la piscine ? Était-ce vraiment l'Envers ? Ce ne devait pas vraiment l'être, car elle aurait dû, encore une fois, perdre un morceau d'elle-même en contrepartie de son passage. A moins que ce ne soit pas considéré comme un passage, dans la mesure où elle était restée coincée dans le miroir, au milieu des deux mondes. Mais elle se rappelait que ses propres couleurs n'étaient pas inversées, dans la bulle. Cette pensée la faisait douter plus que toutes les autres.

Aussi, quand quelques jours plus tard, on vint la chercher pour la cérémonie du Miroir, elle fut très excitée à l'idée qu'on la laisserait peut-être enfin revivre l'expérience.

On la fit entrer dans la salle à la piscine, où elle dut simuler la surprise de la découverte. Tout le monde se déshabilla, elle en fit autant, et se plaça près du bassin. Les membres de la communauté, aussi nus qu'un amas de ver dans une petite boîte en fer, chantèrent en cœur une prière. Tout en les écoutant, Ophélie dut secouer sa jambe sur laquelle s'accrochait l'écharpe, qui semblait ne pas vouloir la laisser seule avec cette bande d'extravagants. Puis deux prêtres s'emparèrent des manivelles de part et d'autre du bassin et abaissèrent le Miroir jusqu'à ce que l'objet précieux se retrouve dans l'eau. Le prêtre s'adressa ensuite à Ophélie :

— Afin que tu sois membre de la confrérie, nous allons procéder à la cérémonie du Reflet. Tu peux aller dans l'eau.

Ophélie ne se fit pas prier. Comme la dernière fois, elle s'assit sur le bord du bassin pour s'habituer à la température de l'eau, puis s'immergea et laissa sa respiration saccadée s'acclimater au froid.

— Place-toi devant le Miroir. Ne t'inquiète pas, il n'y a aucun danger.

Ophélie le savait bien, mais elle maintint l'expression inquiète qu'elle arborait en se dirigeant vers le centre du bassin. Là, les moines récitèrent une autre prière en accueillant le nouveau membre de la confrérie.

— J'aimerais essayer... de traverser le Miroir maintenant, fit Ophélie en regardant son reflet déformé par l'eau.

— Est-tu certaine de ne pas endommager celui-ci en passant à l'intérieur ?

— Bien-sûr, je fais ça tous les jours dans les autres miroirs, affirma-t-elle en haussant les épaules.

Même s'ils l'avaient déjà vu faire à travers les psychés de l'église ou des latrines, les prêtres ne semblaient pas rassurés. Aussi, deux d'entre eux descendirent à leur tour dans la piscine pour chaperonner leur nouvelle recrue.

Elle était sur le point de s'immerger dans l'eau lorsqu'elle leva une main :

— Ah, ne vous précipitez pas pour me sortir de l'eau. Je risque de rester coincée au milieu du miroir. Si je remue très rapidement les jambes, c'est que ça va mal. Et que vous pouvez m'aider à sortir.

Cette fois, elle ne fit pas la même erreur, et garda ses lunettes sur le nez. Elle toucha le miroir du bout des doigts, finit par y entrer à moitié, comme à son premier passage. La chaleur presque asphyxiante l'enveloppa aussitôt, en même temps qu'une lumière aveuglante lui explosa dans les lunettes.

— Il y a quelqu'un ? demanda-t-elle.

Mais personne ne lui répondit. Elle avait l'impression de perdre la tête, à tourner et virer ainsi, coincée dans la psyché. Mais elle avait beau pousser sur le chambranle de toutes ses forces, impossible de s'en extirper. A l'extérieur de la bulle, elle remarqua les nuages, la brume. La bulle était au milieu de la brume. La bulle était au milieu d'aerargyrum !

Un sentiment d'espoir fit palpiter son cœur à toute vitesse, elle n'avait jamais été aussi près de celui qu'elle cherchait à retrouver depuis des semaines. Elle aurait voulu rester ici, dans l'espoir d'y apercevoir Thorn. Connaît-il seulement l'existence de cet endroit ? Où se trouvait-elle, au juste ? A quoi servaient ces bulles ?

Elle ressortit du miroir aussi déboussolée que si elle avait bu une bouteille entière de liqueur de pins locale. Que devait-elle faire, maintenant ? Il fallait trouver le moyen de prévenir Thorn pour qu'ils se donnent rendez-vous aux bulles. 


*****

Hi,

J'espère que vous allez bien, et que vous appréciez cette suite ^^

Le prochain chapitre, on retrouve Thorn qui va vivre une drôle d'expérience... Une idée ?

Prenez soin de vous,

xoxo

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant