11. L'ENTRAVE

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   Les premiers jours de voyage d'Ophélie avec la Caravane du Carnaval ne furent pas de tout repos. Elle n'arrêtait pas d'aller et venir de part et d'autre du dirigeable afin de répondre aux moindres désirs de Madame sa nouvelle patronne. Efia ne la laissait que rarement tranquille, profitant du caractère volontaire qu'elle avait pu entrevoir chez sa stagiaire pour lui faire faire les tâches les plus ingrates.

Si ce n'était qu'Efia... Comme Ophélie était la dernière arrivée à la Caravane et qu'elle n'avait aucun spectacle à préparer, on lui adjugeait toutes les corvées que personne n'avait le temps d'effectuer, comme récurer les latrines communes ou nettoyer la promenade du dirigeable à grande eau. Ce genre de besognes, qu'elle avait pris l'habitude d'effectuer au Clairedelune ou à la Bonne Famille, s'avéraient particulièrement éprouvantes sans l'aide de ses dix doigts. Heureusement que l'écharpe lui était si fidèle et ne rechignait jamais à salir ses franges de laines. Quant à ses gants, il ne fallait pas trop compter dessus. Ils n'en faisaient qu'à leur tête, comme s'ils n'acceptaient pas la perte des leurs compagnons de toujours, les doigts d'Ophélie.

Elle aurait pensé que ces occupations qui la sollicitaient du matin au soir lui auraient au moins fait oublier sa nausée, mais ce ne fut pas le cas. Son mal de l'air décuplait quand elle devait aider les cuisiniers dès l'aube, ou astiquer la salle de sport commune à tous les circassiens, imprégnée par les odeurs suffocantes de transpiration et de pieds qui se mêlaient à celle des matelas neufs. Encore heureux, elle avait réussi à ne rendre aucun de ses repas depuis son arrivée sur le dirigeable.

Ophélie venait de terminer de laver les douches et devait maintenant se rendre, non sans appréhension, auprès des animaux. Elle n'avait jamais été très à l'aise avec les bêtes. Et celles du cirque ne ressemblaient en rien aux petits chiots mignons qu'on aurait envie de prendre dans ses bras.

Les chimères d'Efia, passe encore. Elles commençaient à apprivoiser leur nouveau larbin. Même si leurs crocs trop grands pour être contenus dans leur bouche d'où écumait une bave blanchâtre et nauséabonde, et leurs griffes toujours sorties de leurs énormes pattes n'étaient pas sans inquiéter Ophélie. Mais quand elle devait aussi racler le sol jonché d'excréments de toutes les autres cages, y compris celles des chauves-souris cracheuses de feu, elle se demandait vraiment pourquoi elle avait accepté d'embarquer sur ce rafiot.

Dans ces moments-là, elle s'accrochait aux souvenirs des instants agréables ici. Il y en avait, parfois. Les repas, pris ensemble le midi et le soir dans la grande salle à manger, étaient l'occasion de faire connaissance avec ses nouveaux compagnons. Les circassiens n'avaient pas besoin d'effectuer leurs performances pour mettre de bonne humeur Ophélie. La gentillesse et l'humour semblaient être des qualités requises pour faire partie de l'équipe. Dire qu'il y avait deux autres dirigeables qui entouraient celui-ci. Le groupe était loin d'être au complet.

Alors qu'elle s'apprêtait à sortir de la salle d'eau commune, Ophélie jeta un coup de lunettes par dessus son épaule, vers les miroirs au dessus des lavabos. Faire une petite pause et prendre l'air sur le pont avant de s'atteler à sa prochaine tâche était plus que tentant. Elle eu un instant d'hésitation.

Il lui arrivait régulièrement d'utiliser son pouvoir pour se rendre d'un bout à l'autre de l'embarcation. Mais depuis peu, elle avait l'impression que son ventre "accrochait" lors de ses passages de miroir. Précisément à cet endroit qui lui était parfois douloureux ces derniers temps, là, juste en dessous des côtes.

Elle porta ses mains et son regard sur son estomac noué. Elle repensa à ces fois où son pouvoir de passe-miroir lui avait fait défaut et se demanda si elle était en proie à une nouvelle crise d'identité. Elle n'en avait pourtant pas l'impression. Elle acceptait plutôt bien ses derniers changements physiques, mis à part peut-être ses mains qui l'handicapait beaucoup. Mais elle savait que sans ce sacrifice, elle serait retournée dans l'Endroit sans payer son tribut à l'Envers, et le monde aurait été englouti par l'Autre et la brume. Elle eut soudain une pensée pour cette malformation qui lui interdisait de devenir mère...

Elle décida de faire voler ces questions d'un vif geste de la main. Elle grimpa sur l'un des lavabos, observa un instant son reflet pour plonger dans la surface réfléchissante. Sa tête et son buste ressortirent par la grande psyché qui se trouvait dans le couloir menant à la promenade du dirigeable. Mais, comme la veille, son ventre refusait de passer. Elle prit légèrement appui sur le cadre de bois du miroir pour s'en extirper totalement. Et l'incident était clos.

Alors qu'Ophélie inspirait de grandes goulées d'air pour tenter de faire passer ses hauts-le-cœur, elle s'aperçut que le dirigeable ralentissait. Elle plissa les yeux pour tenter de discerner quelque chose à travers ses lunettes, dans le brouillard qui les enveloppait depuis déjà plusieurs jours, quand Efia s'installa à côté d'elle sur la balustrade.

— Nous allons nous arrêter quelques heures ici, dit-elle en pointant le sol de son index.

— Nous ne sommes pas à Plombor, argua Ophélie.

Efia se mit à rire à gorge déployée.

— Oh non ! Tu ne serais pas sur ce pont si nous étions aux alentours de Plombor ! Ou alors tu aurais pris la forme d'une vénus de glace ! Nous sommes à mi-chemin. Nous avons besoin de vider les conteneurs d'eaux usées et remplir ceux d'eau potable.

— Où sommes-nous exactement ?

Ophélie savait qu'il n'y avait pas d'arche sur le chemin. C'était donc forcément une terre de l'ancien monde.

— Nous allons le découvrir en même temps que toi, chanta Efia en s'éloignant de la balustrade. Tu devrais aller te préparer, ce sera l'occasion de prendre l'air !


*****

Un petit chapitre clin d'oeil. Dans les 4 tomes de la PM, il y a toujours un moment ou un autre où Ophélie devient l'esclave de quelqu'un : Bérénilde, Farouk, Médiana, l'Observatoire... alors je continue avec le carnaval 😋

J'ai trop hâte de vous publier le prochain chapitre, mais je commence à perdre sacrément mon avance. Je vais donc peut-être passer à un chapitre par semaine... Je ne sais pas encore...

En attendant la suite, bises à tous et merci encore pour vos lectures, votes, commentaires ❤ 

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant